Nos meilleures universités

Ils sont sans doute les ex-étudiants les plus heureux de France. En pleine crise, ils sortent de la fac et ils ont tous du boulot. Trente diplômés de droit, d'économie ou de gestion, tous diplômés de l'université Bordeaux-I, en juin 2008. Pas d'amphi surchargé pour eux, dans une fac étiquetée sciences et technologies, où leur discipline n'est que très minoritaire. Deux ans et demi plus tard, tous travaillent. Leurs petits collègues de Bordeaux-4, université pourtant totalement tournée vers les formations économiques et juridiques, ne peuvent pas en dire autant... Donc mieux vaut Bordeaux-I que Bordeaux-4 ? Attention. Cette comparaison, qui ne concerne que quelques dizaines d'étudiants, peut sembler injuste et fera grincer des dents. C'est pourtant le gouvernement qui l'autorise.

Pour la deuxième année consécutive, le ministère de l'Enseignement supérieur a mené une enquête globale sur l'insertion professionnelle des diplômés d'université, que Le Point publie en exclusivité. Trente mois après la sortie des amphis, les anciens sont invités à dire où ils en sont dans leur parcours professionnel. Salarié, CDI, temps-plein, cadre... ou encore en recherche, une foultitude d'informations est recueillie par les services du ministère. A la clé, une enquête aux résultats parfois surprenants. Tous diplômes confondus (DUT, licence professionnelle et master), on apprend ainsi que trente mois après leur diplôme 92,25 % des jeunes issus de l'université ont trouvé un emploi ! Sur le papier, c'est donc mieux qu'à la sortie des grandes écoles : 91,6 %, selon le rapport 2010 de la conférence des grandes écoles.

En y regardant de plus près (tous les tableaux de l'insertion professionnelle filière par filière sont consultables sur lepoint.fr), une filière écrase toute la concurrence : l'informatique - et, plus généralement, les filières technologiques. Les Anglo-Saxons appellent ça l'IT,information technology. Les chiffres font tourner la tête. Dans cette branche, 97 % des diplômés 2008 travaillent aujourd'hui, 93 % d'entre eux ont un CDI, 98 % sont cadres... Longtemps relégué au rang de voie de garage par les filières généralistes, le secteur affiche aujourd'hui une insolente santé : 40 000 personnes y ont été embauchées en 2011."Dont un tiers venant de l'université", précise Philippe Hedde, directeur général de NextiraOne, leader européen en systèmes d'intégration et d'ingénierie. Dans son entreprise, aucune différence de traitement salarial entre les jeunes qui sortent d'écoles d'ingénieurs ou ceux qui ne possèdent qu'un BTS."Quand j'ai quelqu'un devant moi, je ne sais pas d'où il vient", assure-t-il. Oubliés les clichés poussiéreux d'une université hermétique à toute forme de professionnalisation ?

Alternance. Aujourd'hui, les plus nobles universités déroulent des tapis rouges aux campus d'entreprise et aux forums de recrutement. Et, surtout, l'alternance connaît un succès qui ne se dément pas d'année en année. Dans son entreprise, Philippe Hedde recrute 10 % de ses salariés par cette voie."Il sont plus matures, s'adaptent plus facilement à la réalité, sont plus efficaces... C'est la voie royale." Le discours du chef d'entreprise diffère très peu de celui de Laurent Wauquiez (lire l'interview p. 92). "L'alternance est un moteur d'ascenseur social extraordinaire", dit le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.

Reste que l'université n'est pas faite que de filières technologiques. Si les universités spécialisées en lettres, sciences humaines ou sociales affichent elles aussi de très bons taux d'insertion, elles cachent une réalité bien différente : une grande partie des étudiants qui s'inscrivent en première année ne vont pas jusqu'au bout du cursus."L'absence de sélection en première année est un vrai problème, souligne Olivier Vial, le président de l'Uni, syndicat étudiant de droite.Le vrai filtre, actuellement, c'est la licence. Ce n'est pas la sélection la plus honnête et la plus juste socialement qui soit." Laurent Wauquiez se garde bien d'aborder l'épineuse question de la sélection à l'université, mais il reconnaît avoir demandé une base de données qui apporte "des éléments sur le nombre d'étudiants qui s'inscrivent en première année, et ceux qui sont effectivement diplômés". Car là est la réalité de l'université."On a 10 000 étudiants en première année et 2 500 qui sont effectivement diplômés à bac + 5", témoigne Benoît Schneider, professeur en psychologie de l'éducation à l'université de Lorraine (Nancy-2) et coprésident de la Fédération française des psychologues et de psychologie. En apparence, l'insertion professionnelle en psycho est excellente : 93 %. Mais ce chiffre ne signifie pas grand-chose. " On laisse rêver les étudiants trop longtemps", admet ce professeur, qui fustige une "représentation publique" erronée de la profession."Devenir psychologue en cabinet après des études de psychologie, c'est marginal", martèle-t-il. Dans la réalité, les anciens étudiants de cette filière exercent surtout dans le secteur public, dans des établissements médico-sociaux, ou même dans des entreprises."Plus que des chiffres, c'est la réalité professionnelle qu'il faudrait clarifier", conclut-il.

Stéphane Tassel, secrétaire général du Snesup-FSU - premier syndicat de l'enseignement supérieur, classé à gauche -, oppose une fin de non-recevoir à l'enquête du ministère et à toutes les enquêtes d'évaluation en général."Je conteste sur le fond comme sur la forme ces classements qui n'ont qu'un seul but : mettre en concurrence les universités." A Laurent Wauquiez, qui défend au contraire une démarche de "transparence", il répond qu'une "logique d'opacité" s'est abattue sur l'université depuis la réforme LRU, en 2007, qui a fait de l'insertion professionnelle une des missions des facs."Il faut que les étudiants aient une vision claire et objective sur la filière pour la choisir, et non la subir", s'exclame Stéphane Tassel. C'est précisément le but de cette étude, certainement incomplète, mais qui a au moins le mérite d'exister.

Comment "Le Point" a classé les facs

Pour établir notre note, le critère de l'insertion professionnelle a été prépondérant, mais ce n'est pas le seul. Le statut du jeune diplômé (cadre ou profession intermédiaire) a également été pris en compte ; hélas, nous n'avions pas d'information sur les niveaux de salaires. Enfin, le taux de réponse aux questionnaires envoyés par le ministère de l'Enseignement supérieur constitue également un critère dont nous avons tenu compte, car il détermine la pertinence de toutes les autres informations. Les établissements dont le taux de réponse est inférieur à 30 % ont été éliminés du classement.

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