La “guerre nouvelle” est déclarée, et elle est totale

La guerre nouvelle est dclare, et elle est totale

14 mars 2012 Dans notre texte Bloc-Notes du 12 mars 2012, nous mentionnons
plusieurs reprises le concept dagression douce, selon une expression forge pour la cause, et pour tenter de reprsenter le phnomne
auquel nous faisions allusion. Lexpression anglaise quivalente, mais plutt adapte que traduite, se retrouvait dans le texte de Pp
Escobar qui tait cit (sur ATimes.com, le 9 mars
2012
), dans lequel Escobar parlait de illegal instruments of soft power, dans le paragraphe suivant :

So Washington and its minions have been warned. Before last Sunday's election, Putin even advertised his road map. The essentials; no
war on Syria; no war on Iran; no humanitarian bombing or fomenting color rvolutions all bundled into a new concept,
illegal instruments of soft power. For Putin, a Washington-engineered New World Order is a no-go. What
rules is the time-honored principle of state sovereignty.

Lexpression soft power ne nous semble pas convenir parfaitement, parce quelle privilgie une notion statique (pouvoir) alors
que nous voyons plutt une dynamique luvre, beaucoup mieux exprime par le terme agression. A ce propos, nous crivions donc (12 mars 2012) :

Cette agression, faite essentiellement par des moyens de manipulation de groupes informels, et de groupes frontistes russes sous le
couvert de leurs tiquetages dONG, ou bien de diffamation mdiatique, fonde dsormais ce que les Russes nomment de lexpression
approximative (pour notre traduction interprte) de moyens illgaux dagression douce (Fameuse poque, o lagression peut tre douce,
mais nen est pas moins, extrmement agressive, mais plutt dans le style vicieux et subreptice ; rejeton incontestable du systme de la
communication, cela.) Il est manifeste que cette technique dagression douce va devenir la forme dagression gnrale de plus en plus
systmatiquement employe contre les forces anti-bloc BAO, dstructurant et dissolvant les relations politiques et diplomatiques normales
entre les pays qui lemploie (bloc BAO) et les autres, et rendant ces relations de plus en plus chaotiques et
conflictuelles.

Cette ide dune agression, du ct russe, avait dj t mise en vidence par une intervention dIgor Panarine, que nous prsentions et
commentions le 3 mars 2012. Panarine observait, parlant, lui, dagression mdiatique  The Russian leader should primarily
recognize that ideology and
information are the long-standing vulnerabilities of the Russian state, which
caused it to collapse twice in the 20th Century. Therefore, it would be helpful for the development of Russian statehood if the government
would establish a State Ideology (Spirituality, Greatness, Dignity) and set up
a special mechanism for countering foreign
media aggression through a set of administrative, PR and media-related measures
. This would enable Russia to become a
pan-Eurasian center of gravity in both economic and spiritual terms.

Et, sur ce point prcis, nous commentions: Il sagit [] de la ralisation galement correcte que la vritable puissance
se trouve aujourdhui dans le systme de la communication, et lune des utilisations tant lagression psychologique par diffamation
mcanique et robotise. L aussi, le Systme parle et anime les cratures quil a soumises, au sein du bloc BAO.

Pour complter ce champ des dfinitions, il convient de prciser que le terme doux caractrise la forme et nullement, ni lintention, ni
la dmarche, qui sont au contraire extrmement agressives, illgales par rapport aux normes des principes, diffamatoires et construites sur
des affirmations trompeuses et souvent sur une corruption massive, et enfin extrmement dommageables du point de vue de la psychologie (do
le terme que nous employions dagression psychologique, plus prcisment dcrite comme une agression contre la psychologie). Cette forme
est construite sur une rhtorique morale qui prtend effectivement la douceur, sinon langlisme, mais dont leffet est oppos ;
selon lexpression courante, il y a des mots qui tuent, ou, au moins, qui terrorisent, bien plus srement que la force des bombes et
loppression policire, parce quils agissent comme des contraintes subversives et dissolvantes exerces sur la psychologie. A la place dun
doux o il ny a aucune douceur selon lentendement habituel, on aurait pu employer un qualificatif tel que subreptice, qui nimplique
sans aucun doute aucune douceur, mais on aurait perdu ce qui fait le principal de loriginalit de la dmarche qui est de sexposer ciel
ouvert, en affichant ses intentions en toute agressivit et en toute illgalit. (Il faut aussi bien remarquer que ce que nous entendons par
agression contre la psychologie relve moins de la propagande que dune avatar du virtualisme : il sagit damollir la psychologie
comme on attendrit la viande, laffaiblir, la rendre vulnrable, ouvrant la voie la soumission de lesprit, et l on peut tout de mme
parler dune douceur perverse ouvrant la voie ces mots qui tuent ou terrorisent Disons que cela pourrait tre envisag, du point de
vue tactique, comme lquivalent postmoderniste du persiflage du XVIIIme sicle.)

Toutes ces considrations sont faites propos de la Russie, durant ces dernires semaines. Lon pourrait argumenter quelles auraient pu
tre faites il y a dj fort longtemps, au moment des rvolutions de couleur (2003-2005), voire, selon certains, pour ce quon nomme le
printemps arabe (notre position est plus nuance ce propos, car il y a galement une forte part de spontanit dans ces vnements
arabes). Au contraire, nous voyons dans laffaire russe (lection de Poutine, organisation dune opposition pour discrditer cette
lection) un changement de nature par rapport ce qui a prcd. Nous passons de laccidentel souvent improvis,
lessentiel mme, qui est ncessairement structur puisquessentiel, sans quil soit ncessaire de parler de complot Au
contraire, l aussi, il y ny a pas complot dans le cas russe, la diffrence des rvolutions de couleur, parce quil y a quelque chose
de dsormais naturel dans le sens de lautomatique dans la posture et laction du bloc BAO en loccurrence. Personne
nignore qui se trouve la manuvre machinatrice, comme toujours depuis quelques annes, dans la version-Systme dune forme extrmement
avance de lAgit-Prop et diffrente substantiellement (puisquattaquant la psychologie pour laffaiblir plutt que la pense pour
la tromper).

Ce qui diffrencie laffaire russe de celles qui ont prcd, cest que lagression douce se fait contre un tat marqu par la prennit
dune grande nation, par sa tradition, son histoire, son statut de puissance nuclaire reconnue, sa stabilit ethnique et gographique, et
sa spiritualit, et, conjoncturellement, par son redressement rcent et par sa propre volont, malgr des catastrophes intrieures sans
prcdents ; un tat qui, par consquent, dispose dune lgitimit et dune souverainet indiscutables. (A cet gard, Poutine a une
conscience claire de la question Comme lexplique Escobar : What rules is the time-honored principle of state
sovereignty
.)

Sur ce point qui nous parat essentiel, il y a une rupture par rapport aux rvolutions de couleur et au printemps arabe
(quand cest le cas), qui, tous, impliquaient des tats et des gouvernements souvent dans une situation incertaine ou chaotique, ou dans des
situations dillgitimit avre, de corruption trangre, etc., des tats o lincertitude des principes rgnaient assez pour quon
puisse ny pas distinguer une agression contre la structure puissante quest un principe. Il y a l une rupture
qualitative car, plus quune agression contre un rgime ou un gouvernement ; il sagit dune agression contre des
principes fondamentaux, donc une agression ncessairement fondamentale.

En ce sens qui prend en compte la profondeur de lagression, on pourrait dire quil sagit dune vritable dclaration de guerre Reste
voir de quelle guerre il sagit.

Lobjectif autodestructeur du dsordre (du chaos) destructeur

De par limportance de lvnement, parce que lagression affecte un pays comme la Russie et quelle a eu des consquences trs
importantes (essentiellement ngatives pour les agresseurs doux, avec la forme soudain exceptionnelle de la victoire de Poutine), on peut
dire quil sagit de linstallation dfinitive du systme de la communication comme principal moyen de la puissance et
comme principale voie vers laffrontement. Par consquent, il ne sagit pas seulement dune guerre de communication (succdan postmoderne
de la guerre de linformation ou de la guerre de propagande) mais de la guerre en soi qui devient essentiellement anime et ralise par
le systme de la communication, donc une guerre du systme de la communication. Il ne fait aucun doute que sa forme est celle dune
guerre totale, dont lissue sera la disparition du vaincu (encore plus que lanantissement, o des
ruines subsistent).

(Pour nous, le systme de la communication ne concerne pas la seule communication, il ne peut tre rduit elle. Par son activit, sa
puissance intrinsque et le fait dj dit quil reprsente la vritable puissance politique aujourdhui, il est crateur de conditions
politiques et psychologiques spcifiques qui bouleversent la situation gnrale en mme temps quelles font de lui-mme quelque chose de
fondamentalement autre que la seule communication au sens strict. Le systme de la communication touche tous les domaines du grand
affrontement en cours autour et au cur du Systme, et, par consquent, des domaines fort trangers la communication en plus delle-mme.
Il est multiple dans ses consquences et ses effets, et peut tre souvent retourn contre ses crateurs et ses manipulateurs [effet Janus].
Il ne se contente certainement pas de tenter de dsinformer lesprit et de changer le jugement, il vise et touche la psychologie elle-mme,
quil entend bouleverser absolument Comme la psychologie est un phnomne neutre, il peut, selon qui le manipule et selon la faon dont on
peut le retourner contre ses manipulateurs, avoir effectivement une action antiSystme exceptionnellement puissante alors quil aurait t
dclench oprationnellement par le Systme lui-mme.)

On mesurera cet gard de la puissance universelle du systme de la communication dans notre poque postmoderniste, la diffrence denjeu,
la diffrence de la rapidit de lvolution et la diffrence de limportance des effets avec la rhabilitation des concepts de dfaite et
de victoire, tout cela en faveur de cette nouvelle sorte de guerre qui apparat effectivement comme totale. Il suffit de comparer, par
exemple, la guerre dAfghanistan absolument paralyse depuis dix ans et la guerre-clair qui sest mene Moscou et sest termine par
llection de Poutine devenue une victoire sur lagression douce. La premire est un modle classique de guerre
gopolitique et l'on peut constater que les facteurs dynamiques de ce modle classique se trouvent dsormais compltement domins et rduits
rien par les facteurs statiques qui engendrent une situation de complte paralysie ; cest tout le contraire avec la guerre du
systme de la communication telle quelle sest compltement rvle avec lpisode russe.

Limportance de cette agression douce dans le cas de la Russie, qui fait quon peut parler de guerre dans un sens extrmement appuy, se
mesure dans le fait, signal plus haut, que cette agression se fait directement contre des principes, pleinement reprsents et actifs en
Russie. De ce fait, lagression douce perd son caractre exotique, anecdotique, son caractre dacte dexpansion marginal ou
complmentaires aux grands axes politiques, pour devenir au contraire partie intgrante de ces grands axes politiques, et mme la partie
essentielle du grand axe politique fondamental quest laffrontement direct du Systme contre le reste. Dans ce cas russe, en effet, il
sagit bien dune attaque directement dstructurante et dissolvante, du fait que les principes sont directement mis en
cause et attaqus.

La technique dattaque est classique et base sur loutil anglo-saxon habituel des rseaux, qui est une sorte de paradoxale structure
anti structurelle pour lattaque dstructurante. Du temps de la splendeur de lEmpire (britannique), loutil des rseaux fonctionna
superbement pour maintenir la mainmise britannique sans rendre trop visible loccupation ni immobiliser trop de moyens lourds,
militaires notamment, mais loutil fonctionnait en terrains conquis, pour maintenir un contrle. Aujourdhui, loutil des rseaux est
utilis dans un but subversif et dissolvant, pour investir des espaces structurs, en y agissant comme des termites visibles et
bruyantes. (Les Franais, dont lintelligence est la disposition de tous, y compris de leurs plus farouches ennemis, ont mis cette
technique en musique philosophique avec la French Theory et lunivers deleuzien.)
Bien entendu, les USA en tant quentit spcifique de lamricanisme et cur du Systme, et pays non-rgalien absolument constitu
dintrts privs qui organisent naturellement leurs rseaux, ont emprunt la mthode des rseaux avec le plus grand naturel du monde, comme
allant de soi. Ce faisant, les USA (les anglo-saxons) se conformaient absolument aux pulsions du Systme qui sont naturellement dissolvantes
de toutes les structures prennes ; ils se sont compltement mis son service, comme sils avaient t crs pour cela.

Si la tactique subsiste, la situation gnrale na plus rien de commun avec celle du temps de lempire britannique. Ces rseaux, cette
agression douce, sont engendrs et inspirs compltement par un Systme en cours deffondrement, avec sa surpuissance
passe en mode dautodestruction, et se trouvent donc considrablement affaiblis, et mme invertis par perversion. Lorsque la structure
attaque est faible, lattaque dissolvante russit mais cest bientt pour se dissoudre elle-mme. Les structures de destruction de lespace
investi mises en place sont elles-mmes trs fragiles et ne rglent rien dans le sens dsir. (Les cas ukrainien et gyptien sont typiques
de ces situations intermdiaires et incertaines.) Lorsque la structure attaque est forte, ce qui est dsormais le cas de la Russie, la
riposte se fait au niveau du renforcement des principes structurants et elle est victorieuse en retournant contre lagresseur sa propre
force Quoi quil en soit, cest dans ce cas que lagression douce se montre pour ce quelle est devenue et pour ce quelle reprsente, et
cest lobservation la plus importante : une vritable guerre et une guerre ncessairement totale, dont lobjectif
nest rien moins que la dissolution nihiliste, sans autre but que cette dissolution nihiliste, dans un dsordre destructeur ou un chaos
destructeur, de lorganisation structurelle fondamentale, cest--dire lidentit mme de lentit prise partie. Il sagit dune guerre
du Systme lui-mme, de sa guerre totale et dcisive

(Nous rptons cette expression dapparence plonastique de dsordre destructeur, ou chaos destructeur, que nous avions propose le 3 mars
2012
, contre lide de pure communication, ou relations publiques, de dsordre/chaos crateur : Il sagit de la recherche du
chaos, prsent en apparence par certains comme une recherche paradoxale davantages gostratgiques (narrative du chaos crateur),
devenant implicitement et objectivement la recherche du chaos comme un but en soi, comme un facteur non ralis comme tel mais effectivement
oprationnel dacclrateur de la crise de la Chute (la fameuse dynamique de transformation du Systme surpuissance-audodestruction). (Il
s'agirait, pour rduire sa ralit de simulacre la narrative du chaos crateur, d'une sorte de chaos destructeur, expression suivant
une dmarche rhtorique d'expolition.)
)

Lpisode russe nous dit combien les conditions gnrale daffrontement sont en train de changer pour apparatre dans leur vrit, pour en
venir lenjeu essentiel dont on pourrait aller jusqu dire quil concerne la substance structurelle du monde, cest--dire la
constitution mme du monde, avec le Systme tout entier lanc dans ce qui serait en thorie une pousse finale visant dtruire par
dstructuration (dsordre destructeur) les principales structures restant en place. Dune certaine faon, avec cette sorte dinitiative,
beaucoup plus que pour telle ou telle place ptrolire o il sengage dans des affrontements politiques dsastreux et sans issues, le
Systme lancerait toutes ses forces dans la bataille, pour dtruire les structures prennes qui, lui semble-t-il assez justement, lui
interdisent la victoire finale. Il semble pourtant, comme on le voit avec le cas russe, que cette sorte dinitiative soit voue en gnral
un chec dvastateur qui prend lallure dune dfaite totale, qui a pour effet de renforcer ce que le Systme veut dtruire. Lintrt nest
pas tant, ici, de voir survivre des structures (celles de la Russie) qui, en elles-mmes, ne peuvent assurer notre sauvegarde gnrale et
notre rgnrescence, mme si cette sauvegarde a videmment son importance ; lintrt central est de voir le Systme sautodtruire
de plus en plus vite, dune faon de plus en plus dtermine. Le fait de la Russie confronte lagression douce a, une
fois de plus, dmontr cette singulire mcanique qui fait de la dynamique de surpuissance du Systme une dynamique catastrophique
dautodestruction de lui-mme.

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