Val Mc Dermid : "Fièvre", mais pas 39 non plus

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CritiqueQui n'a jamais rêvé d'éliminer quelqu'un ? Un rival, un intrus ou un proche. Qui n'a jamais esquissé dans son esprit, un scénario de meurtre à l'encontre d'une personne qui vous a un jour porté préjudice ? Et si c'était la seule manière de vous délivrer de vos souffrances et de vos regrets ? Et si nous étions nombreux, à décider, un jour, d'assassiner quelqu'un ?

Ce postulat constitue le prélude de Fièvre, le dernier roman de l'écrivaine écossaise Val McDermid, qui revient avec un nouvel épisode des aventures de Tony Hill et Carol Jordan. Le premier est profiler (profileur) et dresse les portraits psychologiques des tueurs en série sur lesquels enquête la seconde, qui est policière.

Ce prélude macabre constitue le chausse-pied de la critique développée par Val Mc Dermid à travers le roman. Nous vivons dans un monde d'ambition et de concurrence, où tous les coups sont permis, où des individus narcissiques sont prêts à tout pour exister aux yeux de la société. Dans ce monde, la trahison peut mener à la vengeance, et la frustration à la destruction.

Val Mc Dermid ne fait pas de cadeau à cette réalité. On sent, au fil des enquêtes et des meurtres, qu'un point de vue presque politique est défendu. Quand on connaît la biographie de l'auteure, qui a été journaliste, syndicaliste, et militante féministe, on ne peut guère s'en étonner. Fidèle aux 28 autres romans de Val Mc Dermid, Fièvre transpire la critique de la ségrégation sociale à travers une étude minutieuse de la psychologie de ceux qui travaillent dans les institutions policières.

La description de la hiérarchie a toute son importance et rappel des séries télévisés comme Life, où la place des policiers, leurs rôles et le prestige social qui en découle sont analysés finement. On sent à travers le livre toute l'importance du carriérisme et de la hiérarchie dans la société anglo-saxonne. D'un côté les avantages d'un univers de compétition, où les acteurs ont tout intérêt à donner le meilleur d'eux-mêmes, de l'autre les inconvénients, lorsque la rigidité du fonctionnement institutionnel nuit à la résolution des affaires. C'est le cas avec l'arrivée d'un nouveau commandant territorial, James Blake qui veut que la brigade d'enquête prioritaire (BEP) prouve son efficacité sous peine de suppression. Ce qui va chambouler les comportements de ses membres, et notamment de l'héroïne, Carol Jordan.

Les batailles pour le prestige, la reconnaissance sociale, qui donnent aux différents services de police leurs raisons d'exister constituent une dimension exploitée à fond par l'auteure, qui s'amuse à dépeindre les égos, les guerres d'ambitions qui travaillent les individus, par delà leurs rôles et leur fonctions. Réduisant ainsi les actions des hommes à la dimension psycho-narcissique. La thématique du père inconnu de Tony Hill en est l'exemple parfait.


Un tueur

Dans Fièvre, le tueur étouffe des adolescents avec un sac plastique, et mutile leurs parties génitales, après les avoir piégé sur internet. L'auteure va, pendant tout le roman, tenir le lecteur en haleine jusqu'à la découverte de la motivation du tueur.
Le décor de l'action se plante dans une ville postindustrielle du Nord de l'Angleterre, au taux affligeant de violence à main armée. Les flics de plusieurs brigades mènent des enquêtes, et les relations humaines qui se développent entre eux constituent une des trames du livre.

A travers le portrait des jeunes victimes du prédateur d'internet, Val Mc Dermid dépeint également les modes de vie, habitudes, tristesses, espoirs, joies, des enfants de la classe moyenne contemporaine.
Ceux-ci se montrent infiniment naïf sur la réalité du monde, car trop obnubilés par leur reflet narcissique créés par internet, la télévision, la notion moderne de popularité, les relations sociales superficielles, et un monde extérieur plus que jamais fondé sur l'apparence. Val Mc Dermid montre également des parents dépassés par les évènements, et qui découvrent l'horreur de la réalité des prédateurs qui chassent sur Internet.

Le tueur profite à juste titre du vide affectif laissé chez les victimes par ce monde moderne qui ne semble n'accorder d'importance qu'à la réputation. D'où l'extrême fragilité des adolescents qui tombent dans le piège lorsqu'un inconnu rencontré sur internet leur propose une rencontre en tête à tête, en échange d'un soi-disant grand secret à leur révéler sur eux-mêmes. Le serial killer s'engouffre dans les failles psychologiques des individus de sont époques. La description que fait Val Mc Dermid de ces failles est un aspect intéressant de Fièvre.
Failles qui n'épargnent pas les adultes. Il arrive au docteur Tony Hill de se comparer à un serial killer, d'un point de vue psychologique, car son métier consiste, à l'instar de ceux qu'il traque, à dresser des portraits psychologiques dans le but de capturer un individu.

La figure du serial killer est analysée sous l'angle des notions de normalité et de pathologique dans la société. Les blessures reçues pendant l'enfance peuvent condamner des individus à devenir des êtres anormaux, obligés de s'exclure de la société. Tony Hill se sent comme faisant partie de cette catégorie, sauf que lui est psychologue...
C'est ainsi que Fièvre parvient à mêler l'enchevêtrement des intrigues, la psychologie et la critique sociale avec brio.

Seul hic, l'intrigue met du temps à se mettre en place et se trouve édulcorée par des passages de descriptions qui agaceront le lecteur pressé. La couverture du livre est par ailleurs un peu trompeuse. On s'attend à plus de détails macabres. Certains passages donnent heureusement dans la charcuterie, pour le plus grand bonheur des amateurs de gore mais ils ne sont pas omniprésents. Le roman est trop délayé dans un certain nombre de dialogues et de situations sans réel importance.

Fièvre se lit néanmoins comme un bon thriller. Mais il ne procure pas les sensations de suspens et de nervosités de certains romans noirs, comme ceux de Maurice Dantec par exemple. Fièvre s'inscrit dans la lignée des polars best-seller ayant pour vocation de toucher un large public, et faire sensation dans les étales des librairies. Il trouvera incontestablement son public, qui appréciera de se plonger dans les 437 nouvelles pages d'aventures de Carol Jordan et Tony Hill.

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