Une cellule d’écoute? Non mais allô quoi, c’est quoi?

PSYCHOLOGIE - Suite au suicide d'un homme devant des élèves de maternelle hier matin dans une école parisienne, une "cellule d'écoute" a été déclenchée. Mais derrière cette expression qu'en est-il?

La blessure psychique est une blessure invisible, très coûteuse psychiquement et qui peut entraîner d'importantes conséquences dans la vie personnelle, familiale et sociale des personnes impliquées et à tous les âges de la vie. Pour les prévenir et éviter de majorer leurs séquelles, des prises en charges psychologiques des victimes, au plus près de l'événement, se sont multipliées depuis dix ans.

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Les cellules d'urgences médico-psychologiques pour les civils existent ainsi officiellement en France depuis 1997. Créées suite aux attentats parisiens de 1995 elles ont pour objectif d'apporter aux victimes psychiques une prise en charge au même titre que pour les personnes blessées physiquement. Si les militaires ont depuis Napoléon pensé les interventions de ce type auprès des militaires en combat, cette prise en charge auprès de personnes civiles a nécessité des ajustements importants. Il existe actuellement plusieurs dispositifs: les cellules d'urgence médico-psychologique rattachée dans chaque département au SAMU; les cellules de crises de l'éducation nationale (composées de médecins, d'infirmiers, d'assistants-sociaux et psychologue de l'éducation nationale) et de multiples dispositifs équivalents dans les secteurs privés. Ces dispositifs sont déclenchés par les responsables institutionnels via le plus souvent un appel au 15 ou, pour l'éducation nationale, à la direction académique.

La situation actuelle est paradoxale: d'un côté il existe une plus grande reconnaissance de la réalité des blessures psychiques et des conséquences potentiellement causées par un événement traumatique et de l'autre, cette prise en compte systématique conduit à une revendication identitaire collective du fait traumatique et le transforme en enjeu politique. Comme si le simple fait d'annoncer "une cellule d'écoute est mise en place" suffisait à rassurer et à régler tous les enjeux. Mais la blessure psychique n'est pas circonscrite au temps politique, au temps institutionnel ou au temps médiatique; elle continue d'agir certaines fois des mois, voire des années après les annonces faites en urgence. Les cellules d'écoute et l'attention portée aux personnes impliquées nécessitent d'être pensées dans le temps, au plus près de événement mais aussi à distance.

Une cellule d'écoute en établissement scolaire suite à une mort violente, c'est avant tout l'intervention de professionnels du soin psychique d'urgence pour conseiller les responsables institutionnels (que dire, que faire, comment dire, comment faire), protéger les enfants et les adultes d'une exposition au corps et au plus vite tenter de rassurer et de protéger les impliqués. Ce n'est pas "forcer à parler"; ce n'est pas davantage "contraindre à dessiner" comme cela se fait trop souvent. C'est comprendre et décrypter les maux de l'enfant traumatisé qui ne s'exprime pas comme ceux des adultes et qu'il tente bien souvent de cacher pour ne pas inquiéter davantage son entourage. La souffrance psychique des enfants surtout très jeunes reste méconnue. Pour qu'elle ne soit pas déniée, il est aussi important de prendre soin des parents et des enseignants: les informer de ce qui s'est passé, de ce qui a été fait; leur donner des éléments de repérage des troubles possibles pour leur enfant; leur donner des pistes pour prendre soin de lui; les écouter s'ils expriment leur terreur face à la peur qu'ils ne soient arrivés quelque chose à leur enfant; les soutenir si des situations personnelles douloureuses sont réactivées par cet événement, etc.

Cela nécessite du temps et des professionnels formés. L'annonce d'un dispositif n'est rien sans l'intervention de personnels compétents. Il ne s'agit pas de psychiatriser des réactions adaptées à la situation; il ne s'agit pas de contraindre à des groupes de parole (les fameux debrieffings réalisés si souvent "à la sauvage" par des personnes non formées qui conduisent à une majoration de la souffrance psychique des victimes); il ne s'agit pas de stigmatiser des sujets impliqués dans ce statut de victimes; il ne s'agit pas d'entretenir la confusion entre restauration psychique et indemnisation judiciaire; il ne s'agit pas d'imposer l'illusion qu'un unique temps de prise en charge sera suffisant pour prévenir tous les risques de troubles post-traumatiques.

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Dans cette époque du zapping et de l'immédiateté, le traumatisme est difficilement pensable car il s'inscrit dans le temps et dans la durée. Dans une société où la logique soignante est remplacée par une logique comptable et où le patient est devenu un client, le "marché aux victimes" est ouvert, comme en témoigne la nuée des "victimologues autoproclamés" qui, sans expérience clinique, sans formation théorique mais avec un réel talent commercial, démarchent les proches d'enfants impliqués et les institutions concernées. L'intervention médico-psychologique auprès de sujets traumatisés, surtout auprès d'enfants rendus plus vulnérables du fait de leur statut de petit d'homme en développement, est un acte de soin bien spécifique. Or en devenant un enjeu social et politique le fait traumatique est expulsé du champ soignant et s'inscrit sur une scène où les victimes deviennent bien souvent davantage des objets médiatiques, des actes de soin et des trophées politiques. La réinscription de la souffrance psychique prioritairement dans le champ de la santé mentale et non plus sur la scène sociale est un réel débat qui serait essentiel à mener pour savoir quelle place notre société souhaite donner au sujet.

Ni "faire-part", ni gyrophares, ces dispositifs d'urgence ne sont rien, s'ils sont réalisés par des non-professionnels et si aucun accompagnement n'est pensé en différé... une question se pose alors: au-delà des effets d'annonce et de toute l'attention portée en urgence, quels moyens suivront effectivement pour permettre à chacun, quelque soit ses revenus, d'accéder aux prises en charge adaptées une fois que les caméras se seront tournées vers d'autres catastrophes? Des milliers de victimes en errance de prise en charge attendent impatiemment la réponse...

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