SOS, j’aime bien frauder

Faire semblant de rejoindre quelqu’un pour griller la file devant le cinéma. Coller sur le sachet l’étiquette de prix délivrée par la balance avant d’ajouter quelques fruits en cadeau bonus. Ne pas signaler au serveur qu’il a fait une erreur en notre faveur dans l’addition… Qui peut se prévaloir de n’avoir jamais agi ainsi? Selon une enquête qu’il a menée auprès de deux mille personnes âgées de 18 à 65 ans, Laurent Bègue, directeur du laboratoire interuniversitaire de psychologie de l’Université Pierre-Mendès-France, à Grenoble, a constaté que «33,3% des personnes interrogées avaient déjà volé un objet d’une valeur inférieure à 20 euros».

Je veux faire comme les autres

«Je voulais suivre les copines», se souvient Sonia, 35 ans, se remémorant son adolescence faite de sauts de tourniquets et de petites fauches. En effet, pour Sid Abdellaoui, professeur de psychologie à l’Université de Lorraine, «la resquille peut être subie plus que voulue. Elle fait partie d’une norme. Ne pas s’y plier signifierait être exclu.» En dehors de cette stratégie identitaire, l’exaspération ou le sentiment d’injustice devant le comportement de nos congénères fraudeurs peuvent aussi nous faire franchir la limite, histoire de nous éviter la désagréable sensation d’être les dindons de la farce: «Si eux le font, pourquoi pas moi?» Et une fois que nous sommes passés à l’acte, c’est à nouveau l’autre qui nous sert d’excuse. «Quand nous agissons de façon critiquable, explique Laurent Bègue, nous faisons appel à une technique mentale éprouvée, nous nous rassurons en nous disant que nous sommes faits du même bois que les autres.»

Je me rebelle

Frauder, piquer: l’expérience s’accompagne nécessairement d’une poussée d’adrénaline. «Il existe une jouissance à agir ainsi, avec la probabilité que la main de la loi puisse s’abattre sur nous», détaille la psychanalyste et philosophe Sophie de Mijolla-Mellor, auteure d’«Au péril de l’ordre» (Odile Jacob, 2014). Tricher constituerait ainsi une façon de pimenter notre quotidien. Ou comblerait un manque de sens, car «le resquilleur, ne l’oublions pas, est souvent animé d’un sentiment de protestation. Laquelle peut s’envisager comme une attitude politique face à une société injuste», estime la psychanalyste. C’est d’ailleurs l’argument avancé par certains «sauteurs de tourniquets»: les transports en commun étant publics, ils devraient être également gratuits.

Je restaure mon ego

Pas forcément Robin des Bois, le fraudeur peut tout simplement souffrir d’un déficit d’assurance. Que la transgression va lui permettre, à court terme, de pallier. «Contrôle et estime de soi marchent souvent de pair, constate Sid Abdellaoui. Or, quoi de plus gratifiant que de garder le contrôle quand la situation peut justement vite devenir incontrôlable?» Sauter un portillon alors que nous avons en tête non seulement le risque de chute, mais aussi celui de l’amende, c’est s’assurer un «shoot» d’hyperpuissance instantané qui nous requinque pour la journée, «de façon presque un peu superstitieuse», poursuit-il. Et le tout à moindres frais. Dans tous les sens du terme.

Que faire

Se souvenir Quand avons-nous commencé à frauder? Pour Sid Abdellaoui, professeur de psychologie, il peut s’avérer intéressant d’essayer de remonter le fil et de tenter de retrouver ce moment charnière. «Il s’agit souvent d’une période de fragilité, de vulnérabilité, estime-t-il. Or, entre cet épisode déclencheur et aujourd’hui, notre vie a dû changer. Pourquoi alors maintenons-nous cette pratique?»

Analyser «Quand la fraude ne répond pas à un impératif économique, il est intéressant de s’interroger sur ce qu’elle concerne, observe la psychanalyste Sophie de Mijolla-Mellor. Prenons le cas d’un petit vol. Ce n’est pas l’objet dérobé en soi qui est important, mais ce qu’il symbolise.» Dès lors, nous pouvons nous questionner: que manque-t-il dans notre vie et dont notre tendance à la fraude est la manifestation?

S’abstenir Sid Abdellaoui propose d’observer une phase d’abstinence. «Pendant une semaine, un mois, se contraindre à ne pas resquiller. Cela permettra de prendre de la distance et, ainsi, de peser le pour et le contre: la fraude m’apporte-t-elle quelque chose? Cette pratique vaut-elle la peine d’être poursuivie?»

Pour aller plus loin

A lire «Psychologie du bien et du mal», de Laurent Bègue. Confronter morale et psychologie, telle est l’idée de cet essai passionnant. Une bonne porte d’accès à la psychologie sociale, nourrie de nombreux exemples, qui invite le lecteur à s’interroger sur son propre rapport au bien et au mal. Détail qui ne gâte rien: le style de l’auteur, non dénué d’humour (Odile Jacob, 2011).

 

Psychologies magazine

Rubrique réalisée en partenariat
avec «Psychologies Magazine»
dont le numéro 351 est disponible en kiosque.
A consulter aussi sur www.psychologies.com

 

 

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