Rivalité féminine au temps des Borgia

Le grand Michel Peyramaure, auteur d’une centaine de romans publiés depuis 60 ans chez Robert Laffont, propose une remarquable fresque romanesque opposant deux figures marquantes de la Renaissance italienne, Lucrèce Borgia et Isabelle d’Este, dans son nouveau roman, Les Rivales.

«C’est un sujet un peu audacieux parce qu’en France, on a diffusé pendant des mois un film sur les Borgia. Revenir sur ce sujet, trouver d’autres perspectives, c’était difficile. Mais je voulais absolument connaître la psychologie intime de Lucrèce Borgia. Je me suis dit, il faut que je lui trouve une partenaire, qui était toute trouvée: Isabelle d’Este», raconte Michel Peyramaure au bout du fil, de sa maison de Brive-la-Gaillarde, dans le Limousin.

La légende de Lucrèce Borgia a transcendé les siècles. Fille naturelle du pape Alexandre VI, Lucrèce a entretenu une idylle avec le mari de sa belle-soeur, Isabelle d’Este. Celle-ci, femme de tête louée pour son raffinement et son intelligence, a choisi de tout faire pour préserver son union. La rivalité s’est achevée dix ans plus tard par la mort en couches de Lucrèce Borgia.

Opposées

Deux rivales? «Deux tempéraments totalement opposés, mais qui, au fond, ne s’entendaient pas si mal», a constaté Michel Peymaraure, qui a été fasciné par le côté évanescent de Lucrèce Borgia. «Ça n’a pas été une grande courtisane. Elle a subi les assauts de son père, le pape, mais elle a été avant tout une victime et c’est ce qui m’a fasciné chez elle. Une victime des moeurs de l’époque. J’imagine le drame que cela devait susciter en elle et j’ai essayé de l’imaginer.»

Isabelle d’Este était plus austère. «C’est une sorte de nonne qui serait sortie du couvent, qui aurait abordé son époque avec une certaine méfiance envers les personnages, une austérité, un manque de confiance, un manque de communication avec les gens.»

Talent de conteur

Michel Peyramaure fait revivre cette période historique dans toute sa grandeur, avec une plume superbe et un talent de conteur peu commun. «L’historien se borne le plus souvent à relater des faits, sans pénétrer la psychologie des personnages. Moi, je fais l’inverse: sans négliger les faits, je m’intéresse surtout à la psychologie. C’est un travail difficile parce qu’il ne faut pas se tromper sur les éléments qu’on a en main. Jusqu’à maintenant, je n’ai pas eu de reproches! Pas de lettres d’insultes ni de propositions de duels.»

Pénétrer la psychologie de personnages qui étaient secrets n’est pas un travail facile, mais c’est «passionnant», assure-t-il. Il lit tout ce qui a trait à ce personnage, et note leurs réactions face aux événements, leurs amitiés, leurs amours. «J’arrive à composer une sorte de mélange qui donne une idée à peu près exacte, j’espère, de ces personnages. C’est un melting-pot historique qui me réussit assez bien.»

Apparitions

Pratiquement toutes les nuits, il voit en rêve apparaître ses personnages. «Je vis avec eux, le jour et la nuit. Et la nuit, c’est très agréable, surtout avec les femmes!», dit-il en riant. Puis il ajoute: «Ce que je dis est vrai. Je me réveille le matin, je fais le recensement de mes rêves et je m’aperçois que mes personnages ont tenu une grande place parmi eux.»

Après tant d’années d’écriture, l’inspiration est toujours au rendez-vous. «Je crois que je suis béni des dieux, car je n’ai jamais manqué d’inspiration. Je me suis toujours attablé devant mon bureau, ma machine ou mes documents, avec l’envie de pénétrer dans le roman que je suis en train d’écrire. C’est une autre vie et on y trouve beaucoup de charme. C’est une passion.»

Les Rivales est le 110e roman de Michel Peyramaure, qui écrit depuis 70 ans. Il en a huit d’avance.

Il reviendrait volontiers visiter le Canada, «mais pas l’hiver»!

EXTRAIT

«Nous séjournions depuis quelques jours à Mantoue, dans le palais de la Reggia, à l’occasion des fêtes marquant l’anniversaire de François, l’époux d’Isabelle, quand un négociant de Rome convia Lucrèce à savourer un produit rapporté du Nouveau Monde: le tabac. Les feuilles séchées de cette plante exotique, roulées serré et allumées par un bout, dégagent une fumée opiacée que l’on inhale.

L’expérience ne fut pas concluante. Lucrèce, après en avoir tiré quelques bouffées, fit la grimace, ce qui me dissuada de l’imiter. Adriana, s’y étant risquée, vomit dans la cheminée. Quant à moi j’éprouvai un léger plaisir suivi d’une sensation d’écœurement, comme si j’étais ivre.»

— Michel Peyramaure, Les Rivales


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