Renaître après un traumatisme

Dans les années d'après-guerre, un enfant traumatisé était considéré comme foutu, se souvient Boris Cyrulnik.
"Dans les années d'après-guerre, un enfant traumatisé était considéré comme foutu", se souvient Boris Cyrulnik. | AFP/Armend Nimani

Dans les sciences physiques, le terme de résilience définit l'aptitude d'un matériau à résister aux chocs. Ce phénomène a donné son nom à un concept psychologique : à savoir un processus biologique, psychoaffectif, social et culturel qui permet un nouveau développement après un traumatisme psychique.

Le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, défenseur infatigable de ce concept, coorganise un congrès mondial, à Paris, du jeudi 7 au dimanche 10 juin, et sort un livre collectif qu'il a dirigé avec Gérard Jorland, philosophe et directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (Résilience, connaissances de base. Odile Jacob, 224 p. 23, 90 euros).

Le neuropsychiatre, qui a fait connaître en France le processus de résilience, en est un des grands spécialistes mais n'en est pas l'inventeur. D'autres, avant lui, ont défriché le terrain. Le concept naît aux Etats-Unis. On en attribue la paternité à Emmy Werner, professeur de psychologie à l'université de Californie à Davis.

Elle lance une grande étude, dans les années 1950, sur l'île de Kauai dans l'archipel d'Hawaï, sur un groupe de 837 nouveau-nés vivant dans des conditions très difficiles. Elle les suit, avec sa conseur Ruth Smith, psychologue clinicienne à Kauai, jusqu'à l'âge de 40 ans. Les enfants souffrent de carence affective, maltraitance ou abandon...

Mais, au terme de leur étude, les chercheuses constatent que, malgré leur enfance blessée, 28 % d'entre eux avaient pu apprendre un métier, fondé une famille et ne manifestaient pas plus de troubles que dans la population générale. Le fait que des enfants considérés comme perdus avaient pu prendre un nouveau départ malgré les coups du sort constituait alors une merveilleuse surprise. Elles s'interrogent sur les occasions qui leur ont permis d'avoir une vie normale. Les chercheuses américaines publient, en 1982, un texte qui fait date, Etude longitudinale d'enfants et de jeunes résilients. Les bases du concept sont posées. Par la suite, les chercheurs vont s'employer à définir les conditions qui favorisent ou contrecarrent ce processus.

"Dans les années d'après-guerre, un enfant traumatisé était considéré comme foutu, se souvient Boris Cyrulnik. Jusqu'aux années 1980, le misérabilisme psychologique nous faisait accepter la fatalité." A partir de l'observation des survivants des camps de concentration, des orphelins roumains et des enfants des rues en Amérique latine, le neuropsychiatre décide d'explorer, à partir des années 1990, la capacité de résilience des individus.

DONNER DU SENS À SON FRACAS INTÉRIEUR

Il distingue les facteurs génétiques et "épigénétiques", qui dépendent de l'environnement, de l'histoire individuelle ou collective. Au rang de l'héritage conféré par les gènes, il y a, chez tous les mammifères, 15 % de petits transporteurs de sérotonine, un neurotransmetteur impliqué dans le bien-être. Si le contexte est traumatisant, les effets du stress seront amplifiés pour ces petits porteurs. Mais les facteurs "épigénétiques", avec, au premier rang, les conditions de sécurité affective dans lesquelles grandit un enfant, sont autrement plus importantes que ce facteur génétique. "Un petit transporteur de sérotonine élevé dans un milieu affectif stable sera équilibré, poursuit le neuropsychiatre. A l'inverse, un gros transporteur élevé dans un milieu carencé va devenir vulnérable."

Un bébé insécurisé va répondre par un comportement de crainte à toutes les informations de la vie quotidienne. Mais si l'on améliore l'environnement, si on lui apporte sécurité et amour, le processus réparateur va reprendre très rapidement au niveau neuronal puis au niveau affectif.

Quels sont les facteurs majeurs qui entravent le processus de résilience après un traumatisme ? On en distingue trois : l'isolement, le non-sens et la honte. "Trois semaines d'isolement affectif et verbal suffisent à déclencher une atrophie limbique qui explique les troubles cognitifs de la mémoire et des émotions dont cette zone cérébrale est le support", analyse le neuropsychiatre. Par ailleurs, l'impossibilité de donner du sens à son fracas intérieur rend le traumatisé confus, hébété. "La mentalisation permet ce travail d'images et de mots, à condition de disposer d'un partenaire pour élaborer cette représentation et partager ses émotions", poursuit-il.

"La résilience s'installe lorsque le sujet parvient à réguler l'hébétude occasionnée par le traumatisme en puisant de manière salutaire dans un réservoir de protections qui vont l'aider à se préserver de la désorganisation psychique", écrit Marie Anaut, professeur à l'université Lyon-II, psychologue clinicienne, auteur d'un chapitre du livre Résilience connaissances de base. Quel est le socle de ce réservoir ? Les liens affectifs, bien sûr. Un professeur, un thérapeute, un modèle, bref une personne capable de redonner confiance. "On peut considérer que les attaches affectives sont l'un des éléments essentiels du processus de reconstruction après un traumatisme", poursuit-elle.

Les cultures, aussi, peuvent encourager un processus de résilience. Michel Tousignant, professeur associé au département de psychologie de l'Université du Québec à Montréal, a travaillé sur cette question. Quand un groupe est chassé de son pays, et isolé dans le pays d'accueil, les individus survivent difficilement. Mais, quand ce groupe conserve ses rituels qui confirment son identité, l'arrachement est moins difficile à vivre.

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