Par Bettie Nin – Paris

Lier l'art à la psyché par le langage, voilà le fil rouge dans l'œuvre de Ken Lum. Ce Canadien, membre de l'école de Vancouver (Riy Arden, Jeff Wall, Ian Wallace, Rodney Graham, Stan Douglas), aime le texte et se sert de mots pour analyser la machinerie humaine. L'exposition «The Way» à la galerie Nelson-Freeman présente donc un travail à l'apparence minimale d'où émerge des réflexions profondes sur la psychologie, l'identité et la société.

La dizaine d'œuvres réunies s'appuie sur le couple image/texte, forme/mot dont les publicités, communications visuelles et autres figures sont les archétypes. Des supports commerciaux qui inspirent généralement Ken Lum. Pour cette nouvelle exposition il simplifie à l'extrême graphisme et message pour que ne reste au final que la charge poétique de leur dialogue.

L'expérience va jusqu'à affirmer que de simples couleurs associées à des formes géométriques peuvent concrétiser un sentiment. From Anger to Forgiveness (De la colère au pardon) symbolise ainsi le passage du premier état au second par sept carrés colorés: rose, rouge, jaune, vert, blanc, bleu roi et fuchsia. Ken Lum y montre le pouvoir sémantique de la couleur c'est-à-dire le fait qu'une teinte évoque, parfois même inconsciemment, un sentiment.

Dans cette série des «From/to» les formes ajoutent également du sens, qu'il s'agisse de carrés (56 x 56 cm) les uns à côté des autres en ligne simple, From Monday to Friday (Du lundi au vendredi) ; ou en ligne double, The Twelve Steps to Recovery from Alcoholism (Les douze étapes pour guérir de l'alcoolisme) ; ou de rectangles en escalier, From Infancy to Late Adulthood (De la petite enfance à la vieillesse) ; ou encore d'une grande forme composée de trois fois trois petits carrés différents, The Paths from Rejection, Fear, Comfort and Acceptance (Les chemins entre le refus, la peur, le confort et l'acceptation).

Les couleurs franches sont imprimées en aplat, collées sur des plaques d'aluminium puis recouvertes de plexiglas annihilant tout expressionisme. Par le lisse, le sans défaut, l'artiste impose sa vision du créateur, celle d'un individu essentiellement pensant et non agissant. Ken Lum sait qu'une esthétique dénuée de gestuelle valorise l'idée. Quelques mots affichés (majuscule blanche classique), ou juste convoqués par le titre, invitent encore à penser plus qu'à regarder l'œuvre: rejection (refus), fear (peur), acceptance (acceptation), anger (colère), etc.

Qu'un dégradé de couleur, une rupture de teintes, une variation tonale et quelques mots expriment un cheminement psychologique, voilà de la poésie visuelle pure. Par une métaphore colorée des sentiments Ken Lum joue l'artiste psycho-sociologue.

De l'art thérapie? pas vraiment. Même si ces «From/to» évoquent la chromothérapie que les Egyptiens, les Chinois ou divers cultes anciens utilisaient pour guérir. De l'art sociologique? pas totalement. Mais il est vrai que le langage de la couleur, la psychologie de la couleur, sa symbolique s'avèrent souvent culturels.
Le travail de Ken Lum se situe ailleurs, dans l'envie de révéler plutôt que de cacher les failles de la psychologie humaine. La mécanique émotionnelle et cognitive est au cœur de cette série.

Il en va de même pour les «Pie Chart» qui s'inspirent de diagrammes circulaires ou camemberts statistiques. Leurs titres évoquent des sujets sérieux — Pie Chart 1: Social Media and Income (Diagramme 1: médias sociaux et revenus), ou Pie Chart 5: Drugs and addiction (Diagramme 5: drogues et dépendance) — tandis que l'absence de légende rend les figures indécodables. L'image dépourvue de commentaires, devenue autonome, semble alors plus présente. On peut mieux admirer les formes, les teintes et l'équilibre de la composition d'un tableau quand l'idée n'est pas formellement exprimée. Ken Lum débusque le beau où on ne l'attend pas et même pourquoi pas dans les rapports socio-économiques.

A côté, dans la série des «Path from/to» l'existence et ses potentialités sont symbolisées par des labyrinthes carrés bicolores, aux contrastes pêchues. La couleur imprimée éclate. L'artiste a encore évité toute personnification par le geste et use d'une forme classique, le dédale, motif récurrent de l'histoire de l'art.
Ce qu'il pointe n'est pas dans le visible: les titres sont la clé — The Path from Confusion to Clarity (Le chemin de la confusion à la clarté), The Path from Shallow Love to Deeper Love (Le chemin de la frivolité à l'amour profond), The Path from Sanity to Madness (Le chemin de la raison à la folie), The Path from Hope to Despair (Le chemin de l'espoir au désespoir).
Il affirme la complexité des chemins à parcourir et inclut la psyché du visiteur dans l'œuvre. Le regardant est alors inconsciemment Icare fuyant le labyrinthe conçu par Dédale pour le Minotaure... ...

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