Outreau : Eric Dupond-Moretti tue les Experts comme jadis on tuait …

Trois semaines après la sortie de « La bête noire », j'ai eu l'occasion de feuilleter ce livre d'auto-justification biographique1 et j'ai lu le passage concernant les Experts d'Outreau, j'en suis restée stupéfaite, puis diverses réflexions me sont venues à l'esprit. D'abord me suis-je dit, cet avocat ne doit pas avoir peur du ridicule ni craindre de passer pour une personne ignare ou de très mauvaise foi, pour oser écrire de telles stupidités à propos du travail des experts psychologues ! Pire, il doit vraiment prendre ses lecteurs pour des déficients intellectuels pour tenter de leur faire croire à de telles énormités. Et que doit -il penser au final des Magistrats et des officiers de police judiciaires qui nous missionnent régulièrement pour expertiser les plaignants ou les personnes mises en examen ?

Ce qu'il écrit à mon propos vaut le détour, juste après avoir invectivé le Professeur Jean-Luc Viaux il dit :
« Sa consoeur Marie-Christine Gryson-Dejehansart, qui pratiquait la méthode EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing), fondée sur les clignements d'yeux censés déceler la vérité sans coup férir, exerce toujours ; elle figure en bonne place dans le cortège des révisionnistes judiciaires qui s'efforcent de prendre leur revanche après leur débâcle d'Outreau. » (p. 176)

On connaissait le détecteur de mensonge, mais le « déceleur de vérité sans coup férir » ! Seul Eric Dupond-Moretti pouvait l'inventer !

Ainsi l'expert psychologue clinicienne que je suis et que l'on a décrit comme « appréciée et reconnue »2, ayant à son actif 600 expertises de victimes d'agressions sexuelles au moment de laffaire d'Outreau, utiliserait selon cet avocat la « méthode des clignement dyeux» pour démontrer que les enfants ont été violés !3 Et pour donner une apparence de crédibilité à ces invraisemblances, il évoque la technique du E.M.D.R.

Cette méthode existe certes, pas du tout sous cette forme caricaturale et sûrement pas dans le domaine des expertises. Mais ni lui ni son co-auteur Stéphane Durand-Souffland, Chroniqueur Judiciaire, n'ont fait preuve de sérieux en prenant ne serait-ce que la simple précaution de vérifier en quoi elle consiste. Ils auraient pu alors se rendre compte qu'elle n'est en rien diagnostique et qu'elle ne peut de ce fait être utilisée pour valider la parole d'un enfant agressé sexuellement. En effet, elle a été mise au point par Hélène Shapiro pour soigner les victimes de stress post-traumatique. Par ailleurs, et c'est facilement vérifiable, je ne figure pas dans l'annuaire très réglementé de cette thérapie pour la simple et bonne raison que je ne suis pas praticienne E.M.D.R. et que je ne l'ai jamais utilisée durant toute ma carrière de psychologue clinicienne et a fortiori lors de mes expertises !

A ce stade des clarifications, il me semble utile d'en dire plus sur cette thérapie : elle consiste - en substance - à faire exécuter certains mouvements oculaires qui opèrent une sorte de brouillage de la zone cérébrale visuelle lorsque la victime revoit la scène traumatique. L'E.M.D.R. fait partie des méthodes les plus efficaces pour soigner le stress post-traumatique telles qu'elles ont été répertoriées par David Servan-Schreiber 4 dans son ouvrage « Guérir ». J'ai eu le malheur de le citer lors du procès d'Outreau, car il était le best-seller du moment et les jurés étaient susceptibles d'en avoir entendu parler, et cela m'a été reproché par les détracteurs de cet auteur, bien évidemment.

Alors pourquoi l'avocat et le chroniqueur judiciaire ont-ils instrumentalisé cette technique du E.M.D.R, dans leur chapitre sur Outreau afin de de discréditer encore mes expertises auprès du grand public, 8 années après le procès? Il est vrai qu'elles étaient estimées logiquement comme étant les plus « dangereuses » pour la défense les enfants ayant été examinés au plus près des faits. (Les 5 contre-experts qui les ont confirmées sont intervenus beaucoup plus tard). Il est vrai que depuis la parution de mon livre « Outreau la vérité abusée », j'ai entamé travail de ré-information sur l'affaire d'Outreau qui dérange beaucoup cet avocat qui lui doit sa notoriété.

Voici l'explication de la référence à lEMDR : lors de ma déposition aux assises de St Omer où s'est déroulé le premier procès d'Outreau, j'ai précisé que les enfants que j'avais examinés - à la lumière de plus de 40 critères de l'examen psychologique et victimologique5 - étaient encore submergés par les images des scènes de viols en réunion qu'ils visualisaient douloureusement et revivaient avec émotion durant l'expertise. Ce constat sur leur visualisation était un indice de validité de l'envahissement lié au stress post-traumatique d'une part et il rendait donc pertinente l'utilisation de cette méthode neuropsychologique pour leur thérapie, ce que j'ai précisé. (Thérapie que je n'assurais pas, contre-vérité stratégique de son confrère de rupture, Maître Berton pour inventer une faute déontologique).

Cette histoire de vérité dans les yeux pour discréditer l'expert nest pas nouvelle, Me Eric Dupond-Moretti avait déjà tenté de faire passer une telle ineptie quelques mois après le procès de Saint Omer. Lors d'un autre procès pour viol, alors que je rendais compte de mon travail d'expertise, il est venu m'assaillir à la barre des assises de ses délicates vociférations : « Voici l'expert qui voit dans les yeux des victimes qu'elles le sont et qui ose encore se présenter dans une cour d'assises depuis Outreau » ! Je lui ai sévèrement rétorqué : « Maître vous dîtes vraiment n'importe quoi !» Il est reparti tout penaud et l'Avocat Général de conclure :
« Inutile Maître, il n'y a pas les médias cette fois ! » P 152 « Outreau la vérité abusée ».

Dernier coup bas pour terminer : sachant que je travaille en cabinet libéral, Eric Dupond -Moretti déplore - toujours dans son chapitre sur Outreau - le fait que j'exerce encore. Mais que n'a t-il demandé l'interdiction d'exercer mon métier de psychologue ou ma radiation de la liste des experts … tout simplement parce qu'il sait ses allégations sont des contre-vérités et qu'il n'y a rien d'objectif à me reprocher, ni à ma collègue, Docteur en psychologie, qu'il dénigre au paragraphe précédent avec le fameux épisode de la musaraigne. Il a extrait une réponse à un test et il a fait croire lors du procès en appel à Paris, que c'était parce qu'il y avait une musaraigne à longues pattes que l'expert aurait décrété que l'enfant avait été violé. Il précisé de manière erronée qu'elle était absente - tant la stratégie est odieuse - mais l'expert a assisté, interdite, au déclenchement d'un fou-rire initié par l'avocat et facilité par la grande tension qui régnait dans le prétoire, comme l'a expliqué Pascale Robert-Diard dans son article du MONDE en date du 13 Novembre 2008.6

Il est clair que les experts étant les seuls obstacles à ses demandes d'acquittements, nous discréditer publiquement est plus efficace qu'une demande officielle de radiation.

Peut-on envisager raisonnablement de déposer plainte pour diffamation contre la « bête noire » alors qu'il y a matière à le faire depuis longtemps? Si oui, quel avocat parmi tous ceux qui l'on surnommé « Acquitator » aurait le courage de nous défendre alors qu'il a réussi sa classique manœuvre d'inversion des culpabilités en faisant passer les experts d'Outreau pour des charlatans grandement responsables du prétendu fiasco judiciaire. (Avec le juge d'instruction dont il souhaite la suppression)

Nous avons une année pour le faire, à partir de la date de la parution du livre. Il vaut sans doute mieux attendre car la lucidité d'une petite partie de l'opinion commence seulement à se manifester et ce, grâce à la campagne de ré-information sur Outreau .7 IL faudra attendre qu'il y ait un véritable basculement de cette opinion. Ce qui ne devrait pas tarder puisqu'à la rentrée 1012 devrait sortir le film de Serge Garde, journaliste spécialiste de la pédo-criminalité et le livre de contre-enquête sur l'affaire de l'ancien rédacteur en chef à l'AFP Jacques Thomet.

Ces journalistes étaient présents à la Table Ronde du 24 Février 2011 à l'institut de Criminologie de Paris-Assas Panthéon organisée par le Docteur Gérard Lopez, Psychiatre, Expert Judiciaire, Président de l'institut de Victimologie - dont javais suggéré l'intitulé : « La parole de l'enfant après la mystification d'Outreau 8» et où j'ai présenté mon livre et où Pierre Joxe, ancien ministre devenu avocat denfants, a évoqué son tour d'Europe des tribunaux sattachant au traitement judiciaire des mineurs délinquant9. Les travaux de cette Table Ronde nous ont valu d'être taxés de « révisionnistes »... faute de trouver de véritables arguments pour critiquer nos interventions. Et c'est en m'appliquant ce terme qui se veut infamant, que l'avocat le plus célèbre de France termine le paragraphe qui m'est consacré dans son ouvrage.

Pour conclure : comment porter crédit à un ouvrage dont l'auteur est pris en flagrant délit de déformation de la réalité pour nuire à des professionnels dont le seul objectif est de participer à l'œuvre de justice sans incidence sur le financement de leur travail quelque soit le résultat du procès. Des professionnels intègres ne peuvent pas encore défendre leur honneur, judiciairement parlant . En revanche, pour Eric Dupond-Moretti, l'objectif d'hier, d'aujourd'hui et de demain est toujours le même, à savoir discréditer la parole des enfants victimes d'agressions sexuelles en discréditant ceux qui sont professionnellement capables de la valider. Eric Dupond-Moretti participe de la manière la plus efficace qui soit, à la régression de la protection des enfants victimes d'agressions sexuelles constatée par tous les professionnels depuis Outreau.

Les enfants d'Outreau passent encore pour des menteurs aux regard de l'opinion et lorsque l'aîné d'entre eux, Chérif Delay, devenu majeur a osé rappeler  - comme je l'ai fait - que 12 enfants ont été reconnus victimes de viols, agressions sexuelles, corruption de mineurs et proxénétisme, l'Ogre10 n'en a fait qu'une bouchée. Me Dupond-Moretti après l'avoir brutalement traité de menteur et de mythomane à la barre des assises au procès en appel à Paris, comme Chérif l'explique dans son ouvrage « Je suis debout11 », a réitéré ses propos dans tous les médias. Sa notoriété lui a permis d'invalider sur un mode terriblement destructeur la parole de l'aîné des enfants victimes d'Outreau déjà gravement traumatisé... il avait osé soulever la chape de plomb pour parler de leur souffrance oubliée et niée... il la fait taire une nouvelle fois!

Bravo l'artiste !12 ?

1Le surnom de « Champion de France des acquittements » semble mal vécu ...tout comme celui d'Acquitator

2Argument de Fabrice Burgaud à la Commission parlementaire confirmé par la Commission d'enquête des Services Judiciaires

3Il a même été dit lors de la Commission parlementaire que j'aurais hypnotisé les enfants pour les faire parler...!

4Voir « hommage à David Servan-Schreiber »

5Voir « Les expertises psychologiques »

6Evoqué par Frédéric Valandré dans son article sur Médiapart « Quand Super Dupond raconte laffaire Outreau »

7« Outreau, une autre vérité, 6ème étape de la ré-information sur Outreau »

8Voir le compte rendu sur le site orange « La vérité abusée »

9Il préparait son ouvrage « Pas de quartiers »

10Expression utilisée par Pascale Robert-Diard Chroniqueuse judiciaire.

11Co-écrit avec Serge Garde aux éditions du Cherche midi.

12En référence ironique à l'article de Pascale Robert -Diard tout aussi ironique et intitulé « L'artiste des prétoires » dans lequel elle évoque la stratégie du « terrorisme judiciaire » installée par cet avocat lors des procès pour viols.

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