Moi, Pierre Rivière : Dans les entrailles de la psychologie

En 1835, en France, dans le village d’Aunay en Normandie, le jeune paysan Pierre Rivière, tout juste âgé de 20 ans, assassine à coup de serpe sa mère, sa sœur et son petit frère. Mis en prison, il commence dès lors à rédiger un mémoire expliquant le pourquoi de son action. C’est ce texte qu’a choisi de mettre en scène la compagnie turque Seyyar Sahne, qui s’est représentée les 7 et 8 mars dernier sur la scène du lycée Sainte Pulchérie.

« Mais pourvu qu’on entende ce que je veux dire, c’est ce que je demande », nous dit Pierre Rivière dès les premières minutes de la pièce. Dans une mise en scène sobre à l’extrême, l’acteur, qui incarne le jeune homme, nous tient en haleine tout au long de son récit. Seul sur scène, il reprend l’ordre chronologique du mémoire paru au XIXème siècle et commence par expliquer, à un public silencieux, les peines vécues par son père en raison des agissements de sa mère. Ses premières paroles, prononcées dans un murmure, font froid dans le dos : « Moi Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère, et voulant faire connaître quels sont les motifs qui m’ont porté à cette action, j’ai écris toute la vie que mon père et ma mère ont menée ensemble pendant leur mariage ». Une longue tirade suit ces premières phrases, dans laquelle le jeune homme explique fiévreusement sa perception de la relation qu’entretenait son père avec sa mère. Histoire assez banale finalement, surtout pour l’époque, d’un couple qui ne s’est jamais aimé, mais que nous observons avec les yeux d’un être sensible, perturbé mais intelligent et conscient. Il donne des informations très précises sur les actions de sa mère envers son père, ce qui rend son discours presque factuel. Après avoir raconté l’histoire de son père, Pierre Rivière entre plus en détails sur sa propre personnalité, tentant d’exprimer les pensées qu’il a eues avant et après son acte meurtrier. C’est cette partie-là qui est peut être la plus intéressante, puisque qu’elle nous immerge dans l’univers psychologique du personnage. Comme guidé par Dieu, le jeune homme nous dit avoir commis ce parricide pour « délivrer » son père, et questionne dans le même temps et avec une lucidité surprenante la notion des règles dans la société, celle des lois humaines et celle de la justice.

Tout au long de la pièce, le jeu de l’acteur reste fébrile. Voulant insister sur la folie du personnage, estimant peut-être que le texte parle de lui-même pour ce qui est de la profondeur des mots, l’acteur reste dans l’agitation, si ce n’est physique du moins moral. Pour autant, son jeu aurait peut être gagné en puissance s’il nous avait fait un peu plus « ressentir » les mots et surtout leur psychologie. Mais c’est un exercice fort difficile pour un texte comme celui-ci, et il faut reconnaitre la belle performance qu’il nous a donnée à voir, tenant le personnage d’un bout à l’autre de la pièce.

Fidèle à ses promesses, le lycée Sainte Pulchérie nous a de nouveau proposé une pièce de théâtre ingénieuse, de qualité, en turc sous-titrée en français. Offrant sa scène à des compagnies turques, le lycée tente de réunir un public francophone et turcophone afin de leur faire partager ensemble un moment de théâtre. Un pari réussi, toujours très apprécié.

Amandine Canistro

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