"Marguerite et Julien" sort ce mercredi. Pourquoi l’inceste fraternel …


PSYCHOLOGIE - Marguerite et Julien sont fous amoureux depuis leur tendre enfance et ne se sépareraient pour rien au monde. Mais voilà, ces jeunes gens sont tous deux les enfants du même père, le seigneur de Tourlaville. Leur complicité fraternelle incestueuse est l'objet du nouveau film de Valérie Donzelli, en salles ce mercredi 2 décembre.

Une thématique rare? Pas tellement. Il suffit de penser, par exemple, au premier épisode de Game of Thrones, qui met en scène les ébats amoureux des jumeaux Lannister, Jaime et Cersei, cachés dans leur tour, jusqu'à ce qu'ils soient repérés par le jeune Bran, que Jaime pousse de la fenêtre sans une once d'hésitation.

Les listes de films et livres traitant de l'inceste fraternel sont longues. Dans la pornographie, l'inceste est l'une des thématiques de plus en plus recherchées par les internautes. Le sujet nous fascine-t-il?

"Oui", répond sans hésiter Lisbeth von Benedek, docteur en psychologie et psychanalyste, contactée par Le HuffPost. "C'est le sujet qui émerge en ce moment. Nous vivons dans un monde très instable, dans lequel les liens entre frère et sœur, qui sont vraiment uniques, prennent de l'importance", explique-t-elle.

Rappelons avant tout qu'en France, une relation consentie entre deux personnes ayant dépassé la majorité sexuelle n'est pas punie par la loi, même s'ils sont parents à un degré où le mariage est interdit.

Une attirance "naturelle et troublante" à la fois

Pour expliquer cette fascination, il faut comprendre, selon Lisbeth von Benedek, auteure de Frères et sœurs pour la vie et de La crise du milieu de vie, quelle est la forte symbolique qui entoure les relations entre frère et sœur.

marguerite et julien

Dès la petite enfance, ceux-ci ont une relation singulière, un attachement presque fusionnel. "On est devant le premier autre sexué, au même plan que nous, en dehors de nos parents", explique-t-elle. Frère et sœur incarneraient l'un pour l'autre l'idée du "même". Petits, faire la différence entre soi et son frère ou sa sœur est compliqué: il ou elle est une "image de soi-même". "Selon le psychanalyste C.G. Jung, la sœur incarne inconsciemment pour son frère la composante féminine", précise-t-elle, et vice versa. En grandissant, l'un comme l'autre parviennent à faire cette distinction: "ils ont intériorisé puis adopté les composantes psychiques de l'autre", poursuit-elle.

D'une certaine manière, c'est parce qu'on garde inconsciemment l'illusion de cette identité fusionnelle qu'on est si fasciné par ces relations amoureuses et consentantes entre un frère et une sœur. "Il est naturel et troublant pour le frère d'être attiré par sa propre dimension féminine projetée sur sa sœur; il en est de même pour la sœur vis-à-vis de son frère", ajoute la psychanalyste. Mais cela doit passer par une prise de conscience qui serait entravée par un passage à l'acte.

Catharsis

"Il existe en effet une certaine fascination pour le sujet", souligne de son côté Peggy Sastre, docteure en philosophie, contactée par Le HuffPost. "Mais c'est comme pour tous les tabous: les gens cherchent à savoir". Selon elle, regarder de telles fictions a clairement un côté cathartique.

La fascination serait d'autant plus forte que pendant très longtemps, l'inceste a été "un truc de riches et de dominants". Rois comme pharaons prenaient en effet l'inceste comme un privilège pour préserver leur lignée.

Evidemment, fascination distante, voire inconsciente, ne signifie en rien que la plupart d'entre nous aurait la moindre envie de passer à l'acte. "C'est l'effet Westermarck, un phénomène décrit chez les animaux et chez les humains, selon lequel le fait d'avoir été éduqué ensemble provoque un évitement des personnes d'une même fratrie", analyse-t-elle.

Sur la base d'une étude de psychologie morale menée par Jonathan Haidt, Peggy Sastre nous explique que même "lorsque tous les arguments d'une personne contre l'inceste sont contrés, ils continuent à être dégoûtés".

Dans une tribune publiée sur Le Plus de L'Obs, elle résume cette expérience de pensée:

"Julie et Mark sont frère et sœur. Lors de leurs vacances universitaires, il se rendent en France. Une nuit, ils dorment seuls dans une cabane près de la plage. Ils se disent qu'essayer de faire l'amour pourrait être intéressant et amusant. Au pire, ça leur fera une nouvelle expérience. Julie prend déjà la pilule, mais Mark met un préservatif, pour plus de sûreté. Ils apprécient tous les deux cette expérience, mais décident de ne plus jamais recommencer. Cette nuit deviendra leur petit secret, ce qui les rapproche encore plus l'un de l'autre. Qu'en pensez-vous? Est-ce acceptable?"

La grande majorité des participants, vous l'avez deviné, répond que ce n'est pas acceptable. Leurs arguments principaux sont toutefois aisément contrés: ils sont protégés donc ils ne prennent pas le risque d'avoir un enfant handicapé, en France, l'inceste entre deux personnes consentantes, mêmes si elles sont reliées aux premier degré, n'est pas illégal, ils ne sont pas traumatisés, c'est un secret donc la société n'en saura rien, ce n'est donc pas dangereux pour elle, ils sont tous les deux consentants, il n'y a pas de rapport de force, et ainsi de suite.

L'un des plus grands tabous du monde

marguerite et julien

"Ce rejet sur le plan théorique interroge sur les origines de la morale", souligne Peggy Sastre. Ces dernière années, la psychologie morale s'est par exemple penchée sur la notion "d'intuitionnisme social", selon laquelle nos jugements et positions éthiques sont avant tout intuitifs, avant d'être rationnels, factuellement expliqués ou influencés par les autres).

Au fond, l'inceste reste un tabou. Et pas n'importe quel tabou: c'est l'un des phénomènes les plus universellement prohibés, mis en avant par de grands anthropologues comme Lévi-Strauss ou Malinowski. Le tabou s'est transmis de génération en génération, de mythe en mythe, pour une simple raison: la perpétuation de l'espèce.

"Sans aucun doute, les tabous sont faits pour nous intriguer sur écran. De grands secrets sont révélés. On est face à un comportement interdit", résume sur le site Psychology Today la docteure en psychologie Vivian Diller. Selon les psychanalystes, ces besoins primitifs sont tapis au fond de nous et prohibés par notre conscience afin de vivre dans une société civilisée. Mais lorsque l'on libère ces instincts et qu'ils sont joués par d'autres, nous sommes fascinés par eux".

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