Les pères aussi ont leur grossesse

Prise de poids, nausées, voire vomissements, les futurs papas font aussi leur «grossesse». Baptisée couvade, elle toucherait un homme sur cinq.

«Un kilo par mois!» Christian n’est pas en train d’évoquer la progression du poids qu’il soulève en vue d’un concours d’haltérophilie, pas plus qu’il n’évoque l’augmentation de sa masse musculaire. A lire ce futur papa sur un forum dédié à la grossesse, ce serait plutôt l’inverse. Un kilo par mois, c’est en moyenne le poids pris par ce trentenaire depuis l’annonce de l’arrivée de son premier enfant. En résumé, le ventre de monsieur abrite déjà cinq nouveaux kilos, lui conférant une jolie forme arrondie... Le phénomène a un nom: couvade. Selon les estimations, un homme sur cinq développerait ce que d’aucuns désignent comme une «grossesse paternelle compatissante».

Une similitude troublante avec les symptômes classiques

S’il peut paraître mignon et touchant, le mimétisme peut se révéler bien encombrant. A la petite bedaine viennent s’ajouter une ribambelle de symptômes typiques de la grossesse qui disparaîtront une fois l’enfant né: nausées, pulsions alimentaires, mal de dos ou encore sautes d’humeur font partie des tracas de la couvade. De même, une augmentation des taux d’œstrogène, de testostérone, voire une modification de la prolactine (l’hormone de la lactation) et du cortisol (l’hormone du stress) a été observée.

Chez certains hommes, on constate même des douleurs et un durcissement au niveau des seins,

relève le Dr Francesco Bianchi-Demicheli, spécialiste en sexologie aux Hôpitaux universitaires de Genève.

Responsable de la consultation de gynécologie psychosomatique et de la médecine sexuelle au sein du Département de gynécologie et obstétrique, il voit régulièrement passer des pères «couveurs» sans que cela ne soit verbalisé. Car, relève-t-il, le phénomène est encore largement sous-diagnostiqué: «La plupart des hommes ne consultent pas, ou s’ils viennent, c’est pour accompagner leur femme enceinte.»

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André Berthoud

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Un constat également dressé par le psychologue André Berthoud. Fondateur du site

superpapa.ch, il offre aux pères en devenir de se réunir pour échanger autour de leur futur rôle. «En majorité, les hommes subissent la couvade sans en avoir réellement conscience, car faire le lien entre une douleur dorsale et la grossesse de sa femme n’est pas aisé. En général, on se contente de plaisanter sur la bedaine prise récemment en mettant la faute sur la bière.»

Des causes psychologiques difficilement verbalisables

Anxiété vis-à-vis de la grossesse de la femme, rivalité face au fœtus qui prend de plus en plus de place, identification à ce dernier, ambivalence envers sa future paternité, voire carrément envie d’accoucher, le phénomène est aussi psychique et par conséquent difficilement verbalisable. A cela s’ajoutent des remarques parfois blessantes de l’entourage face à ce qui peut être considéré comme un manque de virilité et de l’hypersensibilité, poursuit Francesco Bianchi-Demicheli.

Lorsqu’un homme présente des symptômes de couvade, il faut se demander s’il a été oublié, laissé de côté dans cet événement qu’est la grossesse,

où l’attention est focalisée sur la mère et le fœtus, car la couvade est l’expression d’une crise psychique non résolue.» Et d’ajouter que dans des cas très rares, d’aucuns peuvent aller jusqu’à développer une réelle psychose de la paternité.

Car la pression sur les futurs papas est bien réelle: plus question d’attendre patiemment dans le couloir la naissance de leur enfant et de filer arroser l’heureux événement avec les copains avant de reprendre le travail.

Les rôles ont changé et les pères ont souvent peur de ne pas être à la hauteur. Ils se demandent où est leur place,

résume le spécialiste. Alors, face à ceux qui peinent à investir le terrain, André Berthoud enjoint de ne pas rester dans l’attentisme et des approximations du style: «On verra bien une fois que le bébé sera là.» «Je leur conseille d’aller acheter un petit cadeau pour leur futur enfant. Cela leur permet de se projeter et de ne pas rester inactifs.» Avant le grand chambardement.

 

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