Les Grecs en proie aux troubles psychologiques

par Kate Kelland

LONDRES (Reuters) - Pour chaque suicide dans un pays en proie à une grave crise économique comme la Grèce, une vingtaine de personnes tentent de mettre fin à leurs jours.

Et derrière ces tentatives de suicide se cachent des milliers de cas supplémentaires de troubles psychologiques, tels que dépression, alcoolisme, stress, qui ne font jamais la "une" des journaux mais dont les conséquences sur le plan humain peuvent être profondes, soulignent des experts.

Si la crise dure, elle peut même condamner toute une jeune génération à des problèmes psychologiques en raison de tant d'années vécues sans le moindre espoir.

"L'austérité peut transformer la crise en épidémie", prévient David Stuckler.

"La perte d'un emploi peut conduire à une accumulation de risques qui peuvent faire basculer des gens dans la dépression et de graves maladies psychologiques dont il peut être difficile de sortir, particulièrement si les gens n'obtiennent pas les soins appropriés", ajoute ce sociologue à l'université de Cambridge, en Grande-Bretagne, qui étudie les conséquences sanitaires des politiques de réduction des dépenses publiques menées à travers l'Europe pour combler les déficits.

"Comme toutes les autres pathologies, une maladie mentale non traitée peut s'aggraver et se transformer en problème bien plus difficile à soigner par la suite."

Plus d'un jeune sur deux est au chômage en Grèce, où le désespoir de la population est de plus en plus manifeste.

Ainsi, il n'est pas rare de voir des groupes de jeunes déambuler dans les rues en se droguant. Un retraité qui a été retrouvé pendu mercredi a laissé un message dans lequel il explique crouler sous les dettes malgré une vie de dur labeur.

Les Grecs sont plongés dans une cinquième année consécutive de récession et ils n'ont guère d'espoir d'en sortir rapidement. Ils sont en outre contraints par leurs créanciers internationaux de subir une cure d'austérité draconienne, qui se traduit notamment par une réduction de l'offre de santé au moment même où elle paraît de plus en plus nécessaire.

CERCLE VICIEUX

Ceux qui ont un emploi ont pour la plupart déjà vu leurs salaires baisser et ils vivent dans la peur constante d'être le prochain à prendre la porte. Des recherches ont montré que ce profond sentiment d'insécurité peut entraîner de graves troubles psychologiques.

Peter Kinderman, professeur de psychologie clinique à l'université de Liverpool, prédit que les conséquences de cette crise seront rapides et spectaculaires. "Au lieu d'assister à une lente augmentation de l'épidémiologie des maladies mentales, nous assistons à ce que l'on avait prédit, c'est-à-dire que les conséquences économiques ont un impact rapide sur notre façon d'appréhender le monde", dit-il à Reuters.

Les troubles psychologiques ont eux-mêmes des conséquences sur le plan économique, ce qui alimente un cercle vicieux.

Dans une note préparée en 2011 pour l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), l'impact économique des maladies mentales, essentiellement par le biais d'une perte de productivité, est estimé entre trois et quatre points de PIB dans les pays de l'Union européenne.

David Stuckler insiste sur l'attention à porter aux jeunes adultes. "Il n'est pas souhaitable qu'ils sombrent dans une situation de chômage chronique", dit-il. "Car cela finit par accroître les coûts et la pression sur le système de santé à plus long terme."

En Grèce, le nombre de suicides, faible auparavant, a grimpé de 17% entre 2007 et 2009, et encore de 40% entre le premier semestre 2010 et le premier semestre 2011, selon une étude publiée dans la revue médicale Lancet.

ARBITRAGES BUDGÉTAIRES

Peter Lloyd Sherlock, professeur de politique sociale à l'université britannique East Anglia, rappelle que durant la crise financière en Argentine entre 1999 et 2002, les consultations auprès des établissements de soins psychologiques ont augmenté de 40%, selon des données gouvernementales.

Certains experts soulignent cependant qu'une crise économique n'entraîne pas nécessairement de dépression générale. Des pays confrontés à des problèmes économiques dans le passé, comme la Suède ou la Finlande, ont réussi à éviter une dégradation de l'état psychologique général de leur population en investissant dans des politiques de retour à l'emploi.

Au début des années 1990, la Suède a subi une grave crise bancaire suivie d'une hausse rapide du chômage. Pourtant, le taux de suicide a peu évolué. En revanche, en Espagne, la courbe des suicides a suivi la courbe du chômage à chaque crise bancaire des années 1970 et 1980.

Pour des experts, cette différence s'explique notamment par les arbitrages budgétaires effectués en matière de protection sociale, c'est-à-dire de soutien aux familles en difficulté, de prestations chômage ou encore d'offre de soins.

Peter Kinderman juge même que, dans le cas de la Grèce, "si on assiste à une reprise économique, beaucoup de gens pourraient se remettre d'aplomb assez rapidement avec optimisme et confiance en soi".

"Le message adressé aux responsables politiques est: 'remettez cette satanée économie en marche et nous nous remettrons à fonctionner'", ajoute-t-il.

Bertrand Boucey pour le service français

Leave a Reply