Le terrorisme du “AAA à AA+”

Le terrorisme du AAA AA+

16 janvier 2012 la tourmente politique et psychologique qui a secou lEurope, et la France en particulier, le vendredi 13 janvier,
tiens, un vendredi 13, est la fois extraordinaire, effrayante, stupfiante et absolument drisoire. Comme chacun ne
peut manquer de le savoir, car nous sommes dans un monde o lon sinforme et o lon est inform, avec autant de conscience quil importe,
il sagissait de la rumeur selon SP (Standard Poors) allait faire passer quelques-unes des plus vieilles nations dEurope, du
bord du prcipice, une premire chute vers labme A lire les dramatiques prsentations de lvnement, il faut bien avoir lesprit
quil ne sagit pas des ambitions dun Charles-Quint ou de lexpdition de lInvincible Armada, de la Rvolution franaise, dAusterlitz,
de Verdun ou de Hitler, non, mais du passage de la cotation de AAA AA+ (avec variations sur le thme selon les pays). Ainsi peut-on
mesurer les progrs formidables dont nous sommes redevables lavancement du Progrs dans lhistoire du monde, quant la relativit
perceptible des vnements, leur substance, selon la prsentation et le rapport qui nous en sont faits.

Voil donc quoi tient le sort du monde aujourdhui Mais le sort du monde, il faut le dire, ne nous empche ni de planifier nos vacances
de Pques, ni de nous prparer pour le dernier dner en ville. Lvnement formidable est drisoire, le sapiens qui le subit est
remarquable dans le registre du commentaire catastrophique et catastroph et, dans un mme mouvement, remarquable dans la drision extrme.
Reste, nous devons nous incliner devant lvidence, mme si nous la trouvons bien mal maquille, quvnement il y eut, et que lEurope,
en vrit, trbucha au bord du gouffre. Le Guardian eut mme lesprit (le 13 janvier 2012) de rappeler ce qui
faisait toutes les conversations Paris, que SP venait de porter un coup terrible Sarko et sa rlection

With less than 100 days until the first round of the French presidential race, the credit-rating downgrade in Paris will seriously
complicate Nicolas Sarkozy's already difficult bid for re-election. If France loses its AAA, I'm dead, Sarkozy told aides in October,
according to Le Canard Enchan. The president has staked his re-election on convincing France that he is the only person with the guts,
strength and character to save it from economic doom. The rating cut will seriously dent his image as the Caped Crusader of the financial
world.

Mais revenons aux choses srieuses, cest--dire la drision extrme dun vnement dune immense importance. Une interprtation nous a
paru intressante parce quelle nest ni financire, ni technique, ni politique-politicienne. Cest celle de Danny Schechter, sur
CommonDreams.org le 14 janvier 2012, et plus prcisment,
dans son interprtation, un mot qui nous attache singulirement : terrorisme, dans lexpression terrorisme financier

Now, our godlike financial ratings agencies have decided to degrade nine countries struggling to fix their financial crisis. The
decision by Standard Poors (Best renamed, It is now Standard to Be Poor) to downgrade credit ratings for France, Italy, Austria and
six other European countries signals those nations that Wall Street has them by the cojones. Their costs for borrowing will go
up.

They are being warned: We are in Charge. Do as we say! []

Interesting: the Financial Times used the term Vengeance in its report: The eurozone debt crisis returned with a
vengeance
on Friday as Standard Poor's, the credit rating agency, downgraded France and Austria, two of the currency
zone's six triple A creditors, as well as other nations not in the top tier.

SPs goal was not just about economics. It was political, to press Europes political leaders to move faster to please themi.e.,
suspend democratic checks and balances if needs be, and do what Wall Street wants ASAP!

It was an act of bullying []

Bloombergs report ends with a quote about dangers that the article glosses over: This decision could upset the positive
developments weve seen in Europe in the last few weeks, ECB Governing Council member Ewald Nowotny said. Thats the most dangerous thing
in my view. In short, we are all in the same crunch, being pushed around by the same avaricious interests.

Call it what it is: a system of financial terrorism.

Europe is not simply a passive victim hre its elites have been collusive and complicit with the lenders, taking massive loans and
often squandering the money.

Satyajit Das, a brilliant author and derivatives expert, writes on NakedCapitalism.com: Europe is on a road to fiscal
bondage.

Financially futile, economically erroneous, politically puzzling and socially irresponsible, the December 2011 European summit was a
failure. Only the attending leaders and their acolytes believe otherwise. German Chancellor Angela Merkels post-summit homilies about the
long run, running a marathon and more Europe rang hollow...
.

On ne peut que reconnatre combien le mot terrorisme est bien choisi, en ce sens quil renvoie au mot terreur, qui
caractrise fort bien les ractions diverses aux dcisions de notation, lesquelles deviennent, par le fait mme, des actes de
terrorisme. Rien ne sest pass, du point de vue conomique et financier, sinon la poursuite entte de la catastrophe,
et, comme lon sait, les commentaires sont mlangs et mme fortement souponneux sur le sens, y compris politique, des actes de ces
agences de notation, sur leurs motifs, y compris politique, et ainsi de suite ; dune faon gnrale, la notation est prsente comme
justifie techniquement ou, dans tous les cas, digne dun dbat, mais nullement du point de vue institutionnel ; il n y a,
videmment, aucune lgitimit (quel mot trange cette place) dans lactivit dune agence de notation, par rapport aux effets quelle
dclenche. Lacte lui-mme est limit une simple apprciation (une cotation), ce qui implique une considrable conomie de moyens. (Mme
si, par ailleurs, ces agences de notation sont luxueusement entretenues par de riches clientles, de riches dotations, ventuellement de
riches financements.) Tous les lments du terrorisme sont runis, sauf, bien entendu, le risque humain de la part des terroristes, qui
est en gnral trs rel et qui va jusquau sacrifice volontaire de sa vie par le terroriste.

Il faut galement observer combien ces notations ont t attendues dans une crainte terrorise depuis des mois pour le cas prsent, et
dans des conditions dapprciation apocalyptiques. (Le mot de Sarko, faisant dpendre sa mort politique en octobre dernier, de cette
menace de dgradation de la notation franaise.) Cette situation ressemble effectivement celle de lattente terrorise dune attaque
terroriste, comme on lobserve rgulirement depuis lattaque du septembre 2001 ; on ne sait quand elle va venir, on ne sait comment
elle va venir, on ne sait comment la prvenir, etc. Quil y ait des manipulations diverses derrire cette situation, avec toutes les
manuvres politiques du monde, cest lvidence mme ; mais ces manipulations ne crent pas la situation, elles
lexploitent sans la modifier ; cette situation, elle, tant une autoproduction dune psychologie en action acclre dans le sens de
la terreur face lhypothse, ou lhypothque de laction terroriste.

Il reste enfin constater lampleur extraordinaire des ractions, des effets, des consquences invitables qui sont attendre, par simple
enchanement des comportements puis des dcisions dcoulant du choc psychologique, cela, avant mme les consquences conomiques
(essentiellement, nous dit-on, le flot des investissements et les conditions financires en gnral), qui sont, elles, du domaine de la
spculation impliquant une acceptation aveugle de toutes les conditions imposes par le Systme dont ces agences de dotation sont issues.
Pour montrer comme un bon exemple cette sorte de processus, il y a, bien entendu, lexemple amricaniste daot dernier. Comme tout acte de
terrorisme, la dgradation de la notation des USA (de AAA AA+) na rien chang fondamentalement une situation effectivement
catastrophique mais elle a acclr une psychologie catastrophiste et le dsordre qui va avec, et cette situation ne cessant droder la
matire mme du pouvoir amricaniste, de favoriser autour de ce pouvoir et dans la situation gnrale des USA des vnements trs
dstabilisants (mouvement Occupy, ascension de Ron Paul, etc.). De mme, limage de la puissance des USA a t fortement rode
dans la perception des autres, avec des consquences indirectes dans nombre de domaines comme celui de la politique trangre, dans une
situation o cette perception tait ouverte cette dgradation. La dgradation de la notation a prcipit tout cela, comme
lon dit dune matire chimique qui prcipite une raction chimique.

Le terrorisme nihiliste du Systme

Les agences de notation ne sont rien en elles-mmes. Depuis quelles existent, on en a fort peu parl avant la priode actuelle. Leur
influence tait ngligeable dans la mesure o la souverainet des pouvoirs politiques (des tats) restait un facteur essentiel, avec la
capacit daction et de matrise de la matire conomique qui va avec. Les choses ont chang avec lvolution de ces dernires annes,
nullement cause dun dplacement de puissance conomique, ni mme cause de la globalisation dune faon intrinsque, mais bien cause
de lrosion acclre jusqu la dissolution de ce facteur structurel fondamental de la souverainet des pouvoirs politiques, et, par
consquent, de la lgitimit qui permet dagir avec autorit et sans contestation possible. La puissance et linfluence des agences de
cotation, qui sembleraient en gnral un signe de la toute-puissance du Systme, sont un signe de leffondrement du Systme en
gnral ; lexplication gnrale, qui vaut pour ce cas, est que ce Systme a paradoxalement dvor les structures qui lui permettaient
de maintenir sa puissance (jusquau dveloppement de sa surpuissance), dont justement la souverainet de pouvoirs politiques qui ne lui
taient en gnral plus hostiles depuis des dcennies (disons laprs-guerre jusqu limmdiat aprs-Guerre froide). Le paradoxe est donc
que la puissance des agences de notation sont un signe certain de leffondrement du Systme dont elles sont une manation.

Leurs caractrisation comme terroristes est parfaitement juste. Elles nont aucune lgitimit et elles frappent dune faon asymtriques,
en profitant des faiblesses de leurs cibles et en accentuant ces faiblesses dune faon irrsistible, en sappuyant sur une irresponsabilit
qui les rend quasiment invulnrables ; tous ces caractres forment une dfinition parfaite du terrorisme Ces cibles sont
principalement les pouvoirs politiques, totalement privs de lgitimit et qui sen remettent compltement au Systme ; lequel, pour
son compte et pour ce cas financier, impose dans laction publique de ces tats rduits aux acquts dun mariage indigne, dune faon
autoritaire et irrsistible, son domaine financier compltement dstructur et galement en cours deffondrement. Cette situation
compltement dissolue des pouvoirs politiques les fait ressembler des malades dont le caractre principal est la dpendance totale, la
manire dun drogu ou dun alcoolique, aux rgles, us et coutumes, dun systme financier galement en cours deffondrement.

Le fonctionnement terroriste du Systme dans le cas des agences de notation, effectivement vident, est de la catgorie la plus basse quon
puisse imaginer. Il sagit dun terrorisme compltement nihiliste, qui na aucune revendication structurelle susceptible de le lgitimer si
cette revendication tait rencontre. En ce sens, les agences de notation font partie dune sorte de terrorisme, qui est videmment propre
au Systme lui-mme, largement infrieure en cohrence politique, au terrorisme du type classique, disons, pour suivre la publicit en
cours, dal Qada et assimils, bref, du terrorisme islamiste en gnral, qui poursuit un but politique peut-tre critiquable et
contestable, mais qui a en lui-mme une justification structure. Les agence de notation ne poursuivent en aucun cas un but qui pourrait les
lgitimer, puisquelles sont, en substance, des agents systmatiquement dlgitimant et quelles ne peuvent tre rien dautre, nayant en
elle-mme aucune essence qui puisse nourrir quelque chose qui ait la moindre proximit de ce quon nomme lgitimit.

Bien videmment, les agences de notation nont aucune responsabilit propre dans cette situation dont elles font grand profit, et qui ne
cesse de dtruire par dstructuration et dissolution toutes les valeurs structurantes dune civilisation, ou, disons plus justement, les
restes piteux et pares de notre civilisation (dito, contre-civilisation par le fait). Elles sont devenues ce quelles sont parce
quun vide sest offert elles, et quelles lont videmment combl. Leur influence terroriste rpond la situation de vide quelles
occupent, et ce vide tant le rsultat de la destruction de la lgitimit politique. Cette destruction de la lgitimit politique, dans le
cadre dune situation intermdiaire (laprs-guerre et limmdiat aprs-Guerre froide) o les pouvoirs politiques taient dj asservis au
Systme, est bien leffet de laction destructrice de ce mme Systme. Il sagit, une fois de plus, de lillustration habituelle, de la
dynamique de surpuissance vers la dynamique dautodestruction, la folie autodestructrice du Systme consistant dans ce passage de la
puissance classique et bien gre la surpuissance finalit autodestructrice.

Linfluence des agences de notation, les diverses paniques quelle dclenche, les inquitudes remarquables dun Sarko pour sa rlection,
tout cela fait partie dun mme tableau qui na rien ni dconomique ni de politique et tout de la situation mtahistorique de la crise
deffondrement du Systme. Que les mthodes utilises soient qualifies de terroristes rencontre la nature mme de lvnement ; mais
il sagit dun terrorisme sans espoir, qui, mme, tue lespoir ; non pas le terrorisme tactiquement nihilisme de ceux quon qualifiait
de nihilistes au sens russe du XIXme sicle de ces expressions, mais un terrorisme nihiliste en substance, dont le but est la fois le
nant et le rien, ou, si lon veut, une sorte de situation dentropisation gnralise qui caractrise lobjectif gnral du Systme. La
chose se sera autodtruite selon les instructions avant darriver au but.

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