Le procès d’un thérapeute accusé d’inventer de faux traumatismes à …

Les parties civiles, Bernard Touchebeuf (2e à droite) et Sophie Poirot (à droite), lors d'une suspension d'audience lors du procès de leur ancien thérapeute M. Yang Ting.
Les parties civiles, Bernard Touchebeuf (2e à droite) et Sophie Poirot (à droite), lors d'une suspension d'audience lors du procès de leur ancien thérapeute M. Yang Ting. | AFP/MEHDI FEDOUACH

Gourou ou thérapeute ? Benoît Yang Ting, "humanothérapeute" autoproclamé, sera resté le grand absent de son procès devant le tribunal correctionnel de Paris. Poursuivi pour abus de faiblesse par deux anciens patients, il n'a pas pu assister à l'audience pour des raisons de santé. Seule sa femme Suzanne, elle aussi poursuivie, a occupé le banc des prévenus.

Durant trois jours, il n'aura pourtant été question que de lui et de ses méthodes thérapeutiques. A la barre, Sophie Poirot, 43 ans, et Bernard Touchebeuf, 58 ans, les deux parties civiles, ont décrit dans le détail comment cet homme, diplômé de psychologie, a étendu peu à peu son emprise sur eux au point de faire naître des souvenirs de traumatismes enfantins. Un viol par son père pour la première, des violences parentales pour le second. Des sévices qui, clament-ils aujourd'hui, n'ont jamais existé, mais dont ils se sont souvenu à tort à l'occasion de séances très particulières avec M. Yang Ting.

"NU SUR LE DIVAN PENDANT SIX À HUIT HEURES"

"Pendant trois à cinq semaines, on arrivait chez lui vers 7 h 30, on s'allongeait nu sur le divan et on restait immobile pendant six à huit heures", a raconté Sophie Poirot. Contraints de dormir le minimum et de s'alimenter le moins possible, ils devaient alors essayer de revivre les moments douloureux qui pourraient expliquer leur mal-être. "Au bout d'un moment, on ne discerne plus ce qu'on a vraiment vécu", a indiqué la jeune femme à la cour. La jeune femme a par ailleurs accusé M. Yang Ting de l'avoir amenée à entretenir des relations sexuelles lors de séances qu'elle devait payer. "J'étais devenue son objet sexuel", a-t-elle dit.

"M. Yang Ting me posait une serviette sur le visage rendant la respiration difficile et m'appuyait sur la mâchoire en disant 'c'est pas maintenant que tu as mal'", a détaillé pour sa part M. Touchebeuf, qui est allé jusqu'à se souvenir qu'au troisième mois de la grossesse, sa mère avait mis une aiguille à tricoter dans son utérus et s'était acharnée sur lui. "Grotesque, reconnaît-il aujourd'hui, mais il faut en être sorti pour le réaliser."

750 000 EUROS EN VINGT-DEUX ANS

Coût de la session thérapeutique : 22 500 euros. En douze ans, Sophie Poirot dépensera 238 000 euros. Bernard Touchebeuf, lui, en dépensera 750 000 en vingt-deux ans. En fait, a affirmé Sophie Poirot, "tout ce qu'ils [le couple] voulaient, c'était retirer votre argent". Chez les Yang Ting, tout est prétexte à facture. Ainsi, chaque faute d'orthographe dans les comptes rendus rédigés par les patients étaient facturées 50 euros.

Selon M. Yang Ting, dont le procès verbal d'audition a été lu à l'audience, ces méthodes lui ont permis de guérir des alcooliques, et même des drogués. "Je partage ma vérité", a-t-il dit aux policiers. Pour lui, le revirement de ces deux patients est le résultat d'une manipulation, orchestrée notamment par le mari de Mme Poirot. Et de démentir les accusations d'abus sexuels. "Pour moi, c'est le bien de l'autre qui est prioritaire", a-t-il dit. Quant au montant de ses prestations, il a déclaré : "l'argent est un moyen de faire comprendre à la personne la valeur des choses".

A la barre se sont succédé de nombreux témoins. Cité par les parties civiles. M. Jougla, ancien avocat, aujourd'hui très investi dans la lutte contre les sectes, a détaillé le mécanisme de manipulation dans lequel les deux plaignants sont entrés, comparant les méthodes de M. Yang Ting à celles de la scientologie. "Le faux souvenir est une partie de la manipulation", a-t-il dit. "Il permet à un nouveau système de valeurs de se mettre en place et de remplacer l'antérieur". "Pure construction intellectuelle", ont rétorqué les avocats de la défense, qui ont rappelé que M. Yang Ting avait bénéficié d'un non lieu sur la constitution de secte.

DÉRAPAGES SEXUELS TOLÉRÉS "PAR L'AIR DU TEMPS"

Des proches des plaignants ont expliqué comment ils avaient perdu le contact avec eux à partir du moment où ils ont commencé à fréquenter le couple Yang Ting. Une ancienne patiente a raconté comment, alors qu'elle avait du mal à trouver des souvenirs douloureux dans son enfance, M. Yang Ting lui a montré le compte rendu d'une autre patiente qui parlait du viol de son père pour lui montrer la voie. Elle aussi a raconté avoir eu des contacts sexuels avec le thérapeute. Et d'expliquer comme les deux plaignants qu'elle retournait le voir pour comprendre. "Il disait, il faut saigner jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'affect", a-t-elle dit.

Cités par la défense, plusieurs témoins sont venus défendre l'intégrité de M. Yang Ting. Ainsi, un psychiatre hospitalier, ami du couple, est venu expliquer qu'il ne voyait pas de problème lié à la nudité, "si c'est accepté par le patient", de même que les dérapages sexuels, qui sont tolérés par "nos usages, par l'air du temps". Claude Lise, sénateur de la Martinique, d'où est originaire M. Yang Ting, a lui aussi pris la défense du thérapeute : "les accusations portées contre lui sont invraisemblables et je n'ai jamais rien perçu de sectaire chez lui". M. Lise a dit par ailleurs son admiration pour "son intégrité, sa générosité et son engagement social en Martinique".

Impassible pendant les débats, Suzanne Yang Ting, la femme du thérapeute, poursuivie pour recel d'abus de confiance, a dénoncé à la barre des "accusations atroces et calomnieuses", défendant son mari, "un homme d'honneur", et se disant "atterrée" d'être devant la justice. Une défense qui n'a pas convaincu le procureur de la république Laetitia Felici, qui a dénoncé un "couple maléfique", qui s'est rendu coupable d'"abus de faiblesse par manipulation mentale". "Il n'y a rien de thérapeutique dans ce que fait M. Yang Ting", a-t-elle ajouté, dénonçant les actes d'un "charlatan machiavélique", pour finalement requérir 18 mois de prison avec sursis et 100 000 euros d'amendes contre l'humanothérapeute et 12 mois avec sursis contre sa femme.

"SÉDUIRE, INDUIRE, CONTRÔLER ET MENACER"

Citant Lacan, qui pratiquait des "prix extravagants", l'avocat de la défense Me Gibault a demandé s'il valait mieux faire une session de trois semaines qu'"une psychothérapie qui dure sept, huit, voire dix ans". Pour lui, les deux plaignants "n'étaient pas en état de vulnérabilité". "L'une est avocate, l'autre, consultant en management, a-t-il rappelé. Au cours des conversations, il y a des souvenirs qui remontent. Des vrais et des faux. Mais, est-ce que le tribunal est armé pour dire si tel souvenir est vrai, tel autre est faux ?", a-t-il souligné, avant de conclure : "Dans le doute, on s'abstient."

Peu avant Me Hillel, l'avocat des parties civiles avait détaillé les mécanismes de l'emprise exercée par M. Yang Ting. "Séduire, induire", mais aussi "contrôler et menacer", affirmant que ses clients avaient été "au service d'un charlatan dont ils étaient devenus des adeptes". Jugement le 12 juin.

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