L’aptitude psychologique innée – L’Orient

Avoir le sens de la psychologie innée, beaucoup de personnes en sont pourvues. En deux secondes, ils peuvent discerner parmi les camarades de classe, les ami(e)s et voisin(e)s les gens les plus aptes à « sympathiser » avec autrui, bien que ce terme leur soit parfaitement inconnu.
Ils étaient capables dès leur jeune âge de deviner du premier coup pas mal de choses. Par exemple, qu’un tel, parmi les gens cossus, aimait l’argent, et tel autre la famille unie. Ils savaient reconnaître les vieilles demoiselles qui recherchent la solitude pour mieux s’apitoyer sur elles-mêmes, et celles qui mènent une vie féconde et bien remplie, trouvant moyen d’étirer indéfiniment leurs journées pour loger les malades, les enfants pauvres du voisinage, les œuvres paroissiales, le mouvement politique des jeunes et le soin de leur foyer.
Ils savaient sur le bout des doigts la liste des mères qui étaient aimables et celles qui l’étaient moins. Ils avaient leurs critères pour en juger. Les gentilles étaient celles qui, d’un baiser, font passer un bobo, qui organisent des pique-niques, qui s’arrêtent de faire le ménage pour venir voir le vol en groupe des colombes ou le convoi d’une nouvelle mariée qui sillonne la route principale, qui assistent aux représentations théâtrales de l’école et sourient gentiment quand on leur offre au début du printemps un bouquet de marguerites fraîchement cueillies.
Mais ce n’est pas tout. Ils connaissaient aussi les autres, les criardes, mères de leurs petits voisins. Ainsi que madame « l’énervée » qui hurlait : « Pas de pieds boueux dans ma cuisine ! » Et son mari, sur le même ton : « Fichez-moi le camp de ce couloir ! » Et madame « l’agacée » : « Bon sang! Allez-vous vous taire et nous laisser en paix...? »
Pourtant, il y avait aussi les douces, qui disaient avec un sourire : « Si vous vous déchaussiez, mes petits, avant de traverser ce plancher fraîchement ciré ? » Ou bien : « Prenez donc gentiment l’allée, mes enfants, pour ne pas provoquer les aboiements du chien. »
Ils connaissaient toutes les boîtes à biscuits du quartier et quel genre de gâteaux chacune d’elles renfermait. Les dames à petits gâteaux étaient généralement celles qui savaient remarquer certains bambins qui avaient une nouvelle paire de patins à roulettes et qui prenaient le temps de rester sur le seuil de leur porte pour les encourager de la voix pendant qu’ils faisaient pour la première fois, en équilibre instable, le tour de l’immeuble.
C’étaient celles-là aussi qui remarquaient la paire de chaussures neuves que l’on portait ou la dent qui manquait, et qui disaient au « minimarket » quand on les rencontrait dans la boutique : « Tenez, Monsieur ! voici mes petits amis. Peut-être auriez-vous quelques sucreries pour eux ? »
Ils étaient à peine au jardin d’enfants qu’ils savaient reconnaître les personnes à qui on peut parler, celles qui comprennent quand un petit frère est arrivé dans la famille, ou quand le grand-père est mort, ou quand la maman a dû entrer à l’hôpital. Ce sont elles qui leur donnaient un rafraîchissant en été et du chocolat en hiver ; ce sont elles qui prêtaient une oreille complaisante à leurs malheurs et leur disaient des tas de choses gentilles et consolantes pour leur mettre du baume au cœur.
Tout gamins qu’ils étaient, ils savaient aussi reconnaître les meilleur(e)s parmi leurs professeurs. Le mot « vocation » eût été un bien grand mot pour eux, mais ils avaient vite « repéré » ceux qui souriaient en les aidant à mettre l’anorak sur leurs épaules et ceux qui leur permettaient de faire des dessins sur les cartes de vœux de Noël déjà écrites en classe. Ceux-là se plaisaient véritablement dans leur petit collège qu’ils aimaient vraiment. Les autres, ceux qui attendaient une promotion ou de plus beaux appointements, ou qui grillaient d’envie de se marier, ou bien encore qui préparaient un haut diplôme, ou qui avaient laissé leur caractère s’aigrir pour une raison ou pour une autre, ceux-là, les enfants étaient trop jeunes pour les comprendre. Tout ce qu’ils savaient, c’était que certains professeurs mettaient du soleil dans la classe, même quand le ciel était gris.
Ils imaginent qu’ils n’auraient pas été à même de comprendre alors, même si on le leur avait expliqué, que certains êtres naissent avec une aptitude particulière à s’intéresser aux autres, tout comme certains ont des dispositions naturelles pour le dessin ou la musique, alors que d’autres doivent se donner de la peine pour acquérir ces talents.
Innée, cette aptitude psychologique constitue un don précieux ; l’acquérir est aussi, en soi, une bénédiction. Certains y parviennent à la suite d’un drame dans leur vie ou encore après une période de retour profond sur eux-mêmes qui déclenche une éruption quasi volcanique. Un bouleversement de cette nature peut libérer une aptitude latente à sympathiser réellement avec les autres.

Sylvain THOMAS

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