Jiřina Prekopová : « Il n’existe pas d’amour sans conflits »

Jiřina PrekopováJiřina Prekopová

« J’ai commencé mon travail de psychologue bien avant d’étudier la
psychologie à l’université : petite fille, je me demandais comment me
comporter avec mes parents pour ressentir leur amour »
, se souvient, dans
l’un de ses livres, Jiřina Prekopová, psychologue qui a consacré toute
sa carrière professionnelle et toute sa vie à ce qui est de plus beau, de
plus fort et de plus fragile au monde : à l’amour. A l’amour
inconditionnel que, tout d’abord, les parents devrait offrir à leur
enfant, pour qu’il soit heureux dans la vie et pour qu’il puisse, à
son tour, s’aimer soi-même et les autres. Jiřina Prekopová :

« Je crois que l’amour est une valeur suprême. Sans amour, nous ne
serions pas de véritables êtres humains. Ce qui nous rend humains, ce
n’est pas la marque de notre voiture ni la somme sur notre compte
bancaire, mais ce sont nos relations avec les autres et aussi notre rapport
à la nature et aux animaux. Cela s’apprend dans le milieu familial.
Nulle part ailleurs, un enfant ne peut apprendre ce que c’est que
l’amour. »

Jiřina Prekopová est née en 1929 à Prostějov, en Moravie. Jeune
fille, elle rêve de voyager dans des pays lointains, de faire du théâtre
ou du journalisme. Finalement, elle se lance, dans les premières années
qui suivent le putsch communiste de 1948, dans des études de philosophie
et de psychologie à l’université d’Olomouc. Pas facile, pour une
fille sincère, courageuse, profondément anti-communiste et habituée à
ne pas cacher ses opinions. Elle termine ses études au début des années
1950, mais n’obtient pas son diplôme et les autorités lui interdisent
d’exercer le métier de psychologue.

Avec une bande d’amis, Jiřina Prekopová part alors dans les Sudètes,
au nord du pays, dans une région où le régime installe des exclus : des
opposants, des délinquants, des tziganes et des prêtres orthodoxes y
vivent aux côtés des Allemands qui ont échappé au rapatriement
d’après-guerre. Jiřina et ses amis deviennent enseignants dans une
école primaire et organisent toutes sortes d’activités destinés aux
enfants et aux adultes : spectacles de théâtre amateur, concerts,
célébrations des fêtes. Ils offrent aussi aux familles en difficultés
ce que l’on appelle aujourd’hui : « assistance sociale et
psychologique ». Dans une émission télévisée, Jiřina Prekopová
s’est souvenue d’une expérience de cette époque-là qui l’aura
marquée pour toute la vie :

« A chaque fois que je donne une conférence sur des enfants difficiles,
je me souviens d’un garçon, Pepík Lepiš, que j’ai eu en classe.
Chaque enseignant redoute un élève pareil : il était hyperactif,
agressif et incitait les autres garçons à faire des étourderies. Je
ressentais même de la haine envers lui et j’avais peur d’entrer dans
cette classe. Un jour, je l’ai vu écrire, correctement, dans son cahier.
Cela m’a émue. Je savais que cet enfant était délaissé, il vivait
seul avec son père alcoolique, sa mère était une prostituée et elle les
avait quittés. Instinctivement, j’ai caressé ses cheveux roux et je lui
ai dit : ‘Pepík, tu es un brave garçon, tu sais ? Voudrais-tu m’aider
à fabriquer des décors pour notre théâtre ?’ Il était ravi !
Finalement, nous avons eu une très bonne relation, je me sentais un peu
comme sa grand-mère et je ne l’oublierai jamais. »

Au bout de trois ans, les amis de Jiřina Prekopová quittent les Sudètes
et elle-même attrape le typhus. A l’hôpital, dans un état sérieux, la
jeune femme trouve sa vocation : celle de renouveler l’amour au sein des
familles. Rétablie de sa grave maladie, elle retourne chez ses parents et
exerce diverses professions ouvrières. Elle se marie à Valentin, un
ancien prisonnier politique slovaque à la santé fragile, du fait
d’avoir été forcé de travailler, pendant de longues années, dans des
mines d’uranium. Une raison peut-être aussi pour laquelle le couple
n’aura pas d’enfants.

En 1970, Jiřina et son mari quittent la Tchécoslovaquie communiste et
s’installent en Allemagne de l’Ouest. Jiřina Prekopová travaille
d’abord comme assistante dans une banque pour revenir, enfin, à sa
profession de psychologue : elle se consacre au travail avec des personnes
handicapées mentales et avec des autistes, s’intéresse à la
psychologie de l’enfant, écrit, entre autres, le célèbre ouvrage « Malý tyran » (Le petit tyran) sur les enfants dominateurs. Dans nos « sociétés autistes », comme les appelle Jiřina Prekopová, où chaque
membre de la famille est enfermé dans sa chambre, cloué devant la
télévision ou devant son ordinateur, il est essentiel, selon la
psychologue, que les gens réapprennent à communiquer pour que l’amour
puisse ressurgir. Jiřina Prekopová :

« Tout le monde a besoin d’amour, surtout les enfants et les jeunes,
et tout le monde le souhaite. Mais nous n’avons pas appris à s’occuper
de cet amour que nous voulons tant avoir. Les gens ne se rendent pas compte
qu’il n’existe pas d’amour sans conflits. Les hommes et les femmes
ont des goûts et des comportements tellement différents ! En voiture, en
faisant des courses et même en parlant : là où l’homme s’exprime en
deux mots, la femme fait tout un exposé. Des conflits surgissent aussi
entre parents et enfants, car leurs envies et besoins sont souvent
opposés. Le problème est que plusieurs générations de gens n’ont pas
appris à gérer ces conflits, donc à exprimer ce qu’ils ressentent, à
partager ce que ressent l’autre, à l’aimer malgré ses défauts. »

« Se réconcilier avant que le soleil ne se couche », nous conseille
Jiřina Prekopová, tout en constatant qu’en réalité, peu de gens en
sont capables et c’est notre éducation, dans nos familles d’origine,
qui en est responsable :

« A l’époque où nous étions petits, nos coups de colère étaient
punis de deux manières : nous étions soit giflés, soit renvoyés dans
notre chambre ou enfermés quelque part. Nous étions donc punis par
l’attaque ou par la fuite. »

Ces comportements, instinctifs et propres à tous les animaux, nous les
répétons, en cas de conflit, dans nos vies de couple et en élevant nos
propres enfants. Pour sortir de ce stéréotype, qui mène aux ruptures
familiales, Jiřina Prekopová nous propose le concept qu’elle a
développé, en s’inspirant notamment du travail de la psychologue
américaine Martha Welch, et qui s’appelle la thérapie ou la méthode de
l’étreinte. Le principe semble étonnement simple : le parent et son
enfant (celui-ci peut être adulte, ou encore une autre personne peut
remplacer le parent défunt), ou les conjoints, assistés par le
thérapeute, se tiennent fort dans les bras, parfois pendant assez
longtemps, et se disent, en donnant libre cours à leurs émotions, ce
qu’ils ressentent envers l’autre. Sans se lâcher, sans s’agresser,
sans s’enfuir.

Cette méthode qui permet d’apaiser toutes sortes de traumatismes,
connaît, malgré certaines voix critiques, un succès indéniable partout
dans le monde. Jiřina Prekopová et ses collaborateurs se concentrent ces
derniers temps surtout sur la prévention des conflits familiaux : avec cet
objectif, ils organisent, en République tchèque et ailleurs, des cours
d’une semaine ouverts aux professionnels et au grand public. Jiřina
Prekopová explique :

« Jusqu’à présent, nous avons formé, en République tchèque, une
centaine de personnes capables d’apprendre la thérapie de l’étreinte
aux autres. C’est avec beaucoup d’enthousiasme que ces personnes-là
transmettent leur savoir-faire à d’autres familles. Souvent, il s’agit
de sages-femmes, d’institutrices d’écoles maternelles, de prêtres qui
préparent les couples au mariage, ils s’intéressent tous à cette
méthode-là. Elle se répand un peu par le bouche à oreille et d’après
l’écho que nous en avons, il est évident que ça marche. »

Rencontrer Jiřina Prekopová, venue récemment à Prague à l’occasion
de la sortie d’un de ses ouvrages en tchèque, est un moment de joie.
Chez elle, l’amour, la chaleur humaine, l’empathie dont elle parle si
souvent, ne sont pas des mots vides de sens. L’amour est sa façon de
vivre, quelque chose que l’on ressent très fort en sa compagnie.

Jiřina PrekopováJiřina Prekopová

Jiřina Prekopová vit en Bavière, à Lindau, au bord du lac de
Constance. Souvent en route entre Lindau, Prague et d’autres villes
européennes, elle ne se prive pas du plaisir de conduire et même,
avoue-t-elle, de conduire rapidement, si l’occasion se présente. Depuis
le décès de Valentin, en 1986, Jiřina Prekopová vit seule. Avec
l’humour qui lui est propre et avec son joli accent morave, elle a
constaté, dans son portrait tourné par la Télévision tchèque : « Je
crois qu’à mes 82 ans, riche de toutes mes expériences, je serais une
épouse parfaite. »

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