« Je n’ai jamais vu une cruauté aussi raffinée »

Jean-Yves Hayez vous êtes pédopsychiatre, docteur en psychologie, professeur émérite à l’Université catholique de Louvain, dans quel état psychologique doivent être les quatre frère et sœurs d’Érezée, torturés pendant dix années par leurs parents ?

Ils doivent avoir l’impression d’être des choses sur lesquelles on peut exercer des violences perverses, en ayant donné des signaux d’alerte, mais sans jamais avoir été entendus. Ils doivent être dans un état de grand traumatisme, avec beaucoup d’angoisse. Pour s’accrocher, ils ont juste les derniers gestes d’aide avec le témoignage anonyme qui leur a permis de mettre fin à ces violences.

Grâce à ça, ils peuvent enfin se dire qu’il y a des adultes qui peuvent les protéger ?

Oui. Car ces enfants doivent avoir de gros doutes en eux, mais aussi sur ce qu’ils peuvent attendre des autres. Avec une perte de confiance en eux.

Ils doivent se demander ce qu’ils ont fait pour mériter d’être traités comme des chiens.

Et la carence affective ?

Ils doivent se demander pourquoi ils ne sont pas aimés de leurs propres parents, pas aimés et en plus «sadisés» (NDLR : victimes de sadisme).

La durée des faits les a délabrés ?

La récurrence des faits, mais aussi l’imprévisibilité des coups surtout venant des parents.

Il est normalement naturel pour des parents de protéger, d’assurer une certaine sécurité à leurs enfants. Alors, il faut s’imaginer ce que ces enfants, surtout les plus grands qui peuvent comprendre que la situation n’est pas normale, doivent ressentir. Ils doivent être traumatisés.

Le mot traumatisé, dans ce cas-ci prend tout son sens au niveau technique et psychologique ?

Oui. Ces enfants sont remplis d’images traumatiques où ils sont agressés sans pouvoir échapper à leurs bourreaux, avec une sensation de mort imminente. Il faudra les aider à se débarrasser de ces sentiments qui sont des sources anxiogènes. Ils doivent se sentir minables de ne pas avoir pu se défendre et douter énormément de ce qu’ils peuvent attendre de la vie. Ils doivent aussi se dire qu’ils ne sont pas dignes d’être aimés.

Est-ce qu’ils vont pouvoir se reconstruire ?

Il y a des enfants plus forts et d’autres plus fragiles. Il faut voir de quelle résilience ils vont être capables (NDLR : résilience, aptitude d’un individu à se construire, et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques).

C’est-à-dire ?

Après un tel choc, certains enfants peuvent être démolis, abattus. Avec des possibilités d’anorexie grave, de tentatives de suicide. Une souffrance qui sera continue si l’aide apportée n’est pas la bonne.

D’autres enfants cicatrisent vaille que vaille, et peuvent présenter des bouffées de violence quand ils ne vont pas bien. Comme un volcan en souffrance, susceptible d’entrer en éruption. Ces enfants sont des bombes à retardement possibles.

Il y en a qui s’en sortent ?

Certaines blessures peuvent cicatriser (sans disparaître du psychisme), surtout si on place ces enfants dans de bonnes conditions environnementales avec un bon traitement psychologique.

Dans les cas de maltraitance pour enfants, il y a des nuances différentes ?

Il y a des parents qui n’ont pas les nerfs assez solides et qui battent leurs enfants à un moment donné. Mais ici, c’est différent. Il y a un raffinement du plaisir pervers. Ce n’est pas l’œuvre de parents qui sont quelquefois à bout de nerfs.

Il y a, dans cette affaire, un vrai sadisme. Une volonté de cruauté avec une humiliation terrorisante. On pressent une cruauté raffinée d’un parent qui a une emprise sur son enfant, une perversion avec jouissance sexuelle.

C’est ce que vous redoutez ?

Il n’est pas rare que dans des familles avec des parents sadiques qui ont eu un comportement pervers, qu’un père pervertisse l’un ou l’autre des enfants.

Par exemple, un père oblige un fils pré-ado à commettre certains actes avec une des filles. Quand ces choses arrivent dans des familles sadiques, cela demande un accompagnement spécial.

Une histoire comme celle d’Érezée, dans votre long parcours professionnel, vous en avez déjà vue avant ?

Je ne me souviens pas de quelque chose d’aussi raffiné (NDLR : en psychologie, comprendre dans le sens de poussé dans la perversion) dans le sadisme en Belgique.

 

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