Interview de Jared Tendler : "apprenez à gérer votre charge …

27.05.2012

A quelques jours des World Series of Poker, PokerStrategy.com s'est entretenu avec le spécialiste de la psychologie du jeu Jared Tendler. Que vous ayez prévu d'enchaîner les tournois ou que vous vous apprêtiez à disputer votre premier Main Event, Jared vous apporte quelques bons conseils qui vous aiderons à vous préparer mentalement aux WSOP.


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"On trouve facilement le moyen de s'autodétruire" : le grind des WSOP

AdminPokerStrategy.com : salut Jared, merci de nous consacrer un peu de temps aujourd'hui pour nous parler des WSOP. Pour commencer, un joueur peut-il facilement s'épuiser en enchaînant 20 à 30 tournois sur 3 ou 4 semaines ?

JaredTendler : c'est extrêmement facile, surtout si vous n'avez pas trop l'habitude de ce type de grind, parce que ce qui compte ici ce ne sont pas seulement les tournois, mais aussi ce que vous faites en dehors du temps de jeu.

A partir de là, on trouve facilement le moyen de s'autodétruire, avec le poker d'une part, mais aussi... bon, c'est Las Vegas, donc la fête peut aussi régler votre compte. Les joueurs de poker peuvent rapidement tomber dans le piège : c'est excitant, il y a plein de choses à faire, il y a du monde et c'est vraiment amusant.

AdminPokerStrategy.com : alors, faut-il que les joueurs fassent attention et veillent à ne pas "s'autodétruire" ?

JaredTendler : il faut avoir un plan d'action : fixez-vous des règles, définissez des objectifs, déterminez ce que vous avez l'intention d'accomplir, à combien de tournois vous allez participer, mais aussi dans quelle forme vous vous trouvez. Ce dernier élément vous permet déjà de faire certains choix. Si vous voulez en profiter à fond, si vous voulez jouer tous les tournois, c'est un peu comme si vous partiez comme une bombe dès le départ... A vous de voir combien de temps vous tiendrez avant de vous épuisez.

Une autre approche consisterait à bien planifier les choses, à savoir combien de temps vous pouvez jouer avant d'être trop fatigué. Ensuite, il faut vous fixer des objectifs très précis et des règles rigoureuses concernant le temps à consacrer aux sorties et aux amis. Je pense que ce serait une erreur de réduire ce temps à 0, donc amusez-vous. Accordez-vous un peu de temps pour déconnecter mais essayez juste de ne pas sortir cinq fois dans la semaine ou la veille d'un tournoi.

"Repousser ses limites aux WSOP est éprouvant" : l'entraînement et le temps de récupération

AdminPokerStrategy.com : c'est justement le sujet de la prochaine question : entre les tournois, faut-il continuer avec des cash games et s'immerger 24h/24 dans le poker ; ou faut-il s'accorder des pauses pour déconnecter ?

JaredTendler : à chacun de savoir ce qu'il doit faire pour se détendre. Le cash game est reposant en principe, mais n'en faites pas un marathon, ne jouez pas pendant 12 heures. Jouez quelques heures pour vous détendre, mais pas plus. Certaines personnes ont besoin de passer du temps en dehors du casino. Même s'il fait une chaleur torride, rien ne vous empêche de vous prélasser au bord de la piscine, d'aller à la salle de gym... cette pause doit vous permettre de recharger vos batteries, c'est donc ce qu'il faut chercher à faire.

Quoi que vous fassiez habituellement pour vous détendre chez vous, trouvez le moyen de le faire à Las Vegas. Ce sera peut être compliqué dans un endroit aussi peu ordinaire, mais si pour vous cela consiste à sortir et à boire quelques verres, alors faites-le. Mais encore une fois, avec modération, en restant dans un objectif de récupération.

AdminPokerStrategy.com : on fait facilement l'analogie entre l'exercice physique et l'aspect mental du jeu, tu as d'ailleurs utilisé le mot "marathon". Si on a l'intention de sortir et de participer à plusieurs tournois dans le temps restreint des WSOP, et cela pour la première fois, recommanderais-tu un entraînement au préalable, avec beaucoup de jeu live ou de tournois ?

JaredTendler : oui, je conseillerais de s'entraîner. Avec le temps qu'il reste aujourd'hui, c'est un peu tard, mais il n'est sûrement pas trop tard pour une ou deux "sessions de préparation". Si vous n'avez pas l'habitude de jouer en live ou de faire des sessions longues, une ou deux sessions feront l'affaire.

Mais se lancer vraiment et repousser ses limites aux WSOP est difficile. C'est comme dire "je veux courir un marathon" et partir le faire aussitôt, pour voir si on en est capable. Pour illustrer cela, j'utilise le concept de "charge mentale" : on cherche à augmenter sa capacité à penser au poker pendant de longues périodes ; mais c'est très difficile à faire si l'on n'a pas suffisamment de ressources à ce niveau-là.

Si vous ne vous êtes pas suffisamment préparé, vous devrez vraiment puiser au plus profond de vous-même pour parvenir à mieux gérer votre charge mentale.

AdminPokerStrategy.com : que conseillerais-tu aux joueurs de faire pendant les pauses, après 3 à 4 heures de jeu ? Comment utiliser ces 15 minutes ?

JaredTendler : je pense que les joueurs font déjà ce que je recommanderais, c'est-à-dire parler de leurs mains, évacuer la pression. C'est une bonne chose car cela aide notre cerveau à gérer les informations qu'il reçoit. En effet, il peut arriver que l'on soit fatigué à cause de ce que j'appelle un cerveau "ballonné", l'équivalent - pour le cerveau - de la sensation d'avoir trop mangé. Ce n'est pas une fatigue physique mais un état dans lequel vous avez fait ingurgiter trop d'informations à votre cerveau et cela vous freine.

Parler de vos mains, évacuer tout ça, "digérer", c'est très bien ; mais vous avez aussi besoin de penser à autre chose pendant cinq minutes, d'avoir un véritable sas de décompression pour vous détendre, de sorte qu'en attaquant le niveau suivant, vous pourrez vous concentrer à nouveau sur vos objectifs dans le tournoi ou dans les WSOP en général. Ce sont vos objectifs qui vous guident.

"Ce sont vos objectifs qui vous guident" : préparez-vous

AdminPokerStrategy.com : quels problèmes devra anticiper un joueur qui n'est pas suffisamment préparé ?

JaredTendler : évitez d'être gonflé à bloc avant un tournoi. Si ce sont vos premiers WSOP ou que vous êtes surexcité à l'idée de participer au Main Event, c'est une bonne chose, mais ne vous attendez pas à rester concentré pendant 10 à 12 heures non-stop. Vous devez tracer lentement votre route dans le tournoi et veiller pour ce faire à lever le pied.

Le célèbre golfeur Jack Nicklaus avait très bien résumé cela. Il disait que son niveau de concentration évoluait par vagues, atteignant des pics quand il réalisait un coup, et retombant le reste du temps. C'est le même principe pour un joueur de poker. Si 0 correspond à un niveau de concentration nul et 5 à votre niveau de concentration maximal, alors vous devez vous trouver entre 3 et 5 quand vous n'êtes pas dans un de ces moments où vous essayez d'analyser les moindres détails de la partie ; sans quoi vous avez toutes les chances d'épuiser vos ressources et d'être plus fatigué au moment où vous aurez le plus besoin de vous concentrer, c'est-à-dire lors des dernières phases du tournoi.

A l'inverse, il ne s'agit pas d'être complètement inattentif, d'être distrait au point de bouquiner pendant le tournoi. Votre concentration doit être "détendue", c'est-à-dire que vous devez recueillir des informations d'une façon décontractée. En faisant le tour de l'Amazon room, j'ai vu des joueurs dont je peux dire qu'ils n'iront pas loin. Ils sont distraits, ils lisent un livre, parfois un joueur lit même mon propre livre et là je me dis "putain mais qu'est-ce qu'il fout ?!"

AdminPokerStrategy.com : pourtant la plupart des gens préfèrent parler de bad beats au lieu d'avoir une analyse constructive...

Oui, il y a une différence entre s'épancher pour se plaindre d'un bad beat et faire quelque chose de réellement constructif. Si vous êtes vraiment sur les nerfs, vous décharger en parlant peut être efficace. Mais faites-le dans l'optique de mieux vous ressaisir pour repartir du bon pied, au lieu de le faire pour le simple plaisir de pleurer dans les bras de vos amis.

La pression monte : comment préparer votre premier Main Event

AdminPokerStrategy.com : bon, recentrons-nous maintenant sur le cas plus commun du joueur qui s'apprête à participer à son premier Main Event. Que doit-il faire pour être sûr de ne pas gâcher cette opportunité ?

JaredTendler : je pense que le plus important pour lui est de connaître ses faiblesses, et ce autant d'un point de vue stratégique que mental : la pression se fera-t-elle sentir dès votre arrivée ? Risquez-vous davantage le tilt avec le rythme du poker live ? Sortez faire quelques parties de poker live pour gagner de l'expérience et anticiper les réactions que vous pourriez avoir sous la lunette grossissante du Main Event.

Le stress révèle nos faiblesses. C'est ce que nous aimons dans le sport de très haut niveau : l'importance de l'évènement et l'attention portée sur les sportifs met la pression sur eux. Certains en tirent profit et repoussent leurs limites habituelles, alors que d'autres craquent complètement. Vous devez essayer de faire partie de la première catégorie, et pour cela, la seule solution est de connaître vos points faibles et de savoir comment les corriger, grâce à un travail effectué au préalable.

AdminPokerStrategy.com : en parlant de stress, terminons cette interview avec une question sur le très attendu Big One for One Drop à 1 million de dollars de buy-in. Personne n'a la bankroll pour un tel buy-in, et ce sont des sommes faramineuses. Quel est l'impact sur les joueurs, même les plus expérimentés, en termes de pression ?

JaredTendler : d'après moi c'est exactement la même chose que pour les autres joueurs. Cela dit, j'espère qu'à ce niveau-là, certains des joueurs ne seront pas surpris par le stress qu'ils vont rencontrer. Parmi les meilleurs, certains joueurs ont l'impression d'être moins exposés à ce risque, ils se sentent plus facilement en confiance. Or s'il ne connaît pas ses faiblesses, même le meilleur joueur du monde peut un jour succomber à la pression et cela se répercutera sérieusement sur sa capacité à prendre de bonnes décisions, et donc sur ses performances.

AdminPokerStrategy.com : et bien, merci beaucoup pour tes conseils et pour le temps que tu nous as consacré !

Jared Tendler est coach mental pour le golf et le poker. Son premier livre, The mental game of poker (co-écrit avec BarryCarter, membre de l'équipe éditoriale de PokerStrategy.com), est en vente sur ce site.

Cette interview a été réalisée par MJPerry

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