Grandir loin de Cracovie

Marion Police

morges@lacote.ch

Paula Cieśla dit qu’elle n’a pas l’habitude de raconter son histoire, et pourtant elle le fait très bien, cachant le rose de ses joues derrière quelques cheveux dorés. A 23 ans, la jeune femme originaire de Cracovie a trouvé sa voie dans la psychologie qu’elle étudie à l’Université de Lausanne. «J’ai réalisé que c’est ce que j’ai toujours voulu faire», déclare-t-elle sereine. Paula a quitté la Pologne en 2006, à 14 ans. Son père, au chômage, avait décidé de tenter sa chance en Suisse, ayant des contacts sur place. «Il faisait des allers-retours, et puis vu que le travail qu’il exerçait était peu commun – restaurer des voitures de collection –, il a pu avoir des papiers assez facilement et a pu nous faire venir», explique l’étudiante. Seulement voilà, «je n’étais pas d’accord de partir», enchaîne Paula.

Pour la jeune femme, 14 ans est le pire âge pour faire déménager un enfant, surtout un enfant unique: «J’étais très attachée à ma famille et à mes amis. Je vivais dans une grande maison en bordure de forêt, à côté de mes grands-parents et de ma tante. On se voyait très souvent. J’avais beaucoup d’animaux aussi et ça m’a fait mal de les laisser là-bas». C’est donc à regrets que Paula Cieśla quitte ses attaches pour s’installer dans un appartement à Gland: un choc pour l’ex-citadine. «A cause de mon état d’esprit, j’étais contre tout ce qui était Suisse et je ne voyais pas le positif», lance-t-elle dans un rire.

Recommencer de zéro

La Glandoise d’adoption est dirigée vers la classe d’accueil du collège du Rocher à Nyon, une période difficile puisque personne ne parlait la même langue. «Je me sentais vraiment seule. Les Portugais et les Albanais se mettaient ensemble, mais il n’y avait pas d’autre Polonais», raconte-t-elle. Cependant, c’est l’enseignante de cette classe qui a un peu redonné le sourire à l’adolescente d’hier. «Elle était très gentille et polyglotte, j’étais contente quand je la voyais», se rappelle Paula Cieśla, une certaine tendresse dans le regard.

Après une année, elle passe en 8e VSG à l’école secondaire de Gland. Encore un moment compliqué puisque tous les autres sont francophones et que la jeune fille est timide. «Il y a eu un déblocage lors d’un échange linguistique en Allemagne, je me suis fait quelques amis», explique-t-elle. Ces épreuves ne l’empêcheront pas, cependant, de rafler le prix de math et celui d’excellence à la fin de sa scolarité obligatoire. Paula Cieśla en rougit.

Mais, bien que de l’extérieur les choses semblent aller mieux, la jeune femme prépare sa fuite. Elle en rit aujourd’hui: «J’appelais mon grand-père et on cherchait un moyen pour que je revienne vivre avec lui. J’avais même contacté des écoles polonaises». Pourtant, ses parents ne cèdent pas, l’adolescente se résigne et débute le RAC (année de raccordement pour gagner le gymnase): c’est durant cette année qu’elle rencontrera ses meilleurs amis et commencera à se sentir bien. Puis, elle entre au gymnase, dont le système lui apparaît plutôt facile. «En Pologne, on peut toujours avoir des tests surprises. J’étais donc habituée à étudier systématiquement en rentrant chez moi. Ici, j’avais moins d’efforts à fournir», glisse-t-elle dans un sourire. Elle assure en revanche qu’elle n’aurait sûrement pas appris l’espagnol et l’italien, les cours de langues se prenant plutôt à l’extérieur dans son pays.

Un cœur binational

Désormais à l’Unil, avec un master en psychologie légale qui lui trotte dans la tête, la jeune femme se demande parfois si sa vie aurait été différente en Pologne: «La Pologne me manque, j’y retourne une fois par an. Mais ici j’ai appris à m’ouvrir, parce que j’ai été obligée de parler aux gens pour apprendre la langue».

Paula Cieśla a été naturalisée en février
2015, un choix mûrement réfléchi. «Je me sens Suisse, j’ai passé beaucoup de ma vie ici. Mais, je n’exclus pas de retourner en Pologne un jour», conclut-elle. L’étudiante a d’ailleurs eu l’occasion de faire découvrir Cracovie à des amies suisses durant l’été, un voyage qui lui a permis de lier deux parties d’elle-même.

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