Il cite volontiers Nietzsche, Yves Michaud ou Konrad Lorenz et vide, chaque mois, les chargeurs de son pistolet automatique Glock 26 au stand de tir. Sa culture est aux confins de la psychologie, de l'ethnologie ou de l'thologie, mais son quotidien est peupl d'athltiques policiers, portant cagoule, aux manires rugueuses. Il s'entrane aux techniques d'intervention alors que la non-violence lui est cheville au corps. y regarder de loin - et surtout un peu vite -, Christophe Caupenne incarne les paradoxes.

Commandant au Raid (Recherche Assistance Intervention Dissuasion), ce superflic de 45 ans, mari et pre de quatre enfants, est pourtant un parangon d'quilibre. Pur produit de la police judiciaire, ayant fait ses premires armes dans la rpression du banditisme puis un groupe criminel Cergy, ce Bordelais d'origine, qui a failli embrasser la carrire militaire par got de l'adrnaline, change de trajectoire au dbut des annes 2000.

Sans crier gare. Un ami me dit que le poste de “chef ngociateur” se libre au Raid, se souvient Christophe Caupenne. Historien de formation, je ne connaissais pourtant rien la psycho… Ses atouts rsident alors dans un vrai savoir-faire de terrain, un sourire qui inspire confiance, une voix suave et une solide tchatche.

Mais cela ne suffit pas, lche-t-il. On nous appelle quand tout a chou. Radiologue de la noirceur humaine, Christophe Caupenne a d apprendre forcer les cloisons mentales les plus complexes, avant que les groupes d'assaut fassent sauter les portes d'appartement. Form la facult de mdecine de Paris, o il a dcroch un diplme d'expertise mentale, il a appris voluer en territoire pig, o la mort guette. En dix ans de ngo au sein de son unit d'lite retranche Bivres, cet officier atypique a accompli plus de trois cents missions. La mmoire d'un ngociateur du Raid connat un bien trange tour de France de la misre humaine, raconte Caupenne. Je suis l pour sauver des vies, souvent celles de gens en dtresse absolue, frustrs et rvolts, qui osent des actes fous, faute de se faire entendre…

Au travers d'un tmoignage captivant (Ngociateur au Raid, Le Cherche Midi), cet expert brosse une effrayante galerie de portraits. Deux fois par mois, le Raid intervient sur des forcens barricads et prts en dcoudre. Les plus dangereux sont les combattants, passionns par les units de combat dites spciales et s'affublant d'effets militaires pour un dernier baroud, l'image de ce trentenaire en tat psychotique avec dlire de perscution retranch dans son domicile de la rgion parisienne, aprs avoir rou de coups son pre. Ceinture noire de karat, collectionneur de pistolets automatiques, ultra-intelligent et parlant cinq langues, ce paranoaque a t matris in extremis. Il n'y a que 50 % de chances de tirer ce type d'individu par la ngociation, dplore Christophe Caupenne. Sinon, il faut aller le dloger par la force avec les risques qu'on imagine.

80 % des cas critiques se rsolvent grce la ngociation

En gnral, les forcens passent l'acte la nuit tombe, quand ils sont alcooliss et que le changement de luminosit ou de temprature accentue leur malaise. Environ 80 % des cas critiques se rsolvent par la ngociation. Celle-ci peut durer plus de 24 heures, comme lors de la prise d'otages - dont celle d'un commissaire de police - par deux prisonniers la maison d'arrt de Fresnes, en 2001. L'poque o les grands patrons de la PJ taient la tte de leur troupe pour ngocier une reddition, l'image du face face entre le commissaire Broussard et Mesrine, est rvolue, prcise Caupenne. Au lendemain de la prise d'otages de la maternelle Charcot Neuilly-sur-Seine, solde par deux jours d'pouvante et la neutralisation d'Erick Schmitt, alias Human Bomb, par un tireur d'lite, l'empirisme de la ngociation la papa s'est transforme en une mthode aboutie.

Pionnier d'une discipline reconnue officiellement depuis peine quatre ans en France, le ngociateur a parcouru un interminable chemin. Surnomm la voix ou N1, Christophe Caupenne est paul par sa doublette, ou N2, qui se concentre sur le fond des mots prononcs par l'individu en crise. Tandis que le chrono minute, il tient le rcit des vnements. Au-dessus, un superviseur expriment veille au bon droulement des oprations. Avant chaque intervention, je sens battre mon cœur sous mon gilet pare-balles, confie l'officier du Raid. La gorge est sche… On ne s'habitue jamais. Principes de base: Absorber les insultes et les provocations, mme quand un dment essaie de vous enflammer avec de l'essence, ne jamais voquer l'ide d'une possible reddition: ce mot est tabou.

Aujourd'hui, les ngociateurs du RAID redoutent plus que jamais l'acte rostratique. Celui d'un mgalomane isol prt massacrer des dizaines d'innocents au hasard ou ses collgues de bureau pour marquer les esprits et entrer dans le Panthon du crime. Comme Richard Durn, qui dcima une partie du conseil municipal de Nanterre le 26 mars 2002. Aujourd'hui, 48 ngociateurs, affects au sein de la nouvelle Force d'intervention de la police nationale (FIPN), brassent 200 affaires par an, dont une quarantaine de prises d'otage domestiques. Ils clatent souvent en fin de semaine, lors des changes d'enfants au sein des familles recomposes, remarque Caupenne.

Le ngociateur est le premier avocat qui va connatre l'individu en crise, le forcen ou le criminel endurci, rsume le commissaire divisionnaire Amaury de Hauteclocque, patron du Raid. Confident pris en tau entre deux contraintes: il doit pntrer un raisonnement la drive pour en dceler les failles et les voies du possible et suivre la feuille de route fixe par le chef d'unit. Et de conclure: Un exercice difficile, dlicat, de funambule pour le ngociateur. Je considre cette discipline comme une arme, celle de la raison. L o il y a du dialogue, il y a du possible…