ENTRETIEN – Aurélia Aubert « Je ne suis pas une gourou ! »


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Dans le milieu badiste, peu de gens la connaissent. Peut-être parce que depuis 2002, elle travaille dans l’ombre, à améliorer le côté obscur de la force des joueurs. Rencontre avec Aurélia Aubert, préparatrice mentale de l’Équipe de France.

Propos recueillis par Leslie Doumerc. Photos: Badmintonphoto

Badzine: Enfin, Badzine rencontre la gourou des Tricolores…

Aurélia Aubert : Certainement pas ! Dans ce métier c’est extrêmement facile de devenir « gourou ». De dire « moi je vais t’apporter la solution », de mettre des pansements psychologiques. Ça conforte, ça rassure, et on a toujours besoin d’être rassuré.

Je n’ai pas la recette miracle pour qu’un joueur progresse. Je lui fournis des clés; si ça marche tant mieux, sinon je change d’outil.

Badzine: Alors, précisément, en quoi consiste le métier de préparateur mental ?

A.A: Vaste question ! C’est un métier très difficile à définir. Beaucoup d’entre nous se prennent la tête là-dessus. Moi, je préfère me prendre la tête sur les athlètes, chercher comment les aider au mieux plutôt que de définir quelle est ma fonction.

Badzine: Y a-t-il des pré-requis indispensables pour pouvoir remplir le rôle ?

A.A: Pour ma part, je suis détentrice d’un DESS en psychologie du sport. J’ai longtemps pratiqué le tennis, ce qui me permet d’avoir du recul par rapport au badminton tout en connaissant très bien le domaine des sports de raquettes.

La base du métier passe d’abord par une bonne compréhension de l’athlète et de son environnement, du système de fonctionnement du sport, de la fédération, et des entraineurs.


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Badzine: Pas de technique particulière donc ?

A.A: C’est vrai que le domaine de la psychologie est tellement subjectif et vague que beaucoup ont besoin de techniques particulières pour se rassurer! Ce n’est pas mon cas.

Je me concentre sur le joueur. Je m’appuie sur ses forces pour travailler ses faiblesses. C’est plus difficile mais plus intéressant car on n’est jamais sûr de rien. Or, je pense que dès qu’on a des évidences, on fait fausse route.

Badzine: Concrètement, comment travailles-tu avec les joueurs ?

A.A: Je me rends en moyenne une fois par semaine à l’INSEP pour travailler sur la réappropriation des objectifs, la gestion du stress, de la concentration, et le développement de la confiance en soi.

Cela passe par des entretiens individuels mais aussi par une observation sur le terrain, en entrainement et en matchs. Au final, je propose des petits exercices concrets que le joueur peut mettre en place pour progresser.

Parfois, des joueurs viennent me voir s’ils veulent travailler un point précis. Les entraineurs peuvent aussi me relayer des choses à améliorer. Comme je fais partie de l’équipe, c’est facile.

Badzine: Peut-on gagner un match « au mental » ?

A.A: C’est faux de penser que tout se joue au mental. Il y a le physique, la technique, la tactique et tout est lié.

En revanche, le mental se travaille, il n’est pas inné. On ne nait pas en sachant gérer la pression. Il y a des événements dans la vie qui amènent la personne à être confrontée à un certain type de stress et, du coup, à le gérer naturellement par la force des choses. Elle aura plus d’outils que quelqu’un d’autre, mais il y aura toujours à travailler mentalement car personne n’est à l’abri d’une faille.

C’est une idée complètement réductrice de dire que le mental, soit on l’a soit on ne l’a pas. Je rétorque à cela que c’est comme dire que le physique, soit on l’a, soit on ne l’a pas.

Après, si l’on s’entraine physiquement le muscle grossit, alors que si l’on s’entraine mentalement, le cerveau, lui, ne grossit pas! C’est vrai que dès qu’on touche à la psychologie, il y a une dimension non palpable, mais je suis très à l’aise avec ça.


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Badzine: Quand il y a de l’enjeu dans une compétition, es-tu stressée pour « tes » joueurs sur le terrain ?

A.A: Non. Je n’ai aucun stress par rapport à leur résultat et c’est ce qu’il faut. Sinon je communiquerai mon stress. La victoire ne me revient pas, la défaite non plus.

Badzine: Presque dix ans que tu suis l’Équipe de France. Comment a évolué le remue-méninges des joueurs ?

A.A: Les joueurs de haut niveau sont recrutés de plus en plus jeunes et cette génération est plus ouverte à la préparation mentale. Mon travail s’est un peu désacralisé dans le sens où ils voient que l’on travaille vraiment sur la performance et que je ne vais pas aller leur chercher des poux.

Mais maintenant comme avant, ce n’est jamais évident de travailler sur le mental. Les joueurs savent que je ne vais pas les conforter et qu’il y aura toujours une certaine remise en question.

Badzine: Si certains joueurs peuvent avoir quelques réticences à se faire aider, d’autres doivent être tentés de se livrer à 100% à leur préparatrice mentale…

A.A: Oui. Parfois, le débordement qu’il peut y avoir peut être utilisé sur le terrain. C’est à moi de toujours revenir au badminton. Bien sûr, il faut le faire avec délicatesse sinon on casse le joueur et ce n’est pas utile.

Mais quand je vois que les problèmes ne sont pas forcément liés au sport, je réoriente vers un psychologue.

Une chose est sûre : je ne prends jamais de décision à la place de l’athlète. Ça pourrait bien l’arranger mais c’est hors de question parce que cela l’infantiliserait. Je vais l’aider à choisir, mais après il est responsable de ses décisions.

Badzine: Une anecdote dont tu te souviens ?

A.A: À mes débuts avec les Bleus, la joueuse Tatiana Vattier rencontrait une adversaire d’un niveau nettement supérieur. Je lui disais d’y croire, que tout est possible, on ne sait jamais, de toujours se battre, l’athlète peut toujours se blesser… et l’adversaire s’est blessée !

Elle m’a appelé pour me dire mais qu’est-ce que tu as fait ?? As-tu mis des épingles dans le ventre d’une poupée vaudou ?

Badzine: On parierait bien 10 boites de volants sur ta réponse : « non, je ne suis pas une gourou ! »

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Aurélia Aubert est aussi comédienne professionnelle au sein de la Compagnie du Théâtre de l’océan.

Pour jumeler ses deux passions -la scène et le sport de haut niveau-, elle a créé le Théâtre Sportif, un projet « destiné aux athlètes de haut niveau qui souhaitent acquérir une formation dans le spectacle vivant pour augmenter leurs performances et/ou se reconvertir ».

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En photo : Aurélia Aubert. Matthieu Lo Ying Ping, qui travaille sur la préparation mental, et son coach de Club Michel Trebosc.

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