De la ruse

Cependant le jeu comporte au moins trois autres aspects fondamentaux: le mouvement, la direction de l’action et la psychologie.

Pour ce qui est du mouvement, c’est une évidence que les définitions tactiques couramment évoquées (4-3-3; 4-3-2-1; 4-2-4; etc.) ne peuvent donner qu’une image abstraite, hors action, de la "disposition" des hommes,et ne traduisent jamais la dynamique réelle de l’équipe. Depuis les années 20, les notions stéréotypées de la tactique de "disposition" dogmatisées par les Anglais avec le WM ont été remises en cause et remplacées par des représentations graphiques dynamiques qui comportent au moins 2 variantes offensives et 2 variantes défensives (écoles hongroise, italienne et uruguayenne). On en vient alors au concept de mouvement.

Le concept de mouvement n’a rien de révolutionnaire. S’il a en partie disparu de la réflexion fondamentale du jeu professionnel c’est par décadence, par tare, par élitisme. Le jeu populaire du football, celui qui se pratique à 5 contre 5 dans la rue ou dans un parc, et qui constituera toujours la base du football de haut niveau, n’est jamais exprimé par les acteurs en termes de tactique mais toujours en termes de mouvement. Le mouvement précède la tactique, est autre chose que la tactique, et sa non prise en compte intellectuelle est le signe d’un football appauvri.

Nous traiterons ici de psychologie. Le mental comme on dit. Il est une particularité de certains jeux. On connaît l’influence immense que peut avoir le mental sur tous les autres paramètres. Le mental multiplie les forces d’une équipe et, de ce fait, modifie radicalement le pouvoir des autres paramètres du jeu plus visibles que sont la tactique et la technique.

Parmi les formes psychologiques employées par les footballeurs pour tirer un avantage, il y a bien évidemment la ruse. On

a peu parlé de la ruse. Une certaine littérature footballistique sud-américaine (notamment argentine) s’est emparé de la ruse pour en faire une caractéristique intrinsèque du joueur national type. Cependant, nul ne peut s’arroger le monopole d’une caractéristique psychologique universelle.

On ne peut traiter de la ruse en général. Il existe une ruse individuelle et une ruse collective, une ruse ludique, qui tire le jeu vers le haut et vers l’esprit, et une ruse basse, qui tire le jeu vers la tricherie.

La ruse individuelle connaît une multitude de formes facilement repérables. Parmi les formes individuelles de ruse ludique positive on peut citer les exemples suivants: la feinte, la fausse distraction, le fait de faire semblant de se désintéresser et de soudain jouer à fond, la frappe soudaine d’un coup-franc direct alors que tout indiquait que le frappeur donnait des indications pour un centre, etc. Parmi les ruses individuelles négatives on compte la simulation, le coup de coude au moment où l’arbitre ne voit pas, la fausse blessure, la main intentionnellement produite de telle sorte qu’elle paraisse non intentionnelle, la protestation gratuite, etc.

Ce qui différencie la ruse positive de la ruse négative, c’est que la première situe le jeu au niveau intellectuel tandis que la deuxième sort du jeu. La première est une forme du jeu, la seconde est un mensonge destiné à tirer profit par tromperie.

Il nous importe d’aborder ici un point plus important et inexploré: celui de la ruse collective. On connaît la fameuse histoire des espions yougoslaves. Lors du premier match du Championnat du Monde Olympique de 1924, l’équipe yougoslave

fit espionner l’entraînement des Celestes. Ceux-ci, au courant de l’affaire, réalisèrent un entraînement désastreux, ratant toutes les passes, dévissant les frappes les plus faciles, s’effondrant à chaque coup de tête. Les Yougoslaves abordèrent la rencontre rassurés et perdirent 7 à 0.

Bien évidemment, ce type de ruse fait partie du passé. Mais le mécanisme, très simple, est toujours d’actualité: se montrer bien plus faible que ce que l’on est vraiment. Un certain football de domination technique n’éprouve pas le besoin de jouer sur la question psychologique et considère -de manière un peu simpliste- que la domination psychologique est un simple dérivé de la supériorité technique. Un autre football est un déploiement constant de vitesse débridée et ne connaît de supériorité psychologique que celle qui provient d’une moins grande fatigue musculaire.

Une des grandeurs du football, l’art du mental, vient des équipes qui ne se considèrent pas apriori supérieurs. Peut-on concevoir des formes modernes de ruse collective? Bien évidemment. On voit un exemple lorsque des équipes se laissent volontairement dominer ou lorsqu’elles s’amusent à jouer sur ce que l’on appelle un "faux rythme". Un commentaire fréquent révèle la situation: "on a l’impression qu’ils sont en mesure d’accélérer à tout moment".

Une équipe qui se laisse dominer ne subit pas, mais contribue à créer une situation psychologique telle que l’équipe qui domine finit par se croire réellement supérieure. Se laisser dominer suppose, lorsqu’on veut ruser jusqu’au bout, de contribuer à produire une domination factuelle adverse très élevée. Si, de ce fait, l’équipe qui domine intègre sa supériorité, son mouvement global va traduire cette supériorité. Sa tactique va traduire cette supériorité. Mais cette supériorité est fausse puisqu’elle n’a pas été créée par "une domination objective" mais par l’effet de la ruse.Elle produit donc un "décalage" mental et tactique de l’équipe dominante qui ne fait que préparer le coup fatal de l’équipe dominée. Ce seul exemple nous permet d’observer que les formes les plus subtiles du football ne se voient pas.


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Les derniers commentaires

par insulaire

le 6 décembre 2011 à 11H26

Bonjour.

Cette tactique ( notre coach appelle ça la tactique Tortue) comporte quand même quelques risques.


par manochau

le 6 décembre 2011 à 11H32

Des risques qui lui sont propres ou des risques propres au football en général ?


par CrazySkanker

le 6 décembre 2011 à 12H13

Très bon article Pierre qui replace la domination dans le jeu d’une équipe sur l’autre sur un autre plan que ce qui est vu sur le terrain.

Même si ce n’est pas la seule chose, la ruse est en effet ce qui distingue souvent une "grande" équipe d’une "petite". L’histoire d’une sélection permet de construire cette "ruse", cette approche psychologique du match. D’ailleurs, on remarquera que les équipes qui gagnent le plus souvent les grandes compétitions internationales sont aussi celles qui maîtrisent cette ruse. Je citerais plus particulièrement l’Italie et l’Allemagne, deux équipes réputées pour gagner des matchs sans spécialement bien jouer ou afficher une domination outrageante. Deux équipes capables de savoir subir pour mieux porter l’estocade (même si l’Allemagne affiche traditionnellement la volonté de dominer l’adversaire, elle sait aussi faire profil bas pour endormir l’adversaire : la France en sait quelque chose)...

Cependant, la domination psychologique est sur un fil de funambule que l’on adopte une posture où l’on laisse le jeu à l’adversaire où une autre où l’on prend le jeu à son compte. Un but, une action peut vite ébranler la force mentale et faire que "les mouches changent d’âne". En fait, un match est un perpétuel rééquilibrage de cette domination mentale. Une équipe peut se sentir forte dans sa tête parce qu’elle contrôle le jeu, parce qu’elle mène de deux buts à zéro... Son adversaire peut avoir lâché prise, mentalement et dans le jeu et prendre conscience de son impuissance à remonter au score. Mais une erreur de défense, un cafouillage, un "but casquette" peut vite inverser la tendance et inverser les rôles et voir le dominé reprendre des forces et le dominant s’effondrer... Pour quelques minutes après, après moults tirs infructueux voir celui qui était d’emblée dominé et qui s’était repris, replonger dans son posture d’impuissant car incapable de convertir ces occasions...

La ruse, c’est surtout la gestion des temps (forts et faibles) et être capable de les mettre à profit ou de ne pas les subir... Attaquer ou défendre, qu’importe, il suffit de savoir comment, quand et pour quelle finalité...


par manochau

le 6 décembre 2011 à 12H20

Crazy

je crois que tu as bien raison de souligner le fort mental de l’Allemagne et de l’Italie. Il y a aussi qq chose d’intéressant dans la ruse : elle va jusqu’à tromper SES PROPRES supporters. la force mentale vient du fait que l’on se soucie finalement peu des apparences : la ruse est une forme de silence, de secret.

Bien évidemment, ça peut coûter cher. Mais la ruse vient-elle seule ? Quels sont les conditions de sa mise en ouevre et de son éventuel succès ?



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