Christine Martin-Delcourt, détective de l’inconscient

Ils sont environ cinq cents experts judiciaires inscrits à ce jour à la cour d'appel de Douai. Parmi ces cinq cents spécialistes, une quinzaine est rattachée au tribunal de grande instance de Cambrai et se tient prête à répondre aux appels des magistrats de la juridiction et parfois même d'ailleurs.

Qui sont-ils et quelle vie ont-ils, ces experts que l'on imagine à l'aune des séries américaines ? Nous avons rencontré quelques-uns d'entre eux, dont Christine Martin-Delcourt, expert psychologue.

Une paire de lunettes et une série de planches de taches symétriques proposées à la libre interprétation (ça s'appelle le test de Rorschach) : voici ses attributs d'« expert ». Et si Christine Martin-Delcourt, 54 ans, ne porte ni blouse blanche ni gants en latex, c'est parce que son domaine d'expertise ne s'y prête pas : psychologue depuis 1981, elle est coiffée du titre d'expert psychologue près la cour d'appel de Douai depuis 2011 (après avoir prêté serment en 2009 et à l'issue d'une période dite « probatoire » de deux ans).

Test de Rorschach

Dans son petit cabinet installé à Walincourt-Selvigny et aménagé dans une dépendance - « Je ne veux pas mélanger vie privée et professionnelle », justifie-t-elle - elle reçoit, à la demande du juge d'instruction, du juge des enfants ou encore du juge des affaires familiales, des victimes et auteurs d'infractions (majeurs et mineurs) dont l'apparente fragilité psychologique nécessite une « expertise ».

C'est-à-dire, l'avis d'un spécialiste. « Nous avons une mission détaillée par le magistrat. Il y a toute une série de questions auxquelles on doit répondre », indique Christine Martin-Delcourt. C'est par exemple : « Y a-t-il un lien entre l'acte et l'histoire de la personne ? », « évaluer son intelligence, sa personnalité », « établir les conséquences de l'agression sur la victime. » « On ne nous laisse pas carte blanche. Nous devons répondre à une mission. En revanche, on nous laisse le choix de la méthodologie. » Christine, elle, se fonde essentiellement sur le test de Rorschach donc. « Il sert à confirmer ou infirmer ce que l'on a retenu d'un entretien clinique. Comme, par exemple, voir l'impact traumatique d'une agression sur une victime, évaluer l'agressivité d'une personne. » Les entretiens avec les prévenus ou les victimes, prévus sur un autre agenda que celui de son emploi au centre hospitalier, durent en moyenne entre deux et trois heures. Premier travail d'expert. Le reste nécessite autant de rigueur : la rédaction du rapport. « Cela me demande au moins six heures par expertise », témoigne-t-elle. C'est que le sujet examiné, l'Homme en tant que tel, nécessite « prudence » et « respect ». « Il faut être modeste dans ses conclusions, souligne-t-elle. Nous ne sommes pas tout-puissants ni détenteurs d'une vérité scientifique. La psychiatrie et la psychologie, c'est très subjectif. Nous aidons le juge, mais il ne faut pas être jugeant. »

Remise en question

Depuis qu'elle a découvert cette mission d'expert - à la suite d'une rencontre avec Jean-Philippe Vicentini, l'ancien procureur de la République de Cambrai qui, alors qu'il planchait sur un projet de lutte contre les violences conjugales, avait rencontré les psychologues de l'hôpital susceptibles de délivrer des expertises - cette détective de l'inconscient avoue porter un regard différent sur la justice. « Dans mon métier, j'ai été confrontée à des enfants victimes de maltraitance, et je me suis toujours demandée comment amener un magistrat à une lecture de signaux. Aujourd'hui, je pense que l'expertise apporte du sens, éclaire le juge sur des questions. » À l'inverse, ces missions ponctuelles suscitent beaucoup d'interrogations quant à l'exercice de sa profession. « Je me dis que je finirai ma vie avec des questions. La société veut une image toute faite de l'agresseur - du genre, tous les auteurs de violences sexuelles ont été victimes dans leur enfance. Mais ce n'est pas le cas. » « L'expertise, c'est sans arrêt une remise en question de nos outils techniques. » •

M. R.

Dans nos prochaines éditions : la rencontre avec le docteur Demarly, médecin légiste, puis avec Rachid Laamarti, interprète en langue arabe. Enfin, le point de vue du bâtonnier de Cambrai et celui du procureur de la République de Cambrai sur l'impact des experts dans les décisions de justice, mais aussi un vade-mecum pratique : comment devenir expert ? Comment sont rémunérées les expertises ?

Leave a Reply