Voler pour les autres : peut-on être altruiste et malhonnête à la fois ?

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Les cadeaux ne sont pas toujours anodins... (_Nowo/Flickr/CC)

 

PSYCHOLOGIE. L’économie expérimentale et la psychologie rencontrent parfois le quotidien des parents d’élèves. Ainsi, lorsque Sophie, 10 ans, m'a raconté que trois copines de sa classe avaient volé des fournitures scolaires durant l'étude, j’ai été piqué par la curiosité : qui avait eu l'initiative ? Quels objets précisément avaient été prélevés dans l'armoire pédagogique ?

 

Ma fille m'a alors expliqué que la principale instigatrice du vol de stylos, surligneurs multicolores et tubes de colle avait tenu à partager son butin avec plusieurs autres fillettes qui n’avaient rien demandé.

 

Au-delà du caractère inattendu de cet altruisme dans la malhonnêteté, ce petit fait scolaire est comme un écho aux découvertes d’un certain Dan Ariely, économiste expérimental et psychologue de l'université de Duke aux Etats-Unis. Voici une étude scientifique qui apporte un éclairage original à ce type de larcins scolaires.

 

Une technique pour étudier les conduites malhonnêtes

 

Dan Ariely a mis au point une technique simple et convaincante pour étudier scientifiquement le vol. Le principe est le suivant : des participants sont assis dans une pièce, et doivent effectuer une série de 20 exercices arithmétiques dans un temps limité. Ils sont informés que chaque exercice correct leur rapportera une petite somme d'argent.

 

Lorsque le temps est écoulé, on leur distribue un corrigé. Ils doivent alors comptabiliser les réponses exactes qu’ils ont fournies au test, et notent sur une feuille le nombre de problèmes qu'ils sont parvenus à résoudre. Ils viennent ensuite au bureau du chercheur pour récolter la somme d'argent correspondant au nombre de bonnes réponses, en remettant leur feuille d'exercices.

 

Ariely et ses collaborateurs ont introduit plusieurs petites modifications de cette situation de base. Dans la première, les participants doivent aller au fond de la pièce et introduire leur feuille de réponses dans un broyeur de papier avant de noter le nombre de réponses exactes. Ils peuvent ainsi tricher en toute discrétion et augmenter leur nombre de réponses exactes.

 

Les résultats montrent ainsi qu'ils déclarent 12 réponses exactes sur 20 quand ils peuvent tricher, contre 7 lorsqu'une vérification de leurs réponses initiales est possible.

 

Malhonnêtes au grand coeur

 

En utilisant cette situation de recherche, Ariely et ses collaborateurs ont informé les participants qu'on leur avait attribué un binôme pour cet exercice, et que par conséquent le participant et son binôme cumuleraient leurs gains. Les résultats ont montré que le niveau de triche augmentait de 3 points par rapport à une situation de triche individuelle. Autrement dit, ils trichaient encore plus quand ils pouvaient considérer que leur triche avait un aspect altruiste.

 

Dans une dernière étude, Ariely et ses collègues ont été plus loin, en faisant en sorte que les participants croient que le produit de leur triche bénéficierait au binôme mais non à eux-mêmes : autrement dit, une malhonnêteté entièrement désintéressée. Les résultats ont montré que là aussi, le niveau de triche était supérieur à la condition individuelle.

 

Ces deux petites expériences nous enseignent que lorsque nous commettons des conduites malhonnêtes, nous aimons à en faire généreusement bénéficier les autres, probablement parce que cela contribue à nous disculper. De quoi être plus vigilants peut-être si quelqu'un nous invite à bénéficier de largesses mal acquises : derrière l'altruisme se cache l'auto-justification !

 

Les fillettes de dix ans qui ont "reçu" quelques surligneurs, convoquées avec les instigatrices du vol par la directrice de leur école l'ont appris à leurs dépens : l'altruisme des autres n'est pas toujours au-dessus de tout soupçon.

 

 

Vous pouvez retrouver cette étude dans le livre : Ariely, D. (2012). The (honest) truth about dishonesty. New York: Harper.

 

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