Un an après les attentats, il est urgent de prendre en charge toutes …


PSYCHOLOGIE - Un an après les attentats de janvier 2015, alors que nous venons de rendre hommage aux 17 victimes assassinées, que sont devenues toutes les autres victimes impliquées: victimes directes blessées ou non, proches (familles, amis, collègues), témoins visuels (passants, voisins, journalistes), intervenants comme les forces de l'ordre, les équipes de secours et de soins, les équipes de nettoyage...?

Les témoignages diffusés cette semaine, montrent que la plupart de ces victimes sont encore profondément traumatisées, et que leurs symptômes se sont même réactivés et aggravés avec les attentats du 13 novembre.

Qu'en est-il de leur prise en charge ?

De nombreuses études internationales ont montré que des violences aussi extrêmes comme des actes terroristes, des tortures et des viols sont très fréquemment responsables de blessures neurologiques et entraînent des troubles psychotraumatiques sévères à moyen et long termes (tel qu'un état de stress post traumatique). Ces troubles sont le plus souvent à l'origine de graves conséquences sur la santé mentale et physique des victimes (risque très augmenté de troubles anxieux, de dépression, d'addiction, de troubles du sommeil et de l'alimentation, de passage à l'acte suicidaires, de troubles cardio-vasculaires, endocriniens, immunitaires, neurologiques, de douleurs et fatigue chroniques, etc.). Ils ont également un impact sur leur vie familiale, amoureuse, sociale et professionnelle (avec des risques de séparation, d'interruption de travail). Un accompagnement et des soins spécialisés précoces puis dans la durée sont nécessaires, ils permettent de traiter les psychotraumatismes et d'éviter leurs lourdes conséquences sur la santé et la vie des victimes.

Les victimes traumatisées des attentats de janvier ont-elles toutes pu bénéficier de ces soins spécialisés ?

Il est malheureusement très probable que seul un petit nombre d'entre elles y ont eu accès, à l'instar de ce qui se passe pour les victimes de viols (1). Les psychotraumatismes sont encore trop méconnus et peu diagnostiqués. Les professionnels de la santé formés sont en trop petit nombre (il n'existe toujours pas d'enseignement lors des études de médecine, et très peu en formation continue). Les rares centres spécialisés sont débordés en permanence. De plus, il n'y a pas d' information suffisante auprès du public sur l'impact des violences sur la santé, sur les psychotraumatismes et leurs traitements. La carence des pouvoirs publics en ce domaine est patente.

Que se passe-t-il pour les victimes traumatisées sans prise en charge spécialisée ?

Le caractère impensable et barbare de ces attaques, la cruauté et l'inhumanité des terroristes ont entraîné un état de choc avec une effraction psychique responsable d'une sidération. Les représentations mentales sont alors impuissantes à intégrer de tels actes atroces.

Cet état de sidération rend impossible le contrôle des réactions émotionnelles automatiques d'alarme par les fonctions supérieures, le stress devient extrême avec des taux très élevés d'hormones de stress (adrénaline, cortisol) qui représentent un risque vital cardio-vasculaire et neurologique pour l'organisme. Pour y échapper, un mécanisme de sauvegarde automatique se déclenche qui va isoler la structure sous-corticale responsable de la réponse émotionnelle (l'amygdale cérébrale) et interrompre ainsi de force la sécrétion des hormones de stress.

Cette disjonction permet à la victime de survivre mais au prix d'une dissociation traumatique avec une anesthésie émotionnelle et physique qui lui donne une sensation d'étrangeté, d'irréalité, d'être spectatrice des évènements. La victime dissociée ne ressent pas ses émotions, ni la douleur, elle se décrit souvent comme un automate. Lors de l'attentat au Bataclan, certaines victimes ont pu fuir sans se rendre compte qu'elles étaient blessées, un jeune homme n'a pris conscience qu'il avait reçu 3 balles dans la jambe, qu'une fois à l'abri dans un appartement.

La disjonction est également responsable d'une interruption du circuit d'intégration de la mémoire, l'évènement vécu dissocié reste bloqué à l'état brut indifférencié et hors-temps dans l'amygdale cérébrale sans être traité par l'hippocampe (2). C'est cette mémoire non intégrée qu'on appelle la mémoire traumatique (réminiscences, flash-backs, cauchemars). Hypersensible, elle se déclenche au moindre rappel des attentats (comme un lieu, une date, une détonation, un cri, la vue de blessures, de sang, une situation stressante, etc.). Et comme une machine à remonter le temps elle fait revivre à l'identique, de façon incontrôlable, les évènements violents avec les mêmes images atroces, le même effroi, les mêmes émotions et douleurs. Une torture sans fin.

Sidération, dissociation traumatique, mémoire traumatique sont les symptômes qui signent la constitution d'un psychotraumatisme. Ils sont universels et ne sont pas liés à la victime mais au caractère monstrueux des violences, et à la cruauté des agresseurs.

Les victimes les plus traumatisées ou les plus vulnérables (comme les enfants ou celles ayant déjà été traumatisées) peuvent d'abord rester dissociées - souvent plusieurs heures, mais parfois plusieurs semaines, voire bien plus - dans un état d'anesthésie émotionnelle qui les déconnecte de leurs ressentis et des manifestations de leur mémoire traumatique. Elles pourront alors paraître aller bien, reprendre leur activités comme si de rien n'était, sembler indifférentes, insensibles. Et ce n'est que lorsqu'elles émergeront de leur état dissociatif qu'elles seront submergées par leurs émotions, et subiront les effets torturants de leur mémoire traumatique.

Les victimes traumatisées, si elles ne sont pas soignées, vont devoir trouver des stratégies pour survivre aux conséquences psychotraumatiques et échapper coûte que coûte à la mémoire traumatique. Pour cela, deux possibilités: soit éviter tout ce qui peut la déclencher et contrôler l'environnement pour que rien d'imprévu ne survienne, ce qui oblige les victimes à rester dans un état d'hypervigilance permanent, et entraîne des comportements phobo-obsessionnels, et une restriction souvent très importante des champs d'activité (impossibilité d'aller dans certains endroits, de prendre les transports en commun, de regarder des films violents, etc.) ; soit provoquer un état de dissociation pour se déconnecter des ressentis liés à la mémoire traumatique par ce qu'on appelle des conduites dissociantes: consommation de produits comme l'alcool, la drogues, surconsommation de psychotropes, mises en danger et conduites à risque qui, en créant un stress extrême, déclenchent le processus de disjonction et de dissociation.

Laisser une personne traumatisée sans soins spécialisés, c'est donc l'abandonner à une souffrance intolérable et la condamner à survivre avec des stratégies de survie qui vont avoir un impact catastrophique sur sa vie et sa santé. Cette situation est d'autant plus préjudiciable que les soins permettent de traiter la mémoire traumatique pour la transformer en mémoire autobiographique et de réparer les atteintes neurologiques (grâce à une neurogénèse). La victime a vécu l'horreur mais elle n'est plus colonisée en permanence par les violences et ne les revit plus à l'identique.

Un scandale de santé publique

Ce manque cruel d'offre de soins spécifiques est un scandale de santé publique, et représente une atteinte aux droits des victimes et une perte de chance inadmissible pour leur santé.

Comment dans ces conditions les milliers de victimes impliquées des attentats du 13 novembre 2015 pourront-elles être prises en charge au-delà des soins médico-psychologiques immédiats? Il est urgent que les pouvoirs publics mettent en place une politique de prise en charge des victimes de violence pour que toutes les victimes aient accès sur tout le territoire à des soins de qualité, par des professionnels formés sans frais.

1) voir le rapport d'enquête Impact des violences sexuelles de l'enfance à l'âge adulte publié en 2015 et mon ouvrage Le livre noir des violences sexuelles paru chez Dunod en 2013
2) structure du cerveau qui est le système d'exploitation de la mémoire et des apprentissages

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