Tueur de Toulouse: «Il était insignifiant, il devient un surhomme»

Farhad Khosrokhavar, sociologue franco-iranien, pointe le risque de multiplication des jihads individuels :
Pour le sociologue franco-iranien Farhad Khosrokhavar, directeur de recherche à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, l’émergence de tueurs solitaires tel Mohamed Merah est «la rançon du succès des services de renseignements occidentaux».


Le tueur se réclame d’Al-Qaeda, est-ce crédible ?

Ceux qui pouvaient se réclamer d’Al-Qaeda en France ont été soit emprisonnés, soit tués, soit chassés du territoire. Bien sûr, des jeunes peuvent encore le faire sur un mode imaginaire ou parce qu’ils ont approché Al-Qaeda et veulent s’en glorifier. On est plutôt dans le cas de figure d’une Al-Qaeda fantasmée, très indirecte en tout cas. Si le tueur a fréquenté un groupe jihadiste, il n’est pas sûr que ce groupe l’ait commandité. Le tueur a eu des ennuis avec la justice, son profil se rapproche donc de celui de ces gens qui se sentent rejetés, ciblés par le racisme et qui se radicalisent. Le succès des services de renseignements, de la police et des juges antiterroristes en France et en Europe a eu le résultat paradoxal d’éliminer les groupes constitués, mais de favoriser l’émergence de loups solitaires.

Il n’y aurait donc plus de réseaux Al-Qaeda en France ?

Si ça existe, ce sont des cellules dormantes qui ont échappé à la vigilance de la police. Mais des cellules qui auraient pu agir de manière construite et passer à l’acte… ça m’étonnerait. Les services de renseignements s’étant transnationalisés, la vigilance est maximum. Le tueur a pu avoir des liens idéologiques avec des groupes néosalafistes, mais il s’est organisé de façon solitaire. L’action de groupe étant devenue impossible, ces individus s’enferment en eux-mêmes, leur action est difficile à identifier.

Il est quand même allé en Afghanistan et au Pakistan !

Les services de renseignements le savaient. Mais on est dans un Etat de droit, on ne peut pas empêcher les gens d’aller et venir. Et on n’a pas les moyens de mettre sous surveillance tous ceux qui sont allés en Afghanistan et au Pakistan ! On ne peut pas non plus les mettre sur écoutes, sauf si un juge antiterroriste donne son accord.

Comment lutter contre ce type d’agresseurs ?

Ce type de violence relève de la responsabilité de la société civile. Elle se combat «par le bas». L’entourage doit être vigilant. Quand on voit quelqu’un déraper, il faut alerter les services de police ou psychiatriques pour prévenir l’acte de violence. Pour moi, cette violence-là est une forme de «secte individualisée».

Existe-t-il un profil type ?

Il n’y a pas un seul profil. Il y a celui des gens d’en bas, les exclus, qui se sentent stigmatisés par la société. Ils construisent une forme d’idée de vengeance - de plus en plus violente, je le crains - en l’idéologisant. Souvent, ce sont des jeunes dont la connaissance de l’islam est rudimentaire si ce n’est inexistante. Mis à part le mot «jihad», qui leur plaît. Il y a aussi des gens très intégrés, et même français depuis plusieurs générations, qui choisissent de se convertir et de passer à l’action violente. Ces constructions-là sont très dangereuses car on ne les repère pas facilement.

Il s’est tout de même procuré des armes…

Le démantèlement de l’empire soviétique et l’ouverture de l’Europe de l’Est ont libéré beaucoup d’armes. Quelqu’un qui cherche trouvera. Là aussi, il faut être vigilant afin d’agir en amont. Le problème, c’est que ce tueur-là ne sera pas le dernier. Ces cas sont liés à une psychologie du héros négatif. Il se donne un air surhumain, une aura diabolique, lui qui n’était qu’un simple délinquant. Il était insignifiant, il devient un surhomme. C’est la psychologie de l’inversion.

Il y en a de plus en plus ?

Avec le printemps arabe, il y a une marginalisation de la tendance jihadiste. C’est donc une façon, pour ces individus, de dire qu’ils existent et de jouer les héros martyrs.

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