Soldes, consommation, choix et psychologie sociale

En cette période de réductions à foison, Justine s’interroge sur le drôle de comportement que nous adoptons parfois pendant les soldes.

Voyez-vous, quelques jours avant les soldes, ma boîte mail a été envahie d’appels de marques diverses m’invitant à jeter un ou deux coups d’œils à des « pré soldes », des « ventes V.I.P. ». Bonne poire, j’ai cédé sans me poser de question aux sirènes d’une marque qui vend surtout des trucs monochrome en coton drôlement doux. La semaine suivante, en passant devant le magasin de la même marque, rebelote. Vous voulez savoir le truc qui m’a un peu frappée en rentrant chez moi ? Je venais d’acheter exactement les mêmes vêtements que la fois précédentes, dans des couleurs différentes – et je ne me sentais même pas satisfaite. Qu’est-ce que c’est que ce délire ?

Pourquoi participe-t-on religieusement au système Soldes ? Est-ce que choisir des vêtements peut nous rendre heureux ?

Rétro-pédalons donc sur certains aspects de nos pratiques de consommation et leurs impacts potentiels sur nos modes de vie.

Des soldes qui excitent

Interviewé par le Figaro, Nicolas Guéguen revient sur le fameux phénomène des soldes.

Pour le psychologue, au-delà d’un simple aspect économique (je veux « faire des affaires »), nous serions face à quelque chose qui relèverait d’un rituel social, de la « preuve sociale » : puisque presque tout le monde les attend, puisque le J.T. en fait systématiquement un reportage, puisque « tout le monde le fait », je vais m’y conformer et adhérer à l’excitation commune.

Les soldes permettraient par ailleurs de se valoriser : en achetant telle chose, j’ai saisi une occasion que d’autres n’auront pas. La solution pour résister ? Selon le chercheur, éviter de flâner autour des magasins à l’improviste, élaborer des listes et les suivre.

Acheter, regretter… et dépenser plus

Reprenons mes mésaventures : ignorant complètement le conseil de Guéguen lors de ma dernière virée soldesques, j’ai acheté un truc vert. Vert pomme. Carrément vert, en fait – sauf que je ne porte pas de vert et que subséquemment, aucun membre de ma garde-robe n’irait très bien avec (en plus, cette tunique ressemble un peu à une montgolfière, m’est avis que la silhouette ne sera pas très sublimée – enfoncée, plutôt). Bref, je suis certaine que vous avez déjà vécu la même chose : je me suis un peu enflammée dans le magasin et une fois mes pénates retrouvées, je ne suis plus très emballée.

La logique voudrait que je ramène la bête verte vers son habitat naturel fissa, que j’échange, que je me fasse rembourser, que je m’en sépare. Que nenni – selon une étude de V. Patrick et H. Hagtvedt, nous aurions tendance à plutôt aller acheter d’autres choses pour tenter de rectifier la situation. Il semblerait qu’une fois qu’un produit est en notre possession, il devient difficile d’y renoncer, à tel point que nous pourrions enclencher d’autres dépenses pour le corriger.

Trop de choix tue la joie du choix

Ce qui est certain, c’est que dans ce fameux magasin de frusques cotonneuses, il y avait vraiment du choix. Pour Barry Schwartz, ce serait d’ailleurs caractéristique de notre société… Nous faisons quotidiennement face à une explosion de choix.
Selon ses termes, les sociétés occidentales opulentes suivraient le « dogme » suivant : pour maximiser le bien-être des citoyens, il faut maximiser leur liberté individuelle, et pour cela, il faut maximiser le choix. Autrement dit, plus nous avons de choix, plus nous sommes libres de choisir et plus nous pourrions atteindre le bien-être.

Lors d’une conférence TED, le psychologue social s’attaque à cette idée à grands renforts d’anecdotes délicieuses (go, go, go). Pour lui, nous devrions constamment choisir.
Au supermarché, nous devons choisir parmi des tas de vinaigrettes (par exemple, le magasin que fréquente Schwartz n’en compte pas moins de 175 sortes), pléthore de biscuits ; plus tard, nous devrons choisir parmi des tonnes vêtements, d’appareils électroniques, de téléphones différents… L’acte de choisir ne s’arrête pas seulement aux « petites choses », et les générations actuelles sont confrontées à des choix plus importants : quelles études dois-je choisir, à quel moment dois-je me marier, est-ce le moment pour moi d’avoir des enfants, dois-je privilégier ma carrière, …
Toutes ces opportunités de choisir ont indéniablement des avantages, mais le psychologue choisit (héhé) de centrer sa réflexion sur les effets négatifs : et si avoir trop de choix contribuerait à nous rendre malheureux ?

Barry Schwartz appuie sa thèse sur 4 éléments :

  • Le regret anticipé (souvent, un grand nombre de choix produit une « paralysie » – nous ne choisissons pas et remettons l’acte de choisir à plus tard, puis à encore plus tard, puis à…)
  • Le coût de l’opportunité (choisir une option suppose de renoncer aux autres options – après coup, nous nous mettons à imaginer que ces alternatives auraient peut-être fait de meilleurs choix ; autrement dit, plus nous avons de choix, plus il est possible de regretter)
  • L’escalade des attentes (avec toutes ces options disponibles, nos attentes augmentent, nous attentons le produit parfait – en ce sens, il sera plus facile d’être déçu)
  • Le blâme de soi (lorsqu’il n’existe pas d’autres choix possibles, si un produit ne nous satisfait pas, c’est la faute du monde, de la société, d’autrui ; en revanche, si j’ai beaucoup d’alternatives et que j’estime avoir fait un « mauvais choix », alors c’est de ma faute).

Schwartz termine son discours par une observation que j’aime plutôt bien, et qui me semble être une conclusion merveilleuse : si certaines sociétés sont aliénantes par un trop grand nombre de choix disponibles, si d’autres sont aliénantes par l’absence de choix, une chose pourrait contribuer à rendre tout le monde heureux – la redistribution des richesses. BAM.

Open all references in tabs: [1 - 4]

Leave a Reply