Samedi-sciences (50): un détecteur de fraude scientifique

Uri Simonsohn, spécialiste de psychologie sociale à l’université de Pennsylvanie, à Philadelphie (Etats-Unis), fait parler de lui ces temps-ci. Du moins dans le milieu de la psychologie sociale, cette discipline à cheval sur la psychologie et la sociologie qui étudie la manière dont nos pensées, nos sentiments et nos comportements des individus sont influencés par le regard des autres. Cette discipline peu connue joue cependant un rôle important dans les sondages, les études d’opinions, le marketing et la publicité.

Uri SimonsohnUri Simonsohn© Luke Church Photography

La psychologie sociale repose en grande partie sur des expériences dans lesquelles on cherche à évaluer les réactions les plus fréquentes à telle ou telle situation. Un exemple célèbre est fourni par les expériences de Milgram, réalisée au début des années 1960. Stanley Milgram, psychologue à l’université de Yale, a placé des sujets dans une situation assez tordue dans laquelle ils pouvaient administrer une décharge électrique à une personne lorsqu’elle répondait de manière inexacte à une question. L’expérience montre que quand le sujet est placé dans une situation où il est soumis à l’autorité de l’expérimentateur, il n’hésite pas à administrer à la personne interrogée un choc de 450 volts (en réalité, c’est une mise en scène et il n’y a pas de décharge électrique, mais le sujet ne le sait pas). Cette expérience visait à démontrer que lorsque les gens sont soumis à des règles autoritaires, ils peuvent se livrer à de violentes agressions sur des étrangers.

Depuis Milgram, la psychologie sociale a produit de nombreux résultats, souvent assez spectaculaires. Mais ce n’est pas à cause d’une découverte sensationnelle qu’Uri Simonsohn fait parler de lui. C’est parce qu’il a découvert une méthode qui permet de démontrer que certaines découvertes de la psychologie sociale, même si elle sont sensationnelles, sont également fausses. Et sont fausses parce qu’elles reposent sur des données truquées.

Simonsohn a appliqué sa méthode aux travaux de Dirk Smeesters, qui exerçait la psychologie sociale à l’université Erasme de Rotterdam (Erasmus Universiteit Rotterdam). Exerçait, car Dirk Smeesters a dû démissionner après qu’une enquête a prouvé qu’il avait manipulé des données expérimentales. L’enquête a été menée par l’université, mais dans un premier temps, c’est la méthode de Simonsohn qui avait mis en évidence un problème dans les données.

Le thème des recherches mises en cause est l’influence de la couleur sur le comportement des consommateurs. Smeesters a publié en 2011 un article qui montrait, grosso modo, que le bleu suscitait plutôt l’adhésion et le rouge plutôt l’opposition. C’est typiquement le genre de résultats qui, en psychologie sociale, permet de publier des articles remarqués.

Simonsohn a remarqué l’article et comme son petit doigt lui suggérait que quelque chose clochait, il a demandé à Smeesters de lui adresser les données expérimentales complètes. Il a administré à ces données un traitement statistique qui a montré que les résultats expérimentaux n’étaient pas « naturels ». Autrement dit, ces résultats avaient reçu un petit coup de pouce destinés à les rendre en meilleur accord avec l’hypothèse qu’ils étaient censés démontrer.

Le détail exact de la méthode de Simonsohn n’est pas connu – il doit faire l’objet d’une prochaine publication – mais selon l’intéressé, interviewé dans Nature, l’idée de base consiste à tester si « les données sont trop proches de la prédiction théorique, ou si plusieurs estimations sont trop proches les unes des autres ».

Ce type d’expériences comporte en effet de nombreux aléas. De sorte que si les résultats ont été obtenus sans tricher, ils peuvent certes confirmer l’hypothèse de départ, mais avec une certaine marge d’erreur. Si les résultats sont « trop parfaits », il y a de fortes présomptions qu’ils aient été manipulés.

Avant d’appliquer sa méthode aux articles de certains de ses collègues, Simonsohn avait démontré qu’il était possible de prouver à peu près n’importe quoi en sélectionnant les données expérimentales, autrement dit en ne retenant que les résultats allant dans le sens attendu. Simonsohn a publié en 2011 un article dans lequel il présente une expérience de psychologie qui démontre qu’après avoir écouté une chanson des Beatles, les auditeurs rajeunissent…

Le propos était d’illustrer que les techniques statistiques permettent assez facilement de prouver une hypothèse fausse. Simonsohn a développé son analyse en testant les données de certains articles douteux. Il s’est intéressé aux travaux de Diederik Stapel, un psychologue social néerlandais comme Dirk Smeesters, mais qui travaillait dans une autre université (celle de Tilburg).

Diederich StapelDiederich Stapel© Université Tilburg

Le cas de Diederik Stapel a fait scandale en 2011, car on a découvert qu’il avait truqué les données d’au moins trente publications. Stapel était une étoile montante de la psychologie sociale. Il avait publié des résultats remarquables démontrant, notamment, qu’un environnement en désordre et mal tenu favorise la discrimination sociale. En novembre 2011, Stapel a reconnu avoir commis des fraudes en série et a dû démissionner.

Simonsohn a testé sa méthode sur les données de Stapel et a constaté que ces données apparaissaient comme totalement fabriquées. Mais la fraude était alors déjà connue. Par contre, lorsque Simonsohn s’est penché sur le cas de Smeesters, ce dernier n’avait pas encore fait l’objet d’une enquête. En fait, c’est Simonsohn qui a détecté le problème.

Smeesters n’a pas, contrairement à Stapel, reconnu avoir triché. Mais deux de ses articles ont été retirés et il a démissionné fin juin. Simonsohn, dont la méthode d’analyse statistique a fait apparaître des invraisemblances dans les données de Smeesters, a été accusé par certains de ses collègues de se livrer à une chasse aux sorcières. Il s’en défend : « Ce n’est pas plus une chasse aux sorcières que lorsque quelqu’un appelle la police parce qu’il voit des cambrioleurs entrer chez ses voisins ». Le vrai problème, c’est qu’une discipline scientifique en soit arrivée au point où certains des chercheurs qui la pratiquent peuvent être comparés à des cambrioleurs.

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