Saint-Valentin : avant le Moyen Âge, l’amour n’existait pas

Aborder l’amour à travers un discours médical, c’est voir les choses par le petit bout de la lorgnette. L’amour ne se réduit pas à quelque bouillie hormonale ou soupe originelle.

 Sculpture représentant des médecins et un cœur, Robert Wood Johnson University Hospital de New Brunswick (New Jersey,USA) (flickr/Dendroica cerulea/cc)

Sculpture représentant des médecins et un cœur, Robert Wood Johnson University Hospital de New Brunswick, New Jersey, USA, (flickr/Dendroica cerulea/cc)


Ces explications médicales ont les faveurs du public, peut-être parce qu’elles fournissent une excuse toute faite : on ne peut pas s’en empêcher, c’est la faute à l’autre, à notre corps, à notre nature humaine inébranlable. Nous ne sommes que les marionnettes de nos hormones et autres phéromones. Ce discours dominant déresponsabilise l’humain et revient à soutenir qu’il ne fera rien pour changer.

 

Un amour très relatif !


L’amour est un phénomène très localisé et récent à l’échelle de l’humanité. Il n’a rien de naturel ! C’est une élaboration intellectuelle qui a revêtu de nombreuses formes.

 

Je doute que les hommes de Cro-Magnon écrivaient des lettres d’amour à leur dulcinée à la Saint-Valentin ! Pas sûr non plus qu’ils disposaient de l’hormone de la tendresse envers les Néandertaliens. Pourquoi ne pas chercher plutôt l’hormone de la haine ou de l’indifférence envers son semblable ? Cela devrait être bien plus facile à dénicher – quasiment à fleur de peau.

 

La tendance à l’amour n’a rien de spontané (et c’est un euphémisme), puisque l’amour tel qu’on le connaît date du Moyen Âge. Avant, il y avait l’amour socratique, l’amour chrétien, etc., mais rien entre un homme et une femme.

 

N’oublions pas que l’amour courtois entérinait que chevaliers et troubadours venaient draguer la femme du châtelain. Amour d’une femme plutôt que de Dieu, incitation à l’adultère : voilà qui était hérétique et subversif !

 

Humain, pas assez humain


Ainsi le discours médical retrouve le religieux en confondant amour et reproduction. Alors que l’amour n’est pas fonctionnel ni utilitariste, mais avant tout une affaire de langage.

 

La Saint-Valentin à la sauce

La Saint-Valentin à la sauce "Star Wars" (flickr/Kalexanderson/cc)

 

Cessons donc cette pensée bio-logique qui calque l’humain sur l’animal. Les éthologues assimilent l’homme à un animal et se gargarisent de leurs ressemblances. Certes, il y a du carbone à la fois chez l’homme et dans une raquette de tennis, mais ce n’est pas une raison pour dire que c’est la même chose ! Et c’est bien connu, les animaux s’adorent, ils vont même parfois jusqu’à se déchirer, à l’instar du lion et de la gazelle…

 

L’humain a une spécificité qui est la faculté de penser et de réfléchir. C’est un être abstrait qui se détache de l’état de nature par le biais du langage. Rien d’étonnant à ce que parler d’amour soit à la base de l’amour.

 

L’amour courtois consistait d'ailleurs en une multitude d’épreuves dont les fondements étaient éminemment discursifs et poétiques. La relation sexuelle n’y était vue que comme l’étape ultime, presque un détail. On en retrouve une version édulcorée, puritaine et dévoyée dans la pratique des "dates" aux USA.

 

Du gendre idéal aux femmes sacrificielles


C’est vrai, ce serait plus facile de n’être qu’un spécimen comme les autres. Les scientifiques se basent sur ce qu’ils ont sous la main et prennent ainsi pour modèle le "WASP" (White Anglo-Saxon Protestant). Toutes leurs hypothèses légitiment le style de vie du macho moderne qui se croit au sommet de l’échelle de l’évolution. Toute autre conduite est suspecte, susceptible d’être tenue pour déviante et dégénérée. Cela confine à l’idéologie.

 

En matière de "sexisme médical", il paraît qu’il y aurait un gène du sens du sacrifice. Évidemment, il serait l’apanage des femmes. Par contre, nul besoin d’être grand clerc pour savoir dans quelle partie du corps réside le gêne du bricolage.

 

Si on en croit cette fiction de science, bientôt, il faudra consulter avant d’avoir le feu vert pour faire une déclaration (d’amour, il s’entend). Il serait prescrit une IRM du cerveau, en guise d’examen de conscience. Quand ça vire au rouge, la sentence tombe : on est amoureux. Finis les yeux qui brillent et les étincelles plein la tête.

 

Serait-ce de l'amour ? (flickr/paloetic/cc)

Serait-ce de l'amour ? (flickr/paloetic/cc)

 

Poussons le vice un peu plus loin et imaginons qu’on atteste de son amour à l’aide d’un électrocardiogramme. La belle affaire : le cœur s’affole lorsqu’on est en présence de l’objet d’énamoration. Quel scoop savant que de confirmer la position d’Edith Piaf chantant à qui mieux mieux "dès que je l’aperçois, alors je sens en moi mon cœur qui bat".

 

Alors, finalement, c’est quoi, l’amour ?


Il y a quand même des choses plus intéressantes à dire sur l’amour que cette sanction quasi administrative de la science statuant sur son sort ! Les histoires d’amour dépasseront toujours le cadre d’un simple dossier médical.

 

Finalement, c’est quoi l’amour ? Très bonne question, digne de Rousseau, sinon Jean-Jacques, du moins Carole. Effectivement, il y a des gens qui n’ont pas la moindre idée de ce que c’est. Il faut qu’il y ait des livres pour en parler.

 

En l’occurrence, personne ne donne de définition de l’amour qui tienne totalement la route ou qui soit très explicite. Ce qui n’a jamais retenu quiconque d’en parler, d’autant que cela arrange tout le monde puisque ça permet de l’inventer. C’est le miracle de l’amour : il suffit que deux personnes s’accordent sur la même définition de l’amour, aussi farfelue ou navrante soit-elle, pour que ça roule. C’est forcément subjectif.

 

Aimer, pour certains, cela peut consister à apprécier les services de l’autre ou réciproquement avoir choisi son maître. Cela peut revenir à profiter d’un autre ou à se protéger derrière un autre. Cela peut être vouloir changer l’autre ou en attendre quelque chose. Généralement, c’est une façon de supporter l’autre. C’est se faire une raison, à être avec un autre.

 

Foncièrement, l’amour, c’est un projet. Qu’on ne peut jamais tenir pour acquis. Qui n’a pas encore abouti. Qui est en cours et qui se transforme au fur et à mesure. Précisément, aimer, c’est désirer jouir. Il arrive que cela rate. Mais il n’y a là rien de définitif.

 

 

Propos recueillis par Daphnée Leportois

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