Royal Romance

Roman

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C'est l'histoire d'un homme qui aimait les femmes - qui les aimait trop, qui les aimait mal. Et qui, à l'une d'elles, dont il fut « personnellement amoureux », décide de consacrer un livre. Un dessin au trait, « un texte modeste, un portrait sans fioritures, sans psychologie, sans trop de métier. Juste des informations », tel est son projet - tel est ce roman faussement léger, doucement mélancolique, rétif aux manifestations trop démonstratives de la tragédie mais secrètement hanté par le chagrin. Une forme de tristesse insaisissable et tenace qui, jusqu'aux ultimes pages, peine à s'avouer, à s'exposer au grand jour.

La jeune femme dont il est question s'appelle Justine, elle est québécoise, comédienne, raffole d'un certain cocktail appelé Royal Romance, mélange de gin, de triple sec, de fruit de la passion et de grenadine. Elle a environ 25 ans lorsqu'à Montréal elle rencontre le narrateur, Daniel Flamm, écrivain de son état, et qui gagne sa vie en jouant l'ambassadeur itinérant pour le compte d'un fabricant de papier norvégien. Il était au Québec pour quelques jours, il y restera des mois, laissant femme et enfants l'attendre à Paris. « J'avais prévu de rester une semaine, tout était organisé dans ce sens, et l'inattendu, c'est-à-dire Justine, me fit rester plus longtemps. J'avais d'autres raisons de prolonger mon séjour [...], mais je préfère penser que ce fut à cause d'elle et pour elle que je restais », note Flamm - et ce doute inaugural du narrateur vis-à-vis de ses propres sentiments pose comme un voile sur cette histoire d'amour, dépeinte comme une romance, elliptique, malléable, sans projet de lendemain, peu astreinte à la logique excessive et exclusive de la passion.

De Montréal à Paris, via Strasbourg ou Berlin, cet amour durera des années, les SMS échangés venant pallier les longs temps de séparation vécus sans drame - Justine vit au Québec, lui à Paris, l'un et l'autre sont engagés dans d'autres aventures sentimentales. Il y aurait quelque aimable lassitude à suivre l'évolution de cette relation, somme toute peu consistante, si ce n'était l'occasion pour le narrateur de tracer, par petites touches très concrètes et souvent visuelles (des attitudes, des vêtements, les expressions d'un visage...), sans recours à la psychologie, le portrait de cette femme vive, tendre, inquiète - en fait, au bord du gouffre. A cela, comme à l'autoportrait à peine déguisé en homme maladroit et irrésolu, Weyergans excelle à sa façon, discrète et désenchantée.

 

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