«Rien de plus partagé que la difficulté scolaire»

Maître E, maître F, psychologue : le « R » de Rased signifie Réseau car c’est toute une panoplie de réponses spécifiques qu’il tente de donner à l’élève en difficulté.

« Je suis une enseignante. Avant tout une enseignante ». Laurence Baussens est maître E dans un Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased) à Aubagne depuis cinq ans. Enseignante, certes, mais spécialisée. En 2006, elle suit en effet une formation d’un an. « Un an sur le terrain, avec tous les jeudis, des cours à la fac d’enseignants spécialisés sur la psy cognitive, toutes les théories de la psychologie de l’enfant, les outils de la remédiation en mathématiques, dans le langage, en français… Le tout validé par un examen, un mémoire et une appréciation sur la pratique de la 1ere année ». Depuis, cette formation a été réduite à de l’alternance.
Maître E, Laurence Baussens constitue une des trois aides possibles proposées aux enfants en échec scolaire : psychologue, rééducation du comportement et aide pédagogique. Elle intervient sur « les difficultés durables des enfants, persistant malgré toutes les stratégies mises en place par les maîtres que ce soit dans leur classe, dans l’aide personnalisée ou les stages de remise à niveau ».

« C’est comme une maison. Si les
fondations ne sont pas solides… »

Dès septembre, elle rencontre donc les enseignants des écoles qu’elle couvre qui lui dressent une photographie de l’état de la classe. Alertée sur certaines difficultés, elle viendra ensuite observer directement les enfants, rencontrera les enseignants précédents, réalisera des évaluations complémentaires et rencontrera les parents pour leur proposer un programme de remédiation.
« Concrètement, quand un gamin ne comprend pas une division, qu’il n’y arrive toujours pas après que son maître lui ait expliqué et réexpliqué la procédure, j’interviens pour comprendre pourquoi. Si un gamin n’a, par exemple, pas compris ce qu’était une dizaine, il ne pourra pas faire une division. Mais l’enseignant de CE1 n’aura jamais le temps de revenir sur ce qui a été enseigné au CP ». Pendant six semaines à raison de quelques heures hebdomadaires, Laurence va ainsi intervenir devant un minuscule groupe de quatre enfants. Elle va prendre le temps de redonner les bases, « en partant toujours de ce que sait faire l’enfant » et travaillera jusqu’à ce que les difficultés soient surmontées et les savoirs acquis. Profondément. « C’est comme une maison. Si les fondations ne sont pas solides, les murs ne peuvent ni aller haut, ni tenir correctement ».
« Quand nous avions le Rased, aucun enfant ne quittait le CM2 sans être lecteur ». Nathalie est institutrice dans une école des quartiers sud de Marseille. Sans mandat syndical, elle préfère garder l’anonymat pour critiquer son institution. « Depuis 2009, nous n’en avons plus et désormais des enfants arrivent en 6e sans maîtriser la lecture ». Celle qui a fait ses armes dans les quartiers nord de la ville tient à préciser un point. « Quand je suis arrivée, j’étais convaincue que les RASED étaient pour les enfants de familles défavorisées. En voyant ce qui se passait dans ces endroits privilégiés, je me suis rendue compte que le Rased est nécessaire partout. Qu’il n’y a rien de plus partagé que la difficulté scolaire. » « La difficulté scolaire est inhérente à l’apprentissage. Elle est normale » confirme Laurence Baussens, « L’important est de la surmonter. Nous intervenons quand les maîtres n’y parviennent pas seuls ». Même analyse au Snuipp, syndicat majoritaire dans le primaire : « Avant, le Rased intervenait dans toutes les écoles car tous les enfants peuvent en avoir besoin, quel que soit leur milieu socioéconomique, leur origine ou leur lieu d’habitation » développe ainsi Christophe Doré, secrétaire départemental des Bouches-du-Rhône. « Parce que suite à un divorce, un décès ou n’importe quel problème dans la famille, il peut être confronté à l’échec. Il faut une réponse rapide que l’instit lambda n’est pas forcément en mesure de donner. D’où l’importance de ces enseignants spécialisés ».

« Des cas où des enfants vont
s’empêcher d’apprendre »

Aujourd’hui, le Rased intervient sur un tiers des écoles des Bouches-du-Rhône, sachant qu’il ne reste que 168 enseignants Rased sur les 290 recensés avant 2009. Les craintes d’une nouvelle coupe dans les effectifs poussent le syndicat à organiser une AG sur cette question le 14 janvier.
Pour aider les élèves, le réseau dispose aussi des psychologues et des maîtres F, profession encore plus sur la sellette du gouvernement. Ces derniers interviennent sur le comportement des enfants. Un film - Un parmi les autres - réalisé par la fédération professionnelle montre la réalité de cette profession singulière. On y découvre, entre autres, un petit Raphaël qui intègre le Rased en cours de CE1. « Un enfant qui ne travaillait pas, n’écoutait pas, se levait perpétuellement pour aller aux toilettes ou moucher un nez qui coulait sans cesse » campe son enseignante. On découvre l’antre de Christiane, rééducatrice, qui via le jeu, va faire de lui un élève. « Dès les premières séances, on a vu des changements et au mois d’avril, ce n’était plus le même enfant » commente son institutrice.
« Un problème de comportement ne signifie pas une difficulté d’apprentissage » précise Laurence Baussens. « Ce sont des cas où, dans des situations diverses, des enfants vont s’empêcher d’apprendre. Certains sont inhibés et feront peu parler d’eux. D’autres vont exploser ». Des enfants qui explosent. D’évidence, Martin, instit dans les quartiers Est de Marseille, y fait référence quand il « regrette la disparition du RASED depuis cette année. Certains gamins doivent être rééduqués sinon ils peuvent vraiment plomber une classe. Nous, on doit faire avancer un groupe. On peut faire un peu d’individuel mais concrètement, on a pas le temps de faire dans la dentelle. On n’en a pas les compétences non plus. Et quand un gosse ne sait s’exprimer qu’en hurlant, ne tient pas assis et embête son voisin dès qu’on a le dos tourné… On ne sait plus quoi en faire ».
« On est là pour les gamins mais aussi pour les enseignants » confirme Laurence Baussens, « Ils sont le nez dans le guidon, de plus en plus surchargés par des tâches annexes, n’ont pas le temps de prendre du recul et, résultat, sont souvent dans la culpabilité de ne pas y arriver avec un enfant ».

Reportage
Angélique Schaller


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