Réflexions – Les jeux vidéo et les médias généralistes

Les jeux vidéo et les médias généralistes (la télévision en tête), c’est une vieille et longue histoire d’amour où le scandale n’est jamais loin, où la polémique ne tarde pas à pointer le bout de son nez. C’est un peu comme la chanson de Gainsbourg, Je t’aime moi non plus. Pour illustrer au mieux ces relations chaotiques, et tenter de les expliquer, retour sur quelques marottes de nos journalistes-investigateurs zélés du petit écran.

Laurent Delahousse, journaliste

 

 

 

I) Du silicone et des morts

L’affaire Dead or Alive

Des silicones à la base d’une bonne blague

L’affaire est connue des gamers, on pourrait presque parler d’un cas d’école. Un nouvel opus de la série Dead or Alive vient de sortir au Japon. Un journaliste de France Télévision pense tenir là un scoop. Prenant un air grave et une voix solennelle, il nous annonce entre deux reportages éclairs sur l’économie du pays et un conflit armé la mauvaise influence des jeux vidéo sur nos bambins/adolescents.

En effet, des Japonais se seraient suicidés en absorbant des globes de silicone à cause d’un report de sortie du nouvel opus de la série. Tout est intelligemment mis en scène. Les morceaux d’interviews savamment choisis, tous illustrant l’addiction, la violence des jeux vidéo. La voix off d’ailleurs n’hésite pas à en rajouter.

Les Japonais sont des êtres excessifs, c’est vrai (cinéma bis de mauvais goût, jeux télés parfois idiots). De là à se tuer pour le report d’un jeu, il y a un pas que la Prudence ne saurait franchir. Heureusement, l’émission Arrêt sur images, qui officie désormais sur Internet, démontra à l’époque que ce drame sensationnel n’était en réalité qu’une gigantesque blague d’un internaute postée sur un site amateur parlant de jeux vidéo.

Informations erronés

Quand jeux vidéo et investigation ne font pas la paire

Ce qu’il y a d’agaçant, outre le ridicule de l’affaire, c’est bien le fait de nourrir avec nos impôts, la fameuse redevance audiovisuelle, une télévision publique qui ne justifie pas toujours son prix (un organe privé n’a de compte à rendre qu’à ses sponsors). Une fois n’est pas coutume, on retrouve dans cette affaire la carte du sensationnel, une moralisation outrancière comme les JT savent si bien le faire. Le reportage est truffé d’invraisemblances et d’approximations.

La traduction erronée des paroles d’un joueur japonais en est le parfait exemple. On a l’impression dans le reportage que le brave type sondé n’est au fond qu’un psychopathe prêt à craquer. Les mots sont biens choisis, les coupures ne sont pas innocentes. C’est bien comme cela qu’on fabrique un propos.

Autre approximation, l’emploi du terme otaku. Il est clair que le journaliste de France 3, ou ses rédacteurs, n’y connait fichtrement rien. Un otaku pour parler des gamers ? Il s’agit bien là d’un emploi réducteur. L’otaku étant, en se rapportant à la signification japonaise (o, marque d’anoblissement d’un terme, et taku signifiant « demeure »), une personne pratiquant une activité à la maison. Les jeux vidéo, oui, mais de manière plus large les mangas, les animes. Bien souvent les jeux vidéo ne sont que les extensions vidéoludiques de mangas. Prendre un terme pour un autre, en réduire le sens, c’est un peu passez outre le choix des mots, donc au préalable l’assimilation de notions parfois voisines. On appelle ça, dans le langage courant, un travail de documentation…sérieux. Non fait dans le cas présent.

Dramaturgie et psychologisation

A côté de ces erreurs, on relève toute la panoplie de la théâtralisation de l’information. Tout d’abord, la diction macabre de la voix-off. Ce phrasé de clerc nous faisant la leçon, le timbre grave pour faire écho au drame qui est évoqué. Dès les premières secondes, le spectateur comprend que l’affaire est triste mais également sérieuse. Point de distance, ici rien que le fait divers dans son intégralité.

Toute dramaturgie télévisuelle, concernant les jeux vidéo, s’accompagne régulièrement d’une psychologisation du problème. Il faut toujours insérer dans un quelconque reportage, la parole d’un psychologue (vaguement défini). Il fait autorité, du fait de son statut et non de sa connaissance du média interrogé. Il parlera ainsi des dérives, des problèmes, au besoin il nous rassurera. Alors qu’on est en droit d’attendre un initié (le psy qui parle l’est très rarement) pour aborder le problème, le JT préfère la parole sanctifiée, la psychologie étant d’une certaine façon une religion de masse aujourd’hui, du psychologue.

II) Les jeux en ligne ou la perversion des esprits

Le cas Dofus

Illustration de personnages de l’univers Dofus

Autre affaire, autre cas d’école. Cette fois-ci, il s’agit des MMORPG, les jeux de rôle en ligne du style World of Warcraft. Un jeu fut précisément, il y a quelques années, dans le collimateur d’un journaliste : Dofus. L’idée est, à la base, de présenter au grand public ce phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur en pointant, tout de même, les différents problèmes que pose le MMORPG. Encore une fois, la tournure du reportage est polémique, procédurière.

Cette fois-ci, la voix-off n’est pas celle d’un homme mais d’une femme. Il faut bien toucher le cœur des ménagères, de ces femmes qui voient, sans trop comprendre, leurs enfants se jeter sur ce jeu en ligne. Quoi de mieux qu’une bonne complicité féminine pour rallier la téléspectatrice au propos qui suivra. La voix-off parle donc de « vie par procuration », de « temps qui s’arrête », de « monnaie fictive ». Les expressions ont une lourde signification et permettent d’appuyer la démonstration, et donc de convaincre, en employant quelques mots électrochocs : « temps », « procuration », « monnaie ». La jeune maman, déjà du côté de la journaliste, ne peut que craindre pour ses bambins.

Parents ectoplasmes

La mère interviewée dans le reportage montre son inquiétude. Authentique petite bourgeoise, elle parle de l’addiction à Dofus de ses enfants sans penser une seule seconde que, peut-être, elle pourrait intervenir et imposer son autorité. L’autorité, ce lien de supériorité naturelle qu’ont les géniteurs sur leurs enfants. Ce point ne sera pas traité durant le reportage, on ne va pas accabler des parents ectoplasmes tout de même, ils incarnent une part importante du public visé.

Le psy revient

Sigmund Freud

Je passe les approximations et autres erreurs que commet le reportage. On parle de prix à payer pour jouer en tronquant allègrement la politique menée par Dofus en la matière…encore une affaire de réduction. Après donc ces inévitables saillies, le psychologue fait son retour. Nouvelle psychologisation du problème. Le bonhomme nous parle de l’addiction et palabre un peu en usant de son jargon.

Pourquoi autant de psychologie pour parler du jeu vidéo ? Il faut y voir là, je pense, un véritable phénomène de société. Cette science, qui n’en est pas une au sens strict du terme, a le vent en poupe chez nous depuis longtemps. Des concepts comme le transfert, le rapport au père ou le complexe d’Œdipe sont autant de notions assimilées et acquises comme véridiques par bien des cerveaux. Pourtant, ce ne sont là que des suppositions, des hypothèses que rien ne confirment.

Rien ne nous dit que l’inconscient existe par exemple, et pourtant nous en parlons comme si l’inconscient était un fait et non une simple possibilité. C’est comme bâtir sur du sable, délicat et stupide. Il est plus simple de se rattacher à quelques vulgarisations de la psychologie que de chercher à penser, réfléchir, se confronter à des raisonnements autres que le sien en lisant des essais, des articles critiques. Bref, de sortir d’une grille de lecture émanant d’une tendance lourde d’une époque.

III) Tristes conclusions

Le faux problème de l’addiction

Les relations entre les jeux vidéo et les médias généralistes comportent de nombreuses affaires, l’idée n’est pas de toutes les citer mais de les analyser. Certes, les jeux vidéo ne sont pas inoffensifs, mais faut-il pour autant charger la mule et faire preuve d’étroitesse d’esprit voire de malhonnêteté intellectuelle ?

L’addiction, par exemple, n’est pas un problème exclusivement lié aux jeux vidéo. Un enfant complètement accro au foot, ne faisant que taper la balle et n’ayant comme seul et unique sujet de conversation les résultats du jour, ne sera pas bien évolué et aura rapidement des problèmes au niveau scolaire si sa passion n’est pas bornée. L’addiction est un problème général et non spécifique à tel ou tel domaine. De plus, l’addiction pour les jeux vidéo n’est pas prouvée. Des psychologues comme Serge Tisseron démontrent que l’usage même de cette notion est une erreur pour traiter du média interactif. On entend bizarrement assez peu des développements de ce type au JT. Enfin, l’addiction, ou disons un loisir non borné, n’est pas le problème premier. Elle est la conséquence de déséquilibres familiaux, intimes voire scolaires, professionnels. Autrement dit, place mal définie ou acceptée dans le cadre familial, rapport aux autres délicat…Mais pour dire cela, il faut creuser. Ce que ne font jamais les JT du fait d’une forme brève et de codes poussant à l’approximation.

La diversité du jeu vidéo

N’oublions pas surtout que les jeux vidéo sont d’une grande diversité et qu’il est idiot de les cantonner à telle ou telle catégorie. Il existe un fossé bien souvent entre un joueur acharné de PES et un amateur de point and click du type Versailles. Autant d’écart qu’entre un lecteur de Marc Levy et de Louis-Ferdinand Céline.

Image issue du jeu Versailles

Un jeu vidéo peut prendre la forme d’un récit d’action comme Uncharted 3, d’une aventure mélancolique tel Ico, d’un concept ludique bien exploité comme tant de jeux sur Iphone ou Android ou encore d’un casse-tête savant et scénarisé pour citer, au hasard, The Fall Trilogy de Kheops Studio. Pourtant, malgré ce fourmillement, on ne parle bien souvent aux JT que de FPS ou de MMO. Encore ce problème de la réduction.

Le problème des journalistes

Le problème du jeu vidéo est donc plus complexe que ce à quoi cherche à le réduire le journaliste généraliste. La plupart ne connaissent rien d’un tel domaine, ils ne jouent pas ou peu, la Wii ou l’Iphone comme seules bases concrètes, et ne s’intéressent pas aux jeux vidéo. Ce ne sont pas des initiés et pourtant ils commentent et analysent avec plaisir des affaires qu’ils ne maîtrisent pas. Là est le problème. Mais à côté de ce problème, qui concerne donc le traitement de l’information dans les médias généralistes, le jeu vidéo a la chance d’être un domaine d’expression artistique encore vierge de toute intelligentsia. Des individus comme BHL, sentencieux et approximatifs, procéduriers et inutilement frondeurs, sont loin de s’intéresser aux productions vidéoludiques. Ils ne savent rien, n’y connaissent rien et tant mieux. Ainsi, nous avons la paix.

Bernard-Henri Levy

On pourrait se demander comment lutter face à de tels reportages, quelles solutions pour rétablir l’équilibre. Je pense malheureusement qu’il n’y en a pas  beaucoup. La seule posture digne d’être adoptée reste peut-être celle de la critique et du sourire. Nous échappons encore aujourd’hui aux lourdeurs d’une culture labélisée et subventionnée. Et ça, ça n’est pas rien. Sourions, jouons et amusons-nous de ces tristes sires.

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