Qu’est-ce qu’être "normal"?

Depuis une semaine nous avons donc à la tête de l'état un président "normal". Un qualificatif que François Hollande s'est lui–même attribué dès la course à la présidentielle, et qu'il continue de défendre... Mais peut-on être président de la république et "normal" ? Comment entendre ce mot de la bouche d'un homme arrivé aux plus hautes sphères du pouvoir ? Et que dit vraiment ce mot, de lui, mais aussi de nous, de nos attentes ?

Anne Laure Gannac, vous êtes rédactrice en chef adjointe
à Psychologies Magazine. Et justement : du point de vue de la psychologie,
c'est quoi être normal ?

 

Ca n'existe pas ! Et pourtant, c'est l'un des premiers
motifs de visite chez un psy, la première question qu'on lui pose :
" suis-je normal ?", ou " mon enfant est-il normal ?",
" ai-je une sexualité normale ?", " mon couple est-il
normal ? "... Comme si, au fond, nous n'avions qu'une
inquiétude : sortir du rang, être différent. Ce à quoi la psychologie et
la psychanalyse répondent, en substance que oui, chacun est différent.
Etre normal ce serait correspondre à une norme, en avoir tous les attributs.
Or, chaque individu ,comme ce mot l'indique ! est singulier, unique ET en
même temps composé de multiples facettes, donc, d'une certaine façon, de
plusieurs normes potentielles...

Mais quand on dit que l'on veut être normal, dans ce
cadre là, c'est par opposition à " malade " ou " fou ",
non ?

Oui, sauf que face à cela, toujours du point de vue de la
psychanalyse et de la psychologie, on peut être, non pas normal, mais disons
" normalement névrosés ", pour paraphraser Freud. C'est ce qu'il dit
d'une analyse réussie : celle dont on sort en étant, en gros, un névrosé
ordinaire, c'est à dire selon lui, capable d'aller travailler et d'éprouver des
sentiments tendres pour un autre être.

Mais pour répondre encore à votre question, je crois que ce
souci de normalité parle moins de la peur d'être fou, que de celle d'être différent
et donc, rejeté. L'angoisse c'est d'être exclu, en raison de particularités qui
ne seraient pas solubles dans le groupe.

Et cette angoisse, elle vient d'où ?

Elle est aussi vieille que nos premiers pas dans la vie
sociale. Dès qu'un enfant a conscience des autres, dès qu'il arrive vers et
parmi les autres, il a un souci : être " comme ". Vous noterez
comment les enfants sont de grands réactionnaires, sur la plupart des sujets.
Pour eux, ce qui compte, c'est d'être et de faire à peu près comme tout le
monde. Et quand ils deviennent adolescents, ils vont peut-être envoyer promener
les normes qu'on a voulu leur inculquer ou celles qui sont les plus véhiculées
dans la société, mais pour se rapprocher d'une autre norme qui sera celle
choisie par un groupe d'amis auquel ils veulent appartenir. Mais tout cela est,
si j'ose dire, normal : on se construit en prenant modèle sur les autres.

Venons en maintenant à cette expression de
" président normal ". Ce qui est étonnant c'est que ce qualificatif,
" normal " n'est, a priori, pas valorisant. Il peut même être
péjoratif...

Oui, c'est vrai. Je ne suis pas sûre qu'à d'autres époques,
il aurait fait gagner un candidat à l'élection présidentielle. Parce que, en
effet, la norme s'entend comme une moyenne dont il s'agirait de ne pas voir une
seule tête dépasser. Une norme totalitariste, donc, qui imposerait une vision
unique de ce que doit être et de ce que doit penser tout individu. Une norme
comme négation des différences et des particularismes. Mais ce n'est évidemment
pas comme cela que ce mot est entendu ici. Le programme de Hollande élimine de
facto cette interprétation.

Comment entendre ce mot, alors, de sa part ?

Il y a quantités d'acceptions de ce mot qui dépendent de la
façon dont il est prononcé et dans quel contexte. Alors est-ce
" normal ", par rapport à pathologique ? Par exemple, par
rapport à un politique qui aurait fait beaucoup parler de lui ces derniers mois
par son comportement sexuel hors norme ? C'est aussi " normal "
par opposition à " hyper " : " président normal "
contre " hyper-président ". En ce sens, c'est moins de normalité, au
sens de " norme ", que de modestie, de modération, de simplicité,
dont il est question.

Dans tous les cas, c'est amusant de voir que ce mot qui
évoque la norme le " comme ", est justement utilisé pour marquer sa
différence !

Mais est-ce qu'un président peut être
" normal " ?

Ces traits que je viens de citer : modestie,
modération, simplicité sont des qualités humaines que tout individu peut
posséder, Président compris. Parce que ce sont des valeurs. C'est presque une
question d'éducation.

C'est-à-dire ? En quoi l'éducation reçue peut servir
ou pas se sens de la normalité, ou plutôt de l'humilité, d'un président ?

Il y a en gros, deux façons d'élever un enfant : soit
en lui disant : " tu es le meilleur, tu es un conquérant, tu seras
président de la République... ", soit en lui disant : " ne te fais pas
remarquer ", " sois humble ", " n'oublie pas d'où tu
viens ", etc. D'un côté les parents, et plus traditionnellement les mères
avec leurs fils, qui les poussent dans la voie de la puissance, qui
investissent leur enfant de manière très narcissisante, et celles qui ont pour
souci principal d'éducation la transmission de valeurs importantes à leurs
yeux.

Est-ce là les portraits des mères de Nicolas Sarkozy et
de François Hollande que vous nous dressez ?

Pour ce qu'on a pu en voir, ce sont deux mères qui ont
toutes deux été très présentes auprès de leur fils. L'une se présentant comme
une femme forte, convaincue du talent de son fils Nicolas, donc très
narcissisante. L'autre, tout aussi aimante, mais semble t-il, plus discrète,
humble. Ces derniers temps, on a pu revoir, à la télévision, des images d'elle,
racontant : " enfant déjà il nous affirmait : je serai
président. " Ce à quoi elle ajoute : " cela nous faisait bien
rire ! " Ce qui montre bien qu'il n'a pas été élevé dans le culte de
sa personne et de ses ambitions, mais davantage dans l'humilité.

Mais si tout enfant peut rêver d'être président, la
réalisation de ce rêve n'est pas à la portée de tout individu
" normal "...

C'est vrai. Il y a quelque chose d'un peu " fou "
à vouloir assumer cette place. On ne peut pas désirer devenir chef des armées
sans avoir une certaine dose de mégalomanie, tout de même. Donc en ce sens oui,
on peut s'interroger sur la pertinence de cette expression de " président
normal ".

Je pense à ce roman de Serge Joncour,
" L'idole " : l'histoire d'un homme qui, un matin, se retrouve
célèbre tout à fait malgré lui. Cela ressemblerait probablement à cela, un
président normal : un homme qui, sans y avoir jamais pensé, sans avoir
rien fait pour, se retrouverait catapulté à l'Elysée.

Mais dès lors qu'il y a un désir puissant d'être à cette
place, qu'il y a un choix de parcours professionnel qui va dans ce sens
là : HEC, Sciences Po, ENA... on peur parler d'une personnalité non pas
" anormale ", mais en tout cas exceptionnelle, pas banale, du moins.
Et qui, malgré tout, c'est ce qu'elle veut, où elle veut aller.

 

 

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