Quels sont les biais psychologiques des traders ?

Londres début des années 90. la Barings Bank, est en faillite. Le coupable est un jeune trader de 28 ans qui défraya la chronique et qui fit gagner des sommes faramineuses à son employeur avant de s'enfoncer dans un abîme dont lui-même ne mesura pas l'ampleur.

Comment un jeune homme ambitieux et naïf
a-t-il pu faire sombrer par sa seule entremise l'une des institutions les plus
anciennes et les mieux protégées du Royaume-Uni : la banque de la reine
d'Angleterre?

La psychologie est souvent occultée sur les
marchés financiers. Pourtant, tous les grands traders, sans exception,
considèrent la maîtrise des émotions comment l’élément le plus significatif
dans leur réussite. Certains traders perdent tout contrôle sans même comprendre
pourquoi, d’autres, extrêmement brillants, tombent dans le piège du comportement
moutonnier et refusent d’admettre leurs erreurs. Le trader va souvent justifier
sa contre-performance en évoquant une mauvaise connaissance des marchés ou la
nécessité de mieux maitriser une méthode d’analyse en mettant l’accent sur la
dimension analytique et en occultant totalement l’importance fondamentale de la
psychologie.

La chute du mythe de « l’Homo œconomicus » : nous ne sommes pas des êtres rationnels

La finance comportementale  qui consiste à appliquer de la psychologie à
la finance (1) va
infirmer les propos de l’approche classique de la théorie économique et
prouver, grâce à de nombreuses recherches, l’existence de biais psychologiques.
Cette théorie considère que les individus ne sont pas rationnels puisque leurs
décisions sont généralement affectées par des biais psychologiques, classés en
deux catégories : les biais cognitifs et les biais émotionnels.

Les biais psychologiques sont souvent
dynamiques, un biais pouvant en engendrer un autre. En effet un biais cognitif
peut causer une perte et déclencher un biais émotionnel (réaction négative par
rapport à la perte), qui à son tour poussera le trader à prendre des décisions erronées
et à aggraver sa situation.

Nous voyons l’intérêt pour le trader de
comprendre le dynamisme des biais cognitifs afin de mieux les maîtriser, petit
tour d’horizon de quelques biais psychologiques ayant une incidence en termes
d’investissement boursier.

La
gestion des émotions : gérer les pertes, gérer les gains

Daniel Kahneman[2] et  Amos Tversky montrent que les pertes sont
perçues de manière bien plus douloureuse par un trader que la satisfaction
ressentie pour un gain du même ordre. En d’autres termes, les traders refusent
de prendre des risques supplémentaires en situation gagnante mais sont favorables
au risque en zone de pertes. Ce résultat montre que les traders ont tendance à
se comporter différemment selon qu’ils sont en position gagnante ou perdante.
Ils seront prudents quand ils gagnent et extrêmement aventureux quand ils
perdent.


L’excès
de confiance

Une étude de l’économiste Terrance Odean[3]
montre que de nombreux traders particuliers souffrent d’un excès de confiance
dans leurs capacités et que les hommes sont plus touchés que les femmes par ce
biais psychologique. Les individus pensent souvent qu’ils disposent de qualités
et de capacités supérieurs à la moyenne, ce qui les pousse à effectuer des
opérations peu réfléchies et à ne pas réaliser le travail de recherche
nécessaire. L’excès de confiance peut donc se révéler dangereux, d’autant que
la prudence est une qualité essentielle chez tout trader.

Biais
de disponibilité

L’investisseur se contente d’une
information disponible immédiatement, au lieu de rechercher activement toutes
les informations nécessaires à la prise de décision. Ainsi, dès l’émergence
d’un signal faible, certains traders novices se précipitent pour se
positionner. Pour un bon trader, cette information est insuffisante pour
prendre une décision pertinente. Le trader aguerri a compris l’importance
d’attendre la convergence de plusieurs signaux avant de se positionner.


Heuristique
de jugement

Il s’agit de raccourcis cognitifs
empruntés par les individus pour émettre un 
jugement et prendre une décision. Un baromètre de la chaire Banques
Populaires à Audencia Nantes sur la Vulnérabilité financière des Français a
notamment mis en lumière une heuristique de jugement de la population française
sur une question simple de connaissance financière ayant obtenue 75% de
mauvaises réponses.  Un membre de la
chaire souligne que "les personnes ont trop tendance à se
faire confiance et à suivre leur première intuition alors qu’il faudrait prendre
plus de temps pour réfléchir"
.

En psychologie,
cette opération mentale, rapide et intuitive s'appelle une "heuristique de
jugement". Il s'agit de raccourcis cognitifs utilisés par les individus
afin de simplifier leurs opérations mentales. Les heuristiques permettent aux
individus un gain de temps car en les utilisant, ils ne tiennent pas compte de
toute la complexité des informations pertinentes relatives à la situation.


Biais de représentativité et la loi des petits
nombres

Pour rappel, la loi des grands nombres
considère qu’un résultat statistique n’est acceptable que si l’échantillon
observé est suffisamment important. Dans les faits, de nombreux individus ont
tendance à généraliser ce qui n’est qu’un cas particulier. On se réfère à la
loi des petits nombres pour prendre une décision et cela dénote une méconnaissance
de la théorie des probabilités.

Ce biais psychologique consiste à
surpondérer l’information récente. On considère ce qui s’est produit dans le
passé a de fortes chances de se reproduire dans un avenir proche. Cette erreur
biaise clairement les anticipations et affecte la prise de décision. Plusieurs
études montrent que les investisseurs sont très optimistes sur un marché en hausse et excessivement pessimiste sur un marché en baisse.

Ce biais psychologique peut expliquer en
autre quelques bulles financières : la contagion psychologique favorise un
état d’esprit qui justifie les hausses des prix, de sorte que la participation
à la bulle pourrait sembler être qualifiée de rationnelle mais c’est l’inverse.


Biais de conservatisme

L’investisseur surévalue l’information
qui confirme son opinion et minimise les informations discordantes. En effet
les individus cherchent à réduire la dissonance cognitive : il ne doit pas
y avoir d’incohérence entre l’information reçues et la conviction de
l’individu.


Biais d’optimisme

De nombreuses études, montrent que les
traders en excès de confiance ont une performance inférieure à celle des
traders plus conservateurs. L’excès d’optimisme peut avoir des effets pervers
sur la décision d’investissement : il pousse par exemple le trader à
sous-estimer le risque.

De nombreux biais comportementaux perturbent
nos prises de décisions économiques. L’humeur du moment, la capacité à
maîtriser ses émotions, la propension à vouloir minimiser les regrets potentiels
en cas d’échec ou la peur de l’inconnu autant d’éléments à prendre en compte
afin d’analyser nos comportements économiques. Les interactions sociales, le
conformisme ou le mimétisme peuvent également avoir une influence sur la
manière de prendre une décision. L’intérêt de la finance comportementale est
double. D’une part, elle permet de mieux analyser son comportement et de savoir
reconnaitre les situations à risque. En effet la réussite exige de la part du
trader qu’il puisse observer de manière neutre ses actions car cela lui
fournira des informations précieuses sur les mesures à prendre pour opérer de
manière optimale sur les marchés. D’autre part, elle permet de comprendre la
dimension psychologique des cycles de marché et, éventuellement, d’appliquer
des stratégies qui en tiennent compte.

[1] Née il y a une trentaine
d'années, la finance comportementale a été reconnue officiellement en 2002 avec
la remise du prix Nobel d'Economie à ses deux pères qui sont Daniel Kahneman et
Vernon Smith

[2]Daniel Kahneman a
obtenu le prix Nobel d’économie en 2002 pour ses recherches sur la prise de
décision en situation d’incertitude.

[3] Odean, « Do investors trade
too much ? », American Economic
Review
, 1999

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