Quand les corps sont accros

«J’ai senti des mains brûlantes soulever mes cheveux, un souffle sur ma nuque, raconte Delphine, 33 ans. Dès lors, j’ai su que ni mon mari ni mon bébé ne m’empêcheraient d’aller au rendez-vous que cet homme venait de me fixer. Quand je suis arrivée, nous n’avons pas échangé une parole. Il m’a embrassée et a commencé un duo des corps comme je n’en avais jamais vécu. J’avais connu le plaisir, mais jamais ce débordement, cette façon de ne plus être qu’animale. Le soir, j’avais l’impression d’avoir bu. Trois jours plus tard, il a rappelé. Entre-temps, je n’avais pensé qu’à lui, à retrouver cette connivence parfaite. Par moments, je pleurais de bonheur. Sans arrêt, au bureau, chez moi, me revenaient les scènes de nos rencontres. Au bout de six mois, mon amant m’a annoncé qu’il retournait dans son pays. J’ai été soulagée, car ma vie de mensonges ne me plaisait pas, mais je n’imaginais combien me passer de lui serait douloureux. J’étais comme une droguée qui décroche. Mais je n’ai jamais regretté. »

La folie des corps à corps

Vivre une passion physique peut donc être une chance puisque cela permet de découvrir en soi une potentialité sexuelle que l’on ignorait, de renouer avec la part animale, souvent muselée, en nous. « Plusieurs de mes patientes, raconte Alain Héril, psychothérapeute, l’ont vécue, ébahies par ce qui leur arrivait, car il est récent que les femmes acceptent de se laisser aller à leurs pulsions en dehors des systèmes conjugaux traditionnels. La plupart y ont découvert un épanouissement sexuel qui leur a donné une énergie pour la suite de leur parcours amoureux qu’elles n’auraient pas eue sinon. »

Accepter la pulsion et sa satisfaction, fût-ce de façon passagère, voilà ce qui importe si nous voulons vraiment être vivants. Lacan disait : « Il faut oser vivre la pulsion. » Mais cela signifie-t-il qu’une passion physique n’est réellement que physique ?

« Il y a, entre les individus, une plus ou moins grande compatibilité physique, souligne Violaine-Patricia Galbert, thérapeute de couples. Il y a des corps dont on a l’impression qu’ils se connaissent depuis toujours. C’est lié aux phéromones, ces substances chimiques sécrétées par un individu et perçues par l’autre au niveau de son inconscient. » Mais l’amour ne naît pas forcément au cœur d’une relation où la sexualité est pourtant divine. De même que l’on peut s’aimer profondément sans que les corps trouvent l’harmonie.

« Si l’homme amoureux met inconsciemment la femme en place de mère, explique le psychanalyste Yves Prigent, ou si la femme met l’homme en place de père, ou de mère aussi d’ailleurs, les relations sexuelles sont compliquées, car on ne fait pas bien l’amour en famille ! Alors, on va le faire avec des personnes à qui l’on ne s’attache pas. »

Le vertige des excès

Ces relations où seul le corps s’engage sont souvent dévalorisées parce qu’elles durent peu. « Nous autres Occidentaux, explique Alain Héril, pensons que former un couple, c’est mettre des projets en commun. S’il n’y a que l’activité sexuelle, cela nous semble bien peu. Et les problèmes commencent lorsque l’un des deux veut cadrer cette relation dans un couple traditionnel. Il faut comprendre que la pérennité n’y est pas de mise, mais que là n’est pas l’essentiel. »

De plus, cette sexualité débridée nous effraie car elle peut nous mener à l’excès. « J’ai connu une femme, raconte Nicolas, 37 ans, avec qui j’étais dans une telle passion sexuelle qu’il y avait comme une escalade de la violence. Pendant l’amour, nous nous crachions dessus. Un jour, je l’ai frappée avec ma ceinture, une autre fois, elle m’a attaché et mordu. Nous ne contrôlions plus rien. » Pourquoi l’explosion du sexuel débouche-t-elle parfois sur de la brutalité ? « Les extrêmes se rejoignent, répond Alain Héril. En allant vers l’extrême jouissance, on se rend compte qu’Eros et Thanatos ne sont jamais loin, que l’amour et la mort sont liés. »

Faire durer l’ivresse

Il arrive aussi que ces histoires qui commencent par un surinvestissement sexuel ouvrent, par la suite, d’autres portes. « Quand je suis sortie avec cet homme, j’avais honte, raconte Noémie, 25 ans. Il représentait tout ce que je déteste. Il n’était pas spécialement beau, faisait des plaisanteries lourdes. Pourtant, dès que nous avons fait l’amour, il y a eu un déclic. J’étais envoûtée par sa peau un peu molle, j’adorais m’enfouir dans sa chair, d’où je ressortais groggy. Avec lui, j’ai découvert que je pouvais avoir plusieurs orgasmes de suite. Malgré tout, je l’ai quitté plusieurs fois parce que je ne l’aimais pas. Mais le manque était trop grand, et je me suis dit qu’il était idiot de passer à côté d’une telle entente physique. Peu à peu, je l’ai mêlé à ma vie, lui à la sienne. Nous vivons ensemble depuis six mois. » S’il n’est pas toujours évident de transformer son partenaire sexuel idéal en partenaire de vie, peut-être faut-il néanmoins savoir saisir la chance d’une passion physique puisqu’elle nous offre l’opportunité d’aller plus profondément en nous pour explorer des zones qui, autrement, demeureraient inconnues.

Admettre ses faiblesses

« Clara et moi », premier long-métrage d’Arnaud Viard, raconte l’amour fou qui lie Clara et Antoine. Jusqu’à la révélation de la maladie de Clara, qui fera fuir Antoine.

« C’est un film sur la rencontre amoureuse, magique, passionnelle, fusionnelle, nous a confié Arnaud Viard. Mais mon héros n’arrive pas à gérer les difficultés du réel, il n’accepte pas ses émotions. Il faut admettre ses faiblesses pour devenir un homme, et donc pour pouvoir aimer une femme. Transformer l’amour passion en amour profond demande une maturité que mon personnage masculin n’a pas. Je le sais, ce film, c’est un peu mon histoire. »

Isabelle YHUEL

Leave a Reply