Psychologie sociale de la connaissance ; étayage expérimental de …

 

 

 

 

 

CHAPITRE 1

 

 

 

Vers un modèle de l'influence dans les tâches d'aptitude

 

 

L'exercice de l'influence a toujours été lié à la possession d'un certain pouvoir, de certaines habiletés, à la capacité d'imposer ses idées. L'individu qui parvient à influencer bénéficie d'une image de prestige, puisque par son impact il confirme son statut, sa compétence ou son charisme. En revanche, le fait d'être influencé dénote une certaine dépendance, un manque d'idées propres, une carence de compétence ou d'autonomie. Être influençable est un trait socialement dévalorisé. Que peut-il alors y avoir de positif dans le fait d'être influencé ? Pas grand-chose, si l'on se place dans un cadre théorique qui conçoit l'influence uniquement comme la faculté de faire changer autrui, sinon de le manipuler. D'une certaine manière, celui qui se fait influencer perd, à tout le moins symboliquement, quelque chose dans la confrontation avec celui qui l'influence.

Il est cependant une autre manière de voir les choses, qui conceptualise ce que gagne celui qui se fait influencer. Cette approche consiste à « considérer l'influence comme un facteur du dedans de la connaissance, en vue de l'acquérir, et non pas comme un facteur du dehors, servant à la manier » (Moscovici, 1992). Cette vision des choses revient à attribuer à l'influence une fonction sociale de transmission et de partage des connaissances, de mise en relation entre savoirs anciens et nouveaux, d'élaboration et de réflexion épistémiques. On voit alors l'unité profonde entre connaissance et influence (Moscovici, 1993). Si l'influence sociale est une forme de construction de la connaissance, se faire influencer ne signifie plus être passif, renoncer à son autonomie ou à ses idées antérieures. Au contraire, se faire influencer devient une activité, dans le sens où une influence peut avoir lieu seulement si l'individu restructure activement ses connaissances. Ce livre propose une théorie de l'influence en tant que « facteur du dedans de la connaissance », en considérant donc l'influence comme un processus d'acquisition, d'articulation et de modification de la connaissance. Nous allons prendre la perspective de la cible d'influence, pour mettre en évidence quelles connaissances et quelles représentations sont articulées et modifiées par l'influence sociale, et comment leur articulation détermine la forme que l'influence va prendre. En d'autres termes, nous allons étudier le lien entre connaissance et influence, et plus particulièrement les conditions auxquelles celle-ci contribue au développement des connaissances et de la compétence subjective qui l'accompagne, mais aussi les facteurs qui ont des effets délétères sur ce développement.

Ce volume a pour objectif de présenter les travaux expérimentaux réalisés dans le cadre du modèle de l'influence sociale exposé dans le volume précédent (Quiamzade, Mugny Butera, 2013). Celui-ci a décrit du point de vue théorique l'ensemble des processus psychologiques sur lesquels s'appuie ce modèle. Le présent volume en présente l'étayage empirique, et fera la part belle à l'approche expérimentale. Nous commencerons par rappeler ce modèle, mais nous le présenterons dans une approche historique, pour éviter des redondances avec le volume précédent, tout en reprenant les éléments fondateurs du modèle. Nous décrirons en effet le cheminement de la pensée scientifique qui a abouti à la conception présentée dans le chapitre conclusif du premier volume. La même démarche sera suivie pour les différents types de confrontations sociales examinés. Chapitre par chapitre, nous décrirons autant que faire se peut les idées qui ont précédé celles d'aujourd'hui, pour que le lecteur comprenne d'où celles-ci procèdent, et comment les évolutions successives ont permis de combler les lacunes et de dépasser les explications antérieures. Cette démarche correspond au fait que le corpus théorique présenté dans le premier volume s'est développé graduellement, précisément grâce aux études qui sont présentées dans ce volume, ce que le premier ne laissait pas transparaître.

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