Psychologie en Algérie, entre le statut et le savoir-faire

Effectivement, aborder la question de la psychothérapie en Algérie et des lieux de formation reste un sujet très vaste et passionnant, car c’est un domaine vierge et qui demande beaucoup d’efforts. Ma réflexion tourne autour de trois axes : le statut, les types de thérapie et enfin les pratiques thérapeutiques.

Dans plusieurs pays, le statut de psychothérapeute est réglementé. Cette mesure est justifiée pour protéger la fonction et les clients contre l’emprise des sectes et des pratiques charlatanesques douteuses. Ainsi, le titre est généralement réservé aux médecins, psychiatres et psychologues. Cependant, les conditions de formation proposées aux psychologues, en Algérie, laissent à désirer. Le statut du psychologue reste à ce jour ambigu ! Ni le contenu de la formation ni la durée de la qualification ne sont respectés afin de former des professionnels capables de répondre aux besoins et problématiques présentés par leurs patients. Et ceci pour plusieurs raisons ; en premier lieu, le niveau de l’université est dernier au classement des universités africaines. Le contenu proposé reste très obsolète dans certains modules, quelques étudiants me sollicitent parfois, et je suis étonné de voir que les concepts de base de la psychologie ne sont pas acquis.

Je me souviens d’un psychologue qui m’a sollicité pour l’orienter vers des tests de mémoire, lorsque j’ai voulu savoir quel type de mémoire il voulait évaluer, je me suis aperçu qu’il y avait une grande confusion entre les différents types de mémoire et leur fonctionnement; cette lacune n’est pas à son niveau, mais serait plus au niveau de la formation universitaire proposée.  De plus, lorsque l’encadrement est confié à certaines personnes qui ont des failles dans leur formation, réduit les diplômes universitaires à une formalité administrative.
Cas d’une soutenance de magistère en psychologie sur la maladie de Parkinson : parmi les membres du jury se trouvait un docteur en psychologie qui affirmait que les malades de Parkinson n’ont pas de problème de mémoire de travail, pourtant plusieurs systèmes de mémoire sont altérés dans cette pathologie, y compris la mémoire de travail ! L’interrogation qui s’impose est comment une telle personne avec ce diplôme universitaire peut-il commettre une erreur flagrante comme celle-ci et être toujours en poste ? Comment peut-on encadrer de futurs psychologues ou chercheurs de psychologie quand on n’est pas assez formé ? La problématique est dans la formation des formateurs !

Quant aux questions du contenu et des courants de psychologie proposés, de la pédagogie d’enseignement, de la langue, de la documentation, des modalités de stage, elles restent des sujets quasi-absents dans la préoccupation des réformes (lorsqu’elles existent) des instituts de psychologie.  Autrement dit, ce sont l’ensemble des interrogations qui n’ont pas été réellement abordées à ce jour ! Car d’une part, la discipline de la psychologie n’occupe pas un espace public important, de ce fait les autorités politiques ne la reconnaissent pas à sa juste valeur, au contraire, il pourrait y avoir une méconnaissance et des préjugés sur le métier de psychologue ! D’autre part, les psychologues eux-mêmes ne sont pas en capacité de s’unir pour former une entité et un lobbying au niveau politique. Cette désolidarisation tourne souvent au règlement de comptes personnels entre les différents services d’un même institut ou de la même université. Parfois, ces règlements de comptes pénalisent les étudiants et le fonctionnement des instituts de psychologie. Et les exemples ne manquent pas ! Ces dysfonctionnements retardent l’évolution du métier de psychologue en Algérie.

La création du Syndicat des psychologues algériens, qui défend le métier, est à féliciter, cependant, cette organisation souffre du manque d’adhésion des concernés ; de plus, il est isolé par les pouvoirs publics.  L’idéal serait que les professionnels prennent conscience de l’urgence de s’unir pour préserver le métier de psychologue des pratiques douteuses et surtout de s’imposer comme une discipline scientifique.

Pour ce qui est du niveau de formation, au-delà de la transmission d’un savoir, d’un savoir-faire ou encore d’un savoir-être, le psychologue accompagne un remaniement identitaire. Réfléchir sur la formation en psychologie, c’est aussi se pencher sur ses attendus tout autant que sur la façon dont les enseignants-chercheurs et les psychologues ont à questionner leurs modèles théoriques, leurs pratiques de transmission et les positions qu’ils assument. En plus, la formation doit être pensée en termes de compétences, c’est-à-dire un psychologue compétent est un maestro régulièrement entraîné et qui contrôle parfaitement ses instruments. Comme nous l’avons souligné plus haut, la question de la formation des psychologues en Algérie se pose à deux niveaux : d’une part le niveau de  la formation des formateurs et, d’autre part, dans la réforme destinée aux étudiants. L’ensemble des articles publiés sur la question, y compris le dernier numéro de Psychologie, montrent des déficits dans la formation des psychologues en Algérie, d’où l’urgence de réfléchir en profondeur sur ce métier et son statut.

Ceci dit, je pense en premier lieu, avant d’entamer toute réflexion, à définir le statut du métier de psychologue. Comment ? Les années d’études pour l’obtention du diplôme. En France, par exemple, ce n’est que depuis 1985 que le titre professionnel de psychologue est réservé aux titulaires d’un diplôme de haut niveau en psychologie, bac+5. Dans certains pays, comme le Canada, c’est avec un bac+8. Cependant, en Algérie avec une licence de psychologie, on peut exercer ! Pensez-vous réellement qu’avec un bac+3 on pourrait avoir des professionnels capables de répondre aux besoins de leurs patients ? Un jeune de 21 ans peut-il devenir psychologue, sans aucun processus de maturation des concepts et d’intériorisation de la pratique thérapeutique ?

Pour rappel historique, trois décrets réglementent le statut du psychologue : ledécret n°73-69 du 16 avril 1973  portant statut particulier des psychologues de santé publique ; le décret n°91-111 du 27 avril 1991 portant statut particulier des psychologues ; le décret n°09-241 du 22 juillet 2009  portant statut particulier des fonctionnaires appartenant aux corps des psychologues de santé publique. Ces statuts successifs ont précisé les tâches, défini les carrières et les responsabilités. En effet, le statut de 1973, très «rudimentaire», visait simplement à faire exister la profession, il ne spécifiait que le rattachement des psychologues cliniciens au ministère de la Santé, les lieux d’exercice, le recrutement et le salaire ; les tâches n’étaient même pas définies. Le statut de 1991 s’est étoffé de chapitres sur le champ d’application, le droit et les obligations, la formation et la création de grades. Quant au statut de 2009, il réglemente les promotions, classifie les grades et institue le grade de psychologue clinicien principal et celui de psychologue clinicien major, recruté par voie de concours ou d’examen professionnel.

L’urgence est, alors, d’affilier l’attribution du diplôme de psychologue (dans le service public ou privé) à une institution étatique qui assignera le titre après s’être assurée du nombre d’années d’études et des stages effectués ; de ce fait, un numéro commun sera attribué, comme c’est le cas en France, un numéro Adeli (Automatisation des listes) attribué par l’Agence régionale de la santé (ARS). Cette procédure protégera le titre du psychologue et en conséquence assurerait/garantirait une bonne formation pour nos psychologues, ce qui aurait une répercussion au niveau des prises en charge et/ou des accompagnements.
Essayons de nous intéresser au rythme de la formation. Dans plusieurs pays, le premier cycle est réservé aux connaissances de base en philosophie, statistiques, informatique, neurosciences, biologie, sociologie, pédagogie, méthodologie de recherche et psychologie, mais aussi aux différents types d’école de psychologie et de spécialités : la psychologie scolaire, la psychopathologie clinique, la psychologie de la santé, la neuropsychologie, la psychologie de travail, l’ergonomie, etc.

La troisième année du premier cycle offre à l’étudiant plusieurs choix de spécialité en psychologie et se finalise par une période de stage d’exploration, qui servira à renforcer l’étudiant dans son choix ou, au contraire, le poussera à changer son orientation professionnelle. Une licence en psychologie reste une initiation à la psychologie, car les vraies thématiques seront abordées dans la spécialisation en master 1. Pour certaines universités françaises et belges, l’inscription au master 1 se fait selon les dossiers, néanmoins dans d’autres, l’inscription se fait automatiquement après obtention d’une licence. Une fois l’étudiant inscrit en master 1, il peut choisir les séminaires qui correspondent à son orientation professionnelle, c’est-à-dire que s’il veut faire de la neuropsychologie, il doit forcément choisir des séminaires (modules) en lien avec la neuropsychologie, en plus de certains modules communs à toutes les spécialisations, comme la méthodologie  de travail (éthique des psychologues, méthodologie de la recherche, rédaction des comptes rendus psychologiques, etc.) et les statistiques, qui seront utiles dans le domaine de la recherche et dans la compréhension des tests, par exemple. Un stage de fin d’étude est obligatoire, avec un maître de stage sur le lieu de stage et un référent de stage, le maître assistant qui encadre le stagiaire au niveau de l’université.
Le stage peut intervenir une fois que l’étudiant a validé son master 1, avec une validation de stage qui sera finalisé par un rapport, où le stagiaire retrace son expérience au sein d’un ou de plusieurs établissements ou services, l’étudiant sera conforté dans ses connaissances théoriques et pratiques.

L’accès au master 2 se fait généralement avec un concours écrit ou oral, selon les universités, mais aussi avec un entretien individuel devant une commission de professeurs et de praticiens. Le master 2 peut se porter sur deux types d’orientation : recherche ou professionnel, selon le désir de l’étudiant, son orientation et ses compétences. La dernière année devrait être celle de la pré-professionnalisation, en conséquence le stage en est la colonne vertébrale. Il est important également que chaque université s’oriente vers des spécialisations spécifiques dans le domaine de la psychologie et la création de laboratoires d’étude dans chaque domaine. Le psychologue stagiaire (spécialisé en psychopathologie clinique, en neuropsychologie, en psychologie du développement, en psychologie de la santé, en psychologie du travail, en ergonomie, etc.) sera prêt à exercer son métier en ayant une certaine autonomie dans son lieu de stage. Le cadre théorique devrait être assuré par des professionnels en psycho-médico-social. C’est ainsi que le sentiment d’être psychologue pourra se construire, ainsi que la confiance pour investir ce rôle. Au-delà d’une problématique idéologique, la langue d’enseignement de la psychologie devrait pousser les responsables à remettre sur le tapis cet obstacle qui enfonce la formation. J’ai eu déjà l’occasion d’exposer cette problématique qui handicape réellement le parcours universitaire et la professionnalisation du métier de psychologue.

L’identité professionnelle du psychologue est-elle dans le médical ou dans le socioéducatif ? Effectivement, la psychologie est un métier charnière entre les deux champs d’intervention. Cependant, le médical est enseigné en langue française en Algérie et les disciplines des sciences humaines en langue arabe (arabisées à 100% depuis 1987).En conséquence, les psychologues, qui étaient rattachés au ministère de la santé depuis 1973, le sont désormais au ministère de la Protection sociale depuis le 1er janvier 1985. Depuis, elle est considérée comme science sociale, de ce fait, et pour d’autres raisons incompréhensibles,l’enseignement est assuré en langue arabe. Or une fois sur le terrain, le psychologue est confronté à une autre réalité, surtout dans le domaine de la psychopathologie clinique, où il travaille en étroite collaboration avec le corps médical ; les réunions, les comptes rendus et les correspondances se font en français. De même, ceux qui font de la psychologie du travail collaborent souvent avec des administrateurs, des managers, etc., formés en langue française. C’est un paradoxe que les jeunes psychologues subissent au quotidien. De plus, la documentation estquasi absente en langue arabe, ou alors est traduite en arabe moyen-oriental, avec une terminologie proche de l’anglais ! Devant ce dilemme, l’enseignement en langue française, avec un possibilité d’introduire l’anglais progressivement, s’impose pour les raisons soulignées plus haut, mais surtout pour avoir des psychologues compétents, en adéquation avec marché du travail algérien.   

Quant à la formation des psychothérapeutes, elle est délicate car la seule instance qui peut l’assurer est la SARP, présidée par le Dr Khaled. Elle a été créée en 1989 par un groupe d’enseignants et de praticiens cliniciens qui assurent des formations continues dans le domaine thérapeutique. De plus, quelques initiatives pionnières dans le domaine de la neuropsychologie cognitive et la science du langage sont assurées par le laboratoire Salcom (université d’Alger) créé par le Pr Zellal, et enfin, le Centre de recherche, d’édition et d’applications psychologiques (Créapsy) créé en 1998, par le Dr Ait Sidhoum ; il vise à assurer le perfectionnement des psychologues en psychopathologie, en techniques projectives ainsi que des formations sur les tests psychologiques qu’il diffuse (distributeur exclusif des tests ECPA – France). Il a même lancé, en 2006, des certificats en psychologie clinique et psychopathologie, en évaluation des potentiels pour les psychologues du travail, des certificats pour lesquels il a fait intervenir des professionnels algériens et étrangers.
Cependant, ces formations sont difficiles à maintenir sans aucune subvention et les entreprises nationales ou privées n’investissent pas dans la formation de leur personnel. Quelques initiatives ont vu le jour, comme la formation à la thérapie familiale systémique (1998), sur le traumatisme psychique, etc., mais elles restent isolées et privées, non institutionnalisées.

Ceci dit, le statut juridique du thérapeute n’existe pas encore en Algérie, ce vide juridique a été occupé par certains «profiteurs», qui se réclament du «mourchid psychologique» et d’autres formes de pratiques douteuses ! En 1978, il y avait une seule faculté qui assurait la formation en psychologie et il y avait une quarantaine de psychologues qui exerçaient sur le territoire national. Actuellement, 6 universités forment des psychologues et plus de 1500 psychologues exercent. Néanmoins, pour répondre aux besoins de la demande, l’université devrait répondre aux exigences de la pratique car c’est le seul moyen d’assurer des compétences dans le domaine.

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