Psychologie du kamikaze

Le Maroc vient d’être frappé par une série très restreinte d’évènements terroristes, surtout après ceux du 16 Mai 2003 à Casablanca ; il le sera, probablement, encore dans les temps à venir. Limités par rapport à leur réalisation, spectacle, signification des dates choisies,  préjudice en dégâts matériels et humains, sans doute, ces évènements terroristes ont été perpétrés par des amateurs, conclusion unanime des spécialistes en la matière. A bien distinguer qu’on le pensait de la tradition terroriste en Algérie, manipulée par des professionnels quoique le mouvement « Al-Qaïda au Maghreb islamique » prétende commanditer, depuis le début de cette année les opérations terroristes dans l’ensemble des pays du Maghreb, du moins au Maroc, les forces de sécurité et la société civile se caractérisent par une vigilance quasi-totale à lutter contre ce phénomène étranger à notre société imprégnée par la tolérance et la solidarité de ses citoyens : les données sont parlantes d’elles-mêmes, extraordinaires, des citoyens, d’un courage et d’une attitude civique exceptionnels, ont procédé à l’arrestation de certains terroristes qui voulaient commettre des actes suicidaires ces derniers temps à Casablanca :les kamikazes du 10 et 14/4/2007, sont assez souvent arrêtés par des citoyens.    
Aujourd’hui, le Maroc n’est plus cette terre d’exception, lointaine et à l’abri des actes terroristes. Les évènements terroristes perpétrés, maintenant quatre fois, à Casablanca, sont là pour attirer l’attention si ce n’est déjà fait et sensibiliser à une problématique pouvant   toucher tout un chacun directement ou indirectement. Avant de songer aux mesures plus au moins sécuritaires, préventives et autres, il faut nécessairement savoir ce qu’il en est de la psychologique du kamikaze. Cela suppose de connaître ce qu’il en est du profil psychique des kamikazes, mais auparavant il convient d’émettre une lecture psychoculturelle définissant les dimensions et les aspects de cette problématique très complexe.              

Kamikaze : Délimitation
et dimension

Certes, on ne naît ni violent, ni terroriste, ni kamikaze, on le devient bien évidemment par la force d’une réalité complexe et doctrinale. Bien que tout se forge à travers l’encadrement, à la base des modalités référentielles fanatiques. Faut-il, d’embler, préciser que « se kamikazer » est l’ultime processus psychoculturel de l’idéologie terroriste ? Que pourraient être les dimensions significatives des êtres décidés de mourir, mais aussi, faire tomber des victimes selon des spectacles de violences au-delà de toute description? Que  signifie attaquer le Word Trade Center à New York avec des avions pleins de passagers, exploser des bombes dans le train à la gare d’Atocha à Madrid ou bien des suicidaires ont été explosés dans des hôtels, cybers… à Casablanca? L’enjeu psychologique est de taille. Il est à la fois spectaculaire, dramatique, théâtral et médiatique, car le terrorisme est à la recherche de l’ensemble de ces composantes pour une influence efficace sur l’opinion publique nationale et internationale.         
Le kamikaze suicidaire est un acte de l’extrême violence d’un être recruté, encadré, voire illusionné (cause défendue, paradis, etc.). Sans toutefois prendre position sur des distinctions d’ordre idéologique ou de vision : terroriste suicidaire, kamikaze martyr, opération martyre, etc, lorsqu’il s’agit de ceux qui défendent la thèse de la lutte contre l’occupation. Grosso modo, la finalité de l’acte en lui-même reste très significative, on est devant un être qui devient une bombe humaine et transforme les victimes en morceaux éparpillés dans un scénario sauvagement sanglant. Pensent-ils vraiment lorsqu’ils actionnent le détonateur de leur bombe ? Car des personnes confondues, hommes, femmes, enfants, des innocents voleront en morceaux.
Au-delà de la violence meurtrière apparente ou au-delà des actes sanglants, comment est parfois nommé le kamikaze ? Car se « kamikazer » est une opération suicide « délibérée » sous une influence psychologique violente pour atteindre des objectifs parfois utopiques et/ou idéalistes. L’horreur, l’atrocité,  l’impitoyable, etc., telle est la panoplie du terrorisme kamikaze. Finalement, le kamikaze est une véritable machine de la mort. C’est une réelle industrie de la fatalité.
Le but primordial du kamikaze est la recherche, et par tous les moyens, de semer la terreur et l’horreur. Historiquement, l’utilisation des kamikazes se situe pendant la bataille d’Okinawa en avril 1945. Les premières attaques kamikaze furent des succès car les navires américains perdaient la stratégie face à de pareilles tactiques. L’amiral William Frederick, commandant de la troisième flotte américaine, a résumé parfaitement bien la stupéfaction de ses troupes envers ces attaques : « La psychologie derrière les attaques kamikaze fut très étrangère pour nous. Les Américains qui combattaient pour vivre comprenaient mal comment d’autres combattaient pour mourir ».
En effet, tout le principe est là, car l’idéologie terroriste est fondée sur « mourir pour vaincre et dissuader, mourir pour gain de cause, etc. ». Il s’agit de « l’art de tuer, par son corps en se kamikazant, des personnes pour en terroriser des milliers, voire toute une population. C’est ici, finalement, l’objectif qui recouvre magistralement l’essence opératoire des kamikazes. D’un côté, la tactique de la violence ; de l’autre, la stratégie qui consiste à provoquer l’intimidation collective par la terreur. Cet aspect dimensionnel se conforme à la définition avancée, en général, par Crocq : « Le fait d’utiliser la violence ou sa menace pour susciter une peur extrême ou la terreur au sein d’une population ». Cette définition pertinente du terrorisme dans ses dimensions sanglantes se rend compte de son essence et peut s’appliquer à tous les cas de figure.
 A l’instar, tout acte de violence kamikaze envisagé pour semer la terreur se trouve inclus dans l’orbite de comportements terroristes. Ainsi, le kamikaze est la conséquence immédiate d’un terrorisme en soi qui se caractérise par la production de comportements de violence terrifiants orchestrée par une organisation collective (exemple, groupes islamistes fanatiques), en général des groupes clandestins, dans le but de réaliser un objectif nationaliste, politique, religieux, etc.     

Profil psychologique
du kamikaze : passage
à l’acte suicidaire.

Le terroriste peut provenir de n’importe quelle strate socio-économique, sauf que les kamikazes sont souvent spécifiés par certaines particularités. A la base, ils sont recrutés dans des milieux très défavorisés, les kamikazes de Casablanca de 16 Mai 2003 ou bien ceux de 11 Mars 2007, proviennent des souches socio-économiques et culturelles très vulnérables.
Au préambule d’analyse clinique et psychopathologique, ces individus sont exposés dès leur enfance aux pratiques symboliques et/ou réelles de ce genre de violence, ceux qui y sont préparés par une instruction d’encadrement à ces finalités, de même ceux élevés dans un contexte souffrant d’un manque affectif et possédant une tendance assez paradigmatique à devenir des terroristes surtout kamikazes.
Pour le psychiatre américain Hacker, les terroristes, notamment ceux qui perpètrent des actes d’extrême violence sont classés en trois types : Les idéalistes ou croisés, les criminels  et les malades mentaux ou sujets anormaux.
Alonso-Fernandez confirme sans doute que la modalité la plus répandue de nos jours est la première citée. En réalité, cette classification dépend du profil psychologique de chaque terroriste, des modalités du passage à l’acte criminel, les moyens utilisés, les victimes ciblées et les revendications fixées. A l’issue de cette lecture, un terroriste kamikaze pourrait impliquer, à la fois, les trois aspects comme processus psychique.
La criminologie clinique nous éclaire, bien entendu avec plus de nuance, sur le cas des kamikazes des évènements de Casablanca. Selon El Hamdaoui, deux indices illustrent la nature de ce phénomène et délimitent les critères pour se dire s’il s’agit de délinquance ou de criminalité à caractère idéaliste. Tout d’abord, il faut examiner l’acte en lui-même ; il est de nature kamikaze. Alors il s’agit bien d’un acte terroriste. Ensuite, il faut dépouiller et analyser le processus du passage à l’acte criminel pour ainsi comprendre comment, dans quelles circonstances on a mis en place le scénario suicidaire. Sans toutefois évoquer l’âge des kamikazes, leur sens de discernement, leur degré de responsabilité pénale, ces aspects ont-ils réellement une énorme importance dans l’approche psycho-criminogène de ce profil ?    
Il faut rappeler qu’il y a là un réseau de base formé des idéologues terroristes oeuvrant directement sur le terrain, dans le cadre d’un organigramme, et qui vise une population trop fragile sur le plan psychologique, culturel, socio-économique. Donc ces individus sont facilement réceptifs et influençables. Alors, la préparation psychologique de ces personnes se réalise d’une manière assez particulière. Au stade primaire du recrutement, beaucoup de jeunes recrues se désistent car les thèses avancées ne s’inscrivent pas dans leur perspective idéalisée. Ceux qui franchissent ce premier stade présentent une personnalité psychologique permettant facilement son intégration dans un processus idéologique terroriste et par conséquent kamikaze. C’est ainsi et vraisemblablement se forge le processus psychologique du kamikaze, au point de départ figure comme plate-forme essentielle- qui structure ses idées de référence-la terroidéologie du fanatisme, au cours de son développement, le fanatisme kamikaze, le fanatisme infiltrant sa personnalité,  se complique d’une certaine terropathologie et dans le dernier stade une terrible et méprisable terrocriminologie s’impose de toute évidence comme l’ultime violence:

a-Terroidéologie ou
l’idéologie terroriste

A quoi donc renvoie cet aspect tant idéologique que psychologique? Les cellules intermédiaires « dormantes », bien entre la base et les idéologues terroristes, chargés de recruter les exécuteurs de la mort, visent, d’une part, un terrain socio-économique et culturel défavorable, et d’autre part, une prédisposition psychologique. Pour les idéologues des associations fanatiques, il y a lieu d’une complémentarité étroitement liée entre le foyer de la précarité et la frustration psychique.
Le fonctionnement psycho-cognitif, des nouvelles recrues se reconnaissant dans ce discours terroidéologique, est caractérisé à la fois par un mécanisme de défense contre le sentiment de la marginalisation psychologique et sociale. C’est pourquoi, on s’attend à une perméabilité aux influences, quitte à dire la personnalité aisément infiltrée par la culture fanatique. Au cours de ce stade préliminaire se constitue la plate-forme structurale des idées du candidat fanatique à la violence.       Il va de soi, et dans ce cas de figure, que l’idéologie conduisant au terrorisme résulte de l’absolutisme d’un système d’idées répandu dont la référence culturelle, inconsciente et consciente, peut être aussi bien religieuse que sociopolitique et nationaliste. Alors, à partir de cette plate-forme, toute idéologie visant à imposer aux autres, à ces nouveaux adeptes, des thèmes absolutisés, oscillant entre le prosélytisme « terroidéologie », le bellicisme et la criminalité, semble éprouvée.  Ainsi, se constituent la constellation personnelle et le processus fonctionnel définissant le futur combattant fanatique et/ou le kamikaze.        

b-terropathologie
ou terrorisme pathologique

A ce deuxième stade comme le faisait remarquer Alonso-Fernandez (1997), dans le cadre de cette classification, le processus psychique du combattant fanatique est solidifié par une culture pathologique du terrorisme. Hélas, les convictions sont pratiquement irréversibles. Il n’existe que sa réalité interne à lui comme il l’a reçue et perçue. Le système psychique du terroriste absolutiste, ou surestimé comme axe du fanatisme, est étayé par une surcharge d’affectivité  prenant un mode cognitif « d’une passion absolue installée» au sein de la vie psychique du terroriste et qui jalonne sa réflexion et ses actes.  A ce niveau, le fanatique, futur kamikaze, est pathologiquement convaincu porteur d’une vérité absolue, car il ne tolère jamais la contradiction. Il devient un véritable paranoïaque au point d’accuser une personne qui le contrarie d’ennemi, voire de traître ou d’impie. Dans une étude de terrain réalisée par Aissaoui, sur un échantillon de 950 étudiants universitaires, 70% confirment que les terroristes violents sont des malades mentaux. Vu cette dimension pathologique des idées terroristes, le fanatique de la mort est incapable de rationaliser son discours en le soumettant à un esprit critique, voire se culpabiliser des préjudices qu’il pourra en causer. De ce fait, il développe des conceptions directes et concrètes de la vie et surtout des thèmes qu’il prétend défendre. Le kamikaze contemple la complexité de la vie via son endoctrinement idéologique survalorisé. Il perçoit, ainsi, la réalité de façon déformée, sans sens de discernement ni force cognitive de distinction, conséquence de sa catatonie, comme s’il est dans un conformisme avec les évènements de la réalité qui lui donnent raison.
Sur le plan psychopathologique, la survalorisation d’un idéal politico-social et/ou religieux conduit le kamikaze à lutter pour la réalisation de cet idéal, et à tout prix, en l’imposant aux autres par les moyens de l’extrême violence. Dans une  telle situation, il essaie de  tenir responsables les autres de leur propre malheur. Si cette personne rencontre une opposition à ses idées, elle a immédiatement recours à des sentiments négatifs, des réactions violentes démesurées qui se traduisent dans l’agitation, la colère, la haine, l’hostilité, la vengeance, des liquidations physiques comme des assassinats et autres. C’est pourquoi, et à la base, certaines nouvelles recrues sont des jeunes délinquants qui «s’adonnent à la drogue » et parfois ayant une déficience intellectuelle quant à leur QI, incapables de suivre une scolarité normale. Bien évidemment, ils sont caractérisés par une surcharge d’impulsions et d’agressivité morbide.  
Cliniquement parlant, le terroriste kamikaze est, de même, incapable d’élaborer un sentiment de culpabilité le ramenant à renoncer à l’idée du passage à l’acte suicidaire, et très souvent même lorsque plus tard, pour plusieurs raisons, abandonne le maniement des armes ou l’idée de porter sur lui des bombes. Il s’agit, par conséquent, d’un comportement extra-punitif grave. En outre, il est incapable d’assumer la responsabilité et les fautes qu’on lui reproche.
Telles sont les modalités psychiques et criminogènes, qui structurent l’aspect pathologique de la personnalité du kamikaze. Voilà pourquoi, le fonctionnement psychologique du terroriste, candidat au suicide, souffre de clivage et de fissures amplifiantes, malgré sa rigidité mentale et ses énergies extra-punitives. Aussi, il souffre d’une fragilité de son moi suite à une manipulation de l’image de soi. «Le suicide est un geste par lequel le sujet fait survivre l’image qu’il veut garder de lui-même» disait Jammet. Le suicide, comme acte d’extrême violence, peut enfin donner le sentiment d’une issue à une impression d’impasse dont on croit se délivrer par le recours irréversible à la destruction : « Je souffre devant une telle situation ; par conséquent, je deviens digne d’attention par l’acte suicidaire ».
L’image de soi, véritablement, s’en trouve agrandie au sens mégalomaniaque, voire parfois glorifiée «Je meurs martyr ; aller au paradis, mourir pour la cause ou que les autres vivent dignement, etc. », au moins, convaincu, en sa qualité de porteur d’idéologie. A tel point qu’il se sent en possession de la vérité, toute la vérité. Au niveau psychopathogène, les pulsions d’agressivité sont au service des tendances sociopolitiques et religieuses qui ne coïncident pas avec celles de l’ennemi de sorte que son corps est utilisé comme moyen de destruction :«Je me transforme en force de frappe, je suis une bombe humaine, etc. ». Il s’agit d’un surmoi certainement puissant, mais comportant des lacunes énormes, d’une part habité par des idéaux fanatiques et absolutistes le rendant sûr de lui-même, et d’autre part, en possession d’une justice qu’il faut mettre en œuvre à tout prix.                                                                     

c-terrocriminologie
ou terrorisme criminel

Il ressort de ce concept ayant une appréhension symptomatique, deux notions : 1-l’agressivité qui bascule dans l’extrême violence ; 2-la dangerosité, qui sont des caractéristiques psychocriminogènes du kamikaze passant à l’acte criminel suicidaire. Considérés par les psychocriminologues comme l’achèvement d’un processus de l’idéologie du terrorisme criminel, la terrocriminologie est la mise en œuvre du programme de la mort. La mort de soi, être kamikaze, et semer la terreur par le fait de faire exploser des êtres en morceaux afin d’engendre le scénario le plus sanglant dans le but de cultiver la panique et ramener les responsables à la négociation.
Une question  s’impose : quelles sont les limites et les interférences entre l’agressivité et la violence dans ce modèle du passage à l’acte suicidaire ? Entre l’agressivité et la violence, le danger est l’étroit passage à franchir. Le temps au cours duquel des individus s’y trouvent engagés représente la dynamique de dangerosité. A un moment précis de ce passage, la situation est irréversible. C’est très facile de provoquer la violence que de l’apaiser et de l’orienter autrement. Dans cette aire géométrique de la dangerosité, vont se rencontrer l’auteur kamikaze, les victimes et l’opinion publique visée. C’est là l’extrême importance d’une approche psychosociale et sécuritaire qui peut empêcher l’apparition de ce phénomène fatale. Encore, le rôle d’une éducation religieuse modérée est vivement recommandé dans ce sens.     
Dans ce cas, la dynamique de danger est le passage de l’agressivité à l’agression, de l’agressivité à la violence et de la violence à l’extrême violence qui s’explique par l’acte suicidaire. Pour le kamikaze,  l’agressivité dans sa fonction de donner à voir, de dévoilement, dans sa fonction même d’intimidation et de la terreur, de faire savoir, dans sa finalité de faire « comme si », se protéger contre sa propre violence psychologique et  exécuter la violence de l’idéologie fanatique pour arriver, finalement, à lutter contre la violence de l’ennemi (système politique, occupation, etc.).
Dans le cadre de la prévention de la dangerosité du terroriste kamikaze, apparaît là une difficulté d’analyse et d’évaluation de la dangerosité : son estimation, son pronostic, la représentation que l’on a, les mesures prises, peuvent la faire localiser et éviter son désastre dévastateur. En notre connaissance, aucune méthode, aucune donnée, aucun critère, scientifique fiable et valide ne sont utilisables du moins en psychocriminologie, en criminologie clinique et finalement en psychiatrie légale.
Sauf qu’à ce niveau, les techniques rénovées et performantes des services sécuritaires laissent à désirer. Mais à elles seules, leurs chances de réussite se trouvent limitées, car il est impératif de subordonner à cette méthode une politique d’intervention psychosociale efficace visant à diminuer la poussée du terrorisme, malgré ses racines internationales.
La terrocriminologie prend l’aspect de s’exécuter en se kamikazant ; pour les terroristes c’est une forme de sacrifice « mourir pour vivre autrement ». Pourquoi des hommes, des femmes et parfois des jeunes sont-ils prêts à se faire exploser pour semer la mort et la terreur? Sur le plan psychique quels seraient les derniers moments  de l’agonie avant d’actionner le détonateur de leur bombe, de leurs voitures piégées, etc.?  En résumé, la force d’endoctrinement pédagogique,  d’influence et d’en croire, d’être convaincu de l’idéologie, se concordant  avec une tendance psychique de l’agressivité, voire de la violence et de la dangerosité, font des kamikazes de parfaits candidats à la mort suicidaire. En effet, c’est une façon de se libérer de l’extrême emprise de la haine devant l’absence de tout sentiment de culpabilité à l’égard des victimes qu’il ne verra jamais après coup.                             

Logique du kamikaze

Vraiment le kamikaze a-t-il une logique spécifique? Comme le précise Mannoni,  les terroristes surtout kamikazes, se présentent tantôt comme des silhouettes de l’ombre, tantôt au premier plan, bombes humaines imposant à travers le sacrifice consenti l’image magnifiée de la cause défendue. Leur logique implique une panoplie significative trouvant ses repères dans des références politiques, religieuses, idéologiques, etc. : martyrs, héros, moudjahiddines, soldats de Dieu assez fréquemment, ils tentent d’apparaître comme des icônes de la vérité et de la justice.
De telles théories, la morale, la psychocriminologie, la psychiatrie et/ou même la religion, n’expliquent pas ce phénomène dans sa spécificité ; elles le décrivent mais ne rendent pas compte de ses caractéristiques essentielles : spectacularisation, théâtralisation, dramatisation, médiatisation, etc. La logique terroriste vise en priorité la mise en scène « des symboliques » à travers des évènements spectaculaires  (exemple : 11 Mars 2004 à Madrid, 16 Mai 2003 à Casablanca, etc.) en sont les formes les plus achevées. En effet, le principe suprême de la logique du kamikaze se focalise, au niveau psychologique, à un maniérisme de l’atrocité et de l’horreur. La technique envisagée est inhérente à une dramaturgie combinée à deux éléments fondamentaux : l’atrocité et le spectacle.  De ce fait, on trouve dans toute démarche terroriste une pléthore recherchée et voulue dans l’atrocité. Voilà pourquoi, l’essence du kamikaze réside dans la panique qu’il profère, car il y a un dépassement des limites quant à la dramaturgie de l’horreur.
En s’appuyant sur des images impitoyables des attentats perpétrés, la finalité du kamikaze est de frapper les esprits pour les influencer. Raison pour laquelle il ordonne la menace, la panique, la souffrance et la mort faisant recours à des images des scènes sanglantes où l’horreur est au premier plan. C’est pourquoi, la psychologie est derrière ces actes suicidaires. Parce que la force de la machine terroriste se base sur deux paliers essentiels : la réaction émotionnelle et l’imaginaire collectif. Il utilise des moyens simples de la manipulation et dépasse le barème de la sensibilité ordinaire relativement tolérée.
Par ces actes, chaque membre de la population visée se sent menacé, paniqué, vit dans le sentiment d’insécurité, et éprouve de la peur permanente, à tel point de changer son attitude  et son comportement (exemple attitude d’alerte, évitement des lieux publics, annulation des voyages, restriction des dépenses, désordre sociale, etc.) Là encore, le terrorisme adopte les moyens les plus efficaces possibles pour agir sur la psychologie du grand public. La stratégie pourrait être fixée en trois aspects : faire tomber des victimes pour imposer la terreur à la population cible, faire connaître des revendications et enfin faire en sorte d’amener l’opinion internationale à condamner les réactions des autorités concernées. Dans la même perspective de logique, le terroriste agit purement sur le plan psychologique pour atteindre ce qu’est politique. Alors, la mise en scène médiatique, concerne deux sortes de victimes pour véhiculer le message. Il s’agit des victimes directes qui tombent sur le coup, qui se transforment en  moyens de pression sur le deuxième type de victimes qui sont l’opinion publique nationale et internationale. Cela pour prendre les autorités en otages. Donc, la médiatisation est le champ de bataille du terrorisme actuellement. Le modèle du genre est représenté par les frappes contre le Word Trade Center à New York, les attentats de la gare d’Atocha à Madrid, relatives à des images spectaculaires des avions de ligne qui s’écrasent ou de certains wagons de  trains qui explosent, les scènes filmées en direct et répercutées en quelques minutes dans le monde.

Considérations finales

Que peuvent être les leçons à tirer d’une telle conjoncture? Y-a-t-il lieu de craindre le pire après avoir annoncé l’entrelacement d’un certain nombre d’organisations fanatiques sous l’égide d’al-Qaïda dans le Maghreb islamique ? Faut-il se satisfaire de la seule approche sécuritaire qui jusqu’à présent semble exister dans, et entre, nos pays, quoique l’ampleur des évènements ainsi que les auteurs qui les perpètrent sont différents par rapport à leur gravité en Algérie du fait que les terroristes soient, entre autres, des professionnels et non pas des amateurs comme nous les trouvons dans le cas du Maroc.
Que signifie le message de condoléance du Roi du Maroc, Mohammed VI,  adressé le 13.4.2007 au Président algérien Bouteflika, lui proposant volontairement une collaboration maghrébine à ce sujet : pour répondre à une réelle menace exprimée ces derniers temps par Al-Qaïda dans le Maghreb islamique ? Au moins les peuples du Maghreb sont profondément convaincus que sans une approche pluridisciplinaire élaborée dans le cadre d’une étroite collaboration entre les Etats et les sociétés civiles du Maghreb, nous allons franchement rater un rendez-vous avec l’histoire, car le danger s’approche, et étant donné que nous ne nous sommes pas face à un terrorisme politico-religieux international simplement, mais aussi socioéconomique et culturel régional, ayant plus ou moins des spécificités dans chacun de ces pays.
C’est pourquoi les pays du Maghreb sont forcés ; il est temps de réfléchir à développer une stratégie qui pourrait se formuler ainsi :
1-Dynamiser les institutions de l’Union du Maghreb comme nécessité stratégique irrévocable. C’est une revendication des peuples de cet assemblage ;
2-Renforcer la coopération sécuritaire entre ces pays dans le cadre d’une visibilité stratégique de la lutte contre la criminalité organisée;
3-Création d’un centre « de vigilance électronique, informatique et d’information » pour l’échange des informations et de la mobilité des personnes soupçonnées à ce niveau, dans un cadre du respect des libertés individuelles comme prévu par les droits de l’Homme ;
4-Création d’un centre des études stratégiques dans chaque pays qui comporte un département spécialisé en criminalité et terrorisme pour accompagner les Etats dans leurs démarches mesurées, on sait que certains pays en disposent déjà;
5-Plus de démocratisation des institutions, des libertés et de participation des citoyens dans la vie politique, le Maroc a fait beaucoup de progrès à ce sujet ;
6-Développer la coopération socio-économique et culturelle ;
7-Aider les familles et les jeunes qui vivent dans des foyers de l’extrême précarité sociale, économique et culturelle dans chaque pays respectif selon des programmes psychosociaux à moyen et à long termes ;
8-Développer une approche psychosociale préventive pour aborder ces jeunes candidats à devenir des bombes humaines et pouvoir les aider à surmonter leurs difficultés en favorisant leur réintégration;
9-Traiter les terroristes, comme des criminels responsables de leurs actes, mais aussi comme des personnes qui souffrent de troubles psychiques certainement. C’est pourquoi il faut sérieusement les regrouper dans un établissement pénitentiaire pour « détenus dangereux», qui nécessitent une prise en charge médico-psychologique et sociale pour d’une part, les aider et les soumettre sous observation longitudinale, et d’autre part, favoriser leur réintégration sociale ;
10-Soutien psychosocial et économique des familles et des jeunes en situation difficile dans leur environnement immédiat. Voire reloger certaines familles dans des logements convenables;
11-Revoir le système éducatif et le champ religieux ;
12-Lancer de vastes campagnes de sensibilisation et responsabiliser les citoyens, car la sécurité est une affaire de tous, de toute la société ;
13-Encourager les citoyens à collaborer avec les forces de sécurité et récompenser ceux qui sacrifient leur vie pour lutter contre le terrorisme : certains Marocains l’ont bien prouvé, lors des  derniers évènements de Casablanca, lorsqu’ils ont arrêté des kamikazes qui voulaient faire exploser des secteurs publics.
14-Création d’une cellule médico-psychologique d’urgence dans la gestion des catastrophes naturelles et humaines (terrorisme en fait partie), et qui comporte une équipe pluridisciplinaire (Un colonel de l’Armée, un commissaire de police, un psychiatre, un psychologue, une assistante sociale, un éducateur, etc.).        

* Pr. de psychopathologie
et de criminologie clinique
Institut Royal de Formation
des Cadres. Rabat

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