Psychologie des jalousies

La jalousie, ça fait partie de la vie, qu’elle soit amoureuse ou amicale, gratuite ou justifiée… voici quelques infos psychologiques pour mieux la comprendre !

La semaine dernière, @Plectrudine nous a alpaguées sur Twitter pour demander un article portant sur la « psychologie de la jalousie » (si vous avez des idées de sujets et des envies d’articles, vous êtes d’ailleurs les bienvenues sur ce topic). On y va ensemble ?

La jalousie peut nous turlupiner régulièrement et faire référence à tout un tas de situations et de comportements différents : vous pouvez ressentir de la jalousie en regardant cette camarade de classe qui a les cheveux qui brillent un peu trop, ou qui a des notes bien meilleures que les vôtres, vous pouvez jalouser vos voisins pour ce qu’ils ont « de plus » que vous, vous pouvez être jaloux d’inconnu-e-s qui réussiraient supposément mieux que vous, vous pouvez être jaloux d’une personne qui voudrait vous voler l’élu-e de votre cœur… Que peut-on dire de tout ça ?

La jalousie en amour

Pour Ellen Berscheid (1983), la jalousie aurait à voir avec « l’interdépendance » des amoureux-ses. Dans sa « théorie de l’émotion interdépendante » (expliquée dans l’ouvrage Psychologie Sociale de Susan Fiske), la psychologue explique que dès qu’une relation entre deux personnes est permanente, il y a dépendance entre ces deux personnes (ici, nous sommes dans le cadre d’une relation monogame entre deux personnes ; les données concernant des couples libres ou le polyamour manquent pour l’heure). Les deux membres du couple ont des « objectifs » communs et/ou comptent l’un sur l’autre. Du coup, chacun pourra soit faciliter les choses, soit les compliquer.

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Relation très compliquée.

Selon cette théorie, les relations amoureuses se construisent en passant par plusieurs phrases :

  • La phase d’attraction, au cours de laquelle les amoureux-ses se jaugent
  • La phase de début, où l’on commence à construire une relation proche et où l’on réalise les bénéfices et les coûts de la relation
  • La phase « d’interdépendance » : après les deux premières étapes, « l’interdépendance » augmente (c’est-à-dire que l’on peut/doit compter l’un sur l’autre). Si l’on souhaite que la relation continue, alors un engagement est nécessaire. Cet engagement n’est pas forcément formel mais prend plutôt la forme d’une décision commune de prolonger l’interdépendance.

Ensuite, les niveaux d’interdépendance peuvent augmenter et/ou devenir stables, ou bien les rapports peuvent se détériorer et la relation se terminer. Plus la relation est stable, plus les partenaires deviennent prévisible, plus les surprises et l’excitation s’amenuisent, plus la fiabilité augmente…

Dès que deux êtres humains sont en interdépendance, le conflit est inévitable : si notre couple a des objectifs partagés, nous restons des individus distincts, avec des envies et des désirs différents. Chacun des membres du couple peut ainsi potentiellement perturber la réalisation des souhaits de son ou sa partenaire, ce qui crée une émotion négative.

Les conflits peuvent ne pas remettre en jeu le couple : parfois, le conflit est ordinaire (on connaît son/sa partenaire, on s’attend à tel ou tel désaccord) et ne crée pas de difficultés émotionnelles spécifiques.

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Marcelle a encore laissé traîner ses chaussettes sales.

Lorsque notre partenaire commence à « dépendre » d’une tierce personne, à entrer en interdépendance avec quelqu’un d’autre (ou lorsque l’on s’imagine que notre partenaire commence à en dépendre), la relation est mise à mal – si mon amoureux s’intéresse à une autre, il sera moins attentif à mes besoins…

De ce fait, nos objectifs communs dégringolent et le partenaire exclu est en mauvaise posture. Dans cette perspective-là, la jalousie est une réponse à un sentiment de menace vis-à-vis de la dépendance.

La jalousie et l’estime de soi

Si le sentiment amoureux va de pair avec l’idée de risque de perte de l’être aimé, nous n’appréhendons pas tou-te-s ce risque de perte de la même manière : certain-e-s d’entre nous apparaissent comme plus « rongé-e-s » par leur jalousie, par l’emprise de leur soupçon, interprétant chaque signe, chaque comportement…

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Comment passe-t-on d’une jalousie légère, « banale », à une paranoïa destructrice ? Pour le psychologue Don Sharpsteen, l’estime de soi jouerait un rôle particulièrement important dans la notion de jalousie. Plus nous sentons notre estime de soi menacée, plus nous serions jaloux — l’idée seule de perdre l’autre pousserait à douter de soi, à se percevoir comme moins valable, moins beau, moins bien.

Dans le sens inverse, lorsque l’on a une estime de soi déjà fragile, nous pourrions être plus enclins à la jalousie, parce que nous aurions plus de mal à croire que l’autre nous aime et nous estime… Et plus de facilité à penser que l’autre pourrait nous quitter. Finalement, dans la jalousie, ce serait bien une question de confiance, en soi et en les autres, qui se jouerait.

Projeter ses propres tentations

Selon certaines théories de la psychologie clinique (plus particulièrement pour les freudiens), la personne jalouse se sent exclue parce qu’elle croit qu’elle n’a pas ce que l’autre a : la jalousie serait ainsi une humiliation narcissique.

Pour Freud, il y aurait dans la jalousie une dimension projective : nous imaginerions chez l’autre la tentation qui est en nous (en gros, nous imaginons que Myrtille/Barnabé va être infidèle parce que nous aurions nous-même le désir, conscient ou non, d’être infidèle)(bon). La jalousie serait de type « oedipienne », c’est-à-dire triangulaire et constituée de sentiments ambivalents d’amour et de haine et de déception narcissique.

Le danger serait de se complaire dans le sentiment jaloux et d’interpréter ce que fait l’autre en cherchant à prouver que l’on a raison de soupçonner.

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Les bons et les mauvais jaloux ?

Dans un article pour CerveauPsycho, le psychologue social Nicolas Gueguen souligne ainsi (entre autres choses) que tout la difficulté du sentiment de jalousie est justement de le maintenir dans la limite du raisonnable.

Jusqu’à un certain point, une jalousie (modérée et non destructrice) pourrait être l’un des facteurs de longévité d’un couple. Le psychologue Eugene Mathes a par exemple demandé à des couples de remplir un questionnaire évaluant leur degré de jalousie. Sept ans plus tard, il recontacte les personnes interrogées et les questionne sur leur situation sentimentale.

Bim : il s’avère que 25% des personnes en couples sont celles qui présentaient un score de jalousie plutôt élevé, alors que 75% des personnes ayant rompu avaient des scores plus faibles.

Tout compte fait, ce constat fonctionne à condition que la relation ne soit pas devenue un enfer : nous restons parfois attaché-e-s à nos partenaires, même si leur jalousie extrême rend la relation problématique et risquons dans ce cas des pertes de confiance en soi, l’apparition de vulnérabilités psychologiques… En d’autres termes, rester en couple ne dit pas forcément quelque chose de notre épanouissement !

Le psychologue Niels Van de Ven insiste sur l’existence de deux formes de jalousie : la jalousie favorable, « bégnine », et la jalousie malveillante, « maligne ». Pour lui, la jalousie bégnine peut motiver à s’améliorer soi-même, à ressembler à l’objet de notre envie, à se grandir… En revanche, une jalousie malveillante poussera à déprécier et offenser la personne qui réussit mieux que nous.

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La jalousie bénigne, et la maligne

Votre cher-e et tendre pourra ne pas être le seul à subir vos accès de jalousie – parfois, ce sera votre voisine (celle qui fait du sport quotidiennement et est une artiste accomplie) qui morflera, ou votre collègue, ou votre boss, ou même un-e inconnu-e…

Certaines études, à tendances évolutionnistes et biologistes, suggèrent des différences entre les jalousies des hommes et des femmes (les hommes craindraient que leur partenaire ait des relations sexuelles avec un autre, alors que les femmes craindraient que leur partenaire éprouve quelque chose pour une autre) : nous n’en avons pas parlé ici (parce qu’il faudrait quand même lier ces postulats à notre fameuse socialisation genrée et notre société un tantinet sexiste : le sentiment de jalousie pourrait être aussi lié à la manière dont nous sommes éduqués et socialisés), mais si vous souhaitez en lire plus, les ressources sont disponibles en fin d’article.

D’autres études lient nos sentiments de jalousie et d’auto-dépréciation à nos usages des réseaux sociaux, et notamment de Facebook (une étude a notamment affirmé que plus nous passons de temps sur Facebook, plus nous aurions tendance à penser que les autres sont plus heureux et ont de meilleures vies que nous-mêmes)… Et plus largement, à une fâcheuse tendance à nous comparer à autrui pour évaluer nos vies. Dans un article pour Pour la Science, la chercheuse Christine Harris cite les mots de La Rochefoucault : « il y a dans la jalousie plus d’amour-propre que d’amour ».

Mais vous savez quoi ? La réussite des autres ne nous enlève rien et nous ne savons pas vraiment ce que ceux que nous jalousons vivent et éprouvent. Nous n’avons que peu de prise sur les objets de nos jalousies et nos phases jalouses n’empêcheront pas nos conjoint-e-s de nous quitter si l’envie leur prend…

Ce que nous savons, en revanche, c’est que nous sommes dans nos baskets et que nous pouvons travailler ce que nous ressentons à propos des autres et à propos de nous-mêmes. Alors, quitte à être cheesy, si on se concentrait sur nos émotions positives ? Et si on s’exerçait à utiliser cette jalousie pour se grandir ?

Pour aller plus loin…

  • Un article du psychologue social Nicolas Gueguen, pour CerveauPsycho
  • Un article des Cahiers de Psychologie Clinique, pour une revue psychanalytique de la jalousie
  • Un article de Christine Harris mettant en perspective les théories évolutionnistes et biologistes
  • L’ouvrage Psychologie sociale, de Susan T. Fiske, qui consacre une partie à la Théorie de l’interdépendance émotionnelle
  • Quelques ressources à propos des recherches de Niels Van de Ven ici et

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