J’avais démarré cette thérapie parce que je n’arrivais pas à être enceinte. Je l’ai arrêtée deux ans plus tard, quand je l’ai été, se souvient Hermione, 48 ans. D’une façon parfaitement naturelle : j’en étais à mon huitième mois de grossesse, il faisait une chaleur épouvantable, j’avais les jambes gonflées, j’étais épuisée… J’ai appelé mon psy en lui disant que je ne pouvais pas venir et que, d’ailleurs, je ne pensais pas revenir. Il m’a répondu qu’effectivement j’étais mieux chez moi. Je ne l’ai jamais rappelé. Lui non plus. »
Dans les thérapies brèves – en particulier l’hypnothérapie et les thérapies cognitives et comportementales (TCC) –, la question de la fin se pose dès la première séance. Car l’objectif est clair et évaluable : il s’agit d’arrêter de fumer, de combattre une phobie ou des troubles du comportement alimentaire, bref, de régler un problème précis. « Il n’est pas toujours possible d’annoncer avec exactitude au patient combien de séances seront nécessaires, surtout si les symptômes sont ancrés depuis longtemps, admet Marc Laurent, psychothérapeute. En revanche, le parcours est balisé. Je leur dis : “Vous cesserez de venir quand votre difficulté de vie aura disparu, le traitement durera quelques séances, trois mois, six mois, un an, deux ans, trois maximum. Si, au bout de quelques séances, nous n’avons obtenu aucun résultat, je vous enverrai chez un confrère, ou je vous orienterai vers une méthode plus appropriée à votre fonctionnement psychique ou à votre problématique.” »
Les choses se compliquent pour le patient qui a entrepris une psychothérapie au long cours ou une psychanalyse. En effet, il ne s’agit pas seulement d’éliminer des symptômes, mais de comprendre leur signification : « Pourquoi ces échecs répétés, ces douleurs incessantes ? Pourquoi est-ce que “ça m’arrive à moi ? Et si ces symptômes dont je me plains avaient une utilité ? [Une frigidité rebelle peut ainsi servir inconsciemment à frustrer, à castrer le partenaire, ndlr.] » Autant d’énigmes à résoudre, de traversées immobiles vers nous-mêmes, au cœur de notre histoire familiale. Comment savoir qu’il est temps de quitter le cabinet du psy ? Affaire de ressenti ?
Stagner, est-ce une bonne raison d’arrêter ?
« J’ai la sensation de ne plus avancer, se désespère Fanny, 35 ans, venue consulter en raison de ratages amoureux à répétition. Cinq ans que je vais chez mon psy deux fois par semaine. Je suis toujours célibataire, mais j’ai un copain que je vois le week-end. Je sais que c’est loin de mon idéal – un couple, le mariage, des enfants – mais là, je tourne en rond. À la prochaine séance, j’annonce à mon thérapeute que j’arrête. » « Dans toute thérapie longue, nous observons des phases de stagnation, donc des moments de perplexité et d’agacement chez le patient, prévient Noëlle Pellissolo, psychothérapeute et hypnothérapeute. L’inconscient ne connaît pas le temps : il se manifeste à son rythme. Et le temps nécessaire pour comprendre l’origine et le sens de nos difficultés ne saurait être déterminé à l’avance. Une part de nous refuse de savoir, se défend. Quand le patient n’a plus confiance et manifeste son envie d’arrêter, je l’incite à aller faire le point chez quelqu’un d’autre. Une vraie fin de thérapie ne saurait se limiter à “J’en ai assez, je pars”. »
Parfois, l’impression de stagnation tient au fait que nous sommes allés au bout du travail qu’il était possible d’accomplir avec ce thérapeute-là. Auquel cas, si c’est un bon professionnel, il est généralement le premier à en avoir conscience et à nous en faire part. « En raison de ma propre histoire, il m’est impossible de mener à terme des thérapies avec des personnes ayant des conduites ouvertement masochistes et sacrificielles, admet Éliane Pèlerin, psychopraticienne. Je n’hésite pas à le leur signifier, et elles en sont presque toujours soulagées : elles comprennent que c’est mon problème, pas le leur. »
Pourquoi a-t-on peur de dire que l’on s’en va ?
« Un jour, j’ai cessé de venir, sans prévenir. Lâchement », avoue Piéride, 45 ans. « Je lui ai laissé un message sur son répondeur, en lui annonçant mon intention d’interrompre la thérapie : j’avais trop peur de l’affronter », se souvient Monia, 48 ans. « Je ne sais pas comment lui dire que je veux arrêter », s’inquiète Laura, 34 ans. « Que la personne soit incapable d’énoncer son souhait d’arrêter est surtout l’indice que la thérapie n’est pas achevée », estime Éliane Pèlerin. « Il est intéressant que l’arrêt soit pensé en termes d’interdit et soit vécu comme une transgression, remarque le psychanalyste Olivier Douville. Qu’est-ce qui est transgressé ? Le patient a-t-il peur d’abandonner son thérapeute ? Croit-il que ce dernier a besoin de son amour ? C’est une question qui doit se travailler en séance. Je me souviens d’un patient qui insistait pour arrêter sa thérapie. Une nuit, il a rêvé qu’il venait à sa séance mais que moi, j’étais absent. Une façon de dire “Je veux vous quitter, mais j’ai peur que vous m’abandonniez” et qui montre qu’il reste du travail. »
Être abandonné, abandonner le thérapeute sont des questions présentes au cœur de toute thérapie, car nous y transposons les épreuves de séparation, de deuil qui ont marqué notre existence depuis notre naissance, et nous les revivons. Il n’empêche qu’elles peuvent surgir d’une manière particulièrement aiguë quand le psy n’est pas au clair avec elles. « Certains confrères, y compris parmi les plus médiatiques, sont connus pour leur difficulté à lâcher leurs patients, révèle Noëlle Pellissolo. Ils les enferment dans des thérapies interminables. Et pas forcément, comme on le prétend, pour se faire une rente. Ils supportent mal d’être quittés. Il m’est arrivé de recevoir des personnes littéralement captives de leur psy. Elles disent vouloir arrêter mais n’y parviennent pas, tant elles sont engluées dans cette relation. Plus qu’un lien, c’est de l’aliénation ! » Pour Olivier Douville, une thérapie ne devrait pas excéder quatre ou cinq ans, à raison de trois fois par semaine au début, en descendant progressivement à deux, puis à une séance hebdomadaire. Sauf pour des personnes psychotiques que ce travail aide à se maintenir dans un semblant de normalité, sans trop de souffrances. « Ceux-là, précise-t-il, sont des patients à vie. »
Y a-t-il des critères de fin ?
La hâte de partir peut être insufflée non par un sentiment de mieux-être mais par les impératifs d’autonomie, d’indépendance, prônés par notre société. Elle est aussi parfois l’écho de paroles parentales entendues dans l’enfance : « Il faut que tu sois fort, courageux, que tu te débrouilles comme un grand. » C’est-à-dire sans cette béquille constituée par la thérapie. Or, en interrompre une avant son dénouement, c’est sauter du train en marche. Une fin de thérapie repose sur des critères précis. « J’ai compris que la mienne était bientôt terminée quand j’ai enfin saisi quelle place je m’étais assignée dans l’existence, confie Lilia, 42 ans. Celle de l’exclue, de la misérable à peine tolérée. Cette prise de conscience s’est produite juste avant les grandes vacances. Et pour la première fois, cette année-là, ma psy ne m’a pas manqué. » Pour les psychothérapeutes, il est envisageable de parler de fin quand la personne a « traversé » son « fantasme fondamental ». À savoir le scénario, le schéma inconscient (être une superwoman, un déchet repoussant, etc.) qui lui a servi à vivre, à affronter le monde. Pas forcément pour le meilleur et souvent pour le pire – comme Lilia, pour qui tous les chemins menaient à l’exclusion. « Ce scénario, le patient l’apporte en séance, explique Noëlle Pellissolo. Et nous constatons qu’il progresse quand il est devenu capable d’inventer une nouvelle façon d’habiter son corps et de s’adresser à l’autre : en particulier, il cesse de nous demander des solutions. Dès lors, en tant que thérapeute, nous savons que la fin s’annonce. »
Qui décide du dénouement ?
« C’est mon inconscient qui m’a fait comprendre qu’il était temps de partir, se souvient Léa, 35 ans. J’ai oublié de payer la dernière séance, puis zappé le rendez-vous suivant. Ma psy m’a appelée. Je lui ai dit que ces deux actes manqués étaient pour moi indicateurs du mot “fin”. Elle a respecté ma décision. » Certains thérapeutes, au contraire, tentent d’effrayer les patients qui, selon eux, arrêtent prématurément : « Vous allez voir ce qui va vous arriver si vous partez, vous irez très mal. » Une attitude que critique sévèrement Olivier Douville : « Si une personne m’annonce qu’elle part, même si je sais pertinemment qu’elle n’a pas fini, je ne la retiens pas. Tout en l’encourageant à revenir me parler si elle en ressent le besoin. Il ne faut pas créer d’addiction. Les patients ne vivent pas pour être en thérapie. Et les psys ne doivent pas se prendre pour l’hôpital, cette institution qui vous enferme si elle décrète que vous êtes un danger pour vous-mêmes ou pour les autres. »
Mais si annoncer son départ est un problème pour de nombreux patients, pour beaucoup, c’est s’arracher au confort apporté par la thérapie qui semble trop difficile. Il revient alors au psy de leur donner un petit coup de pouce. « À partir du moment où ma psy m’a dit “Nous allons arrêter en septembre”, me sont venus des rêves, des pensées liés à mes difficultés à vivre seule qui, effectivement, ont précipité la fin », raconte Ève, 47 ans.
« Dans le meilleur des cas, la fin se décide à deux, il y a consensus », pose Olivier Douville. « C’est la séparation de deux êtres qui ont cheminé ensemble à travers l’amour et parfois la haine, précise la psychanalyste jungienne Viviane Thibaudier (1). Cette séparation implique autant le thérapeute que le patient. […]. Une collègue m’a raconté que la première fois qu’elle fut confrontée au départ imminent d’un de ses patients, elle était dans le plus grand désarroi, et l’analyste avec lequel elle était alors en contrôle lui a dit : “Ne montrez rien, Madame. Raccompagnez-le calmement, dites-lui au revoir. Ce n’est qu’une fois la porte fermée que vous pourrez vous jeter sur le divan en sanglotant !” »
Comment se passent les dernières séances ?
Une fin de thérapie ne s’effectue pas en quelques minutes. C’est un processus qui s’étale sur plusieurs séances, voire plusieurs mois. Et cette période est marquée à la fois par une impression de sérénité et par des moments de tristesse, de vieilles blessures oubliées se rouvrent pour se refermer à jamais, et des deuils s’accomplissent. C’est un dénouement. Au sens d’un drame qui se dénoue. Ce qui continue en revanche, et qui perdurera, c’est ce processus, intégré en thérapie, qui permet de travailler sur soi, de mieux saisir les inévitables moments d’anxiété et de tristesse. Une psychothérapie terminée n’est pas seulement un soin. C’est l’apprentissage d’une technique pour vivre mieux.
1. Lire l’article « Deuil de l’analyse, deuil de l’analyste », sur cgjungfrance.com.
Une thérapie est finie quand…
- Nos capacités d’aimer et de créer se sont libérées.
- Nos symptômes les plus massifs ont disparu, et que nous ne nous sentons pas vides sans eux.
- Nous ne sommes plus ligotés par nos tensions et par nos conflits internes, et que nous ne ruminons plus pendant des heures.
- Notre relation à nous-mêmes s’est pacifiée.
- Nous sommes capables de suffisamment d’agressivité pour nous protéger des personnes toxiques et nous faire respecter. Une agressivité réfléchie, adulte, et non une agressivité infantile, gratuite ou dictée par la peur.
- Nous parvenons à mieux distinguer responsabilité et culpabilité.
- Nous cessons d’être agressifs et sadiques envers nous-mêmes, une attitude responsable des échecs à répétition et des scénarios pessimistes et décourageants.
- Nous avons surmonté la déception de nous apercevoir que, même sans symptôme, notre existence n’est pas paradisiaque.