Présidentielles, Justice et pièges à conviction, à l’ombre d’Outreau

En période d'élections présidentielles on assiste à l'expression d'une volonté de renouveau voire de sursaut démocratique, c'est le moment des bilans et des programmes qui incluent toujours des propositions de réformes.

Qu'en est-il en matière de réforme de la Justice après Outreau qui est devenu la référence incontournable en la matière. Le constat est affligeant pour Jean-Louis Nadal, ancien Procureur Général près la cour de Cassation, puisqu'il s'est exclamé dans le Nouvel observateur du 8 Mars 2012 « On a défiguré la Justice! ».

Le vocabulaire est direct et saisissant, il ne peut qu'interpeler car les prises de position de cet ancien Haut magistrat allaient toujours dans le sens du renforcement de nos institutions démocratiques. Et je peux le révéler aujourd'hui - car 'il n'est plus en fonction - Jean-Louis Nadal a eu le courage de me dire personnellement qu'il avait beaucoup apprécié mon travail dans « Outreau, la vérité abusée » et qu'il avait aussi pris bonne note de mes préconisations. Or ces préconisations, dénommées « suggestions » à la fin de mon ouvrage, étaient essentiellement d'essence psychologique à la lumière de ma longue expérience des assises, là où la Justice se donne à voir aux citoyens.

L'affaire d'Outreau est un cas d'école, une référence certes mais pas du tout pour ce que l'on imagine des prétendus dysfonctionnements de l'instruction. L'affaire a cumulé tout ce qui peut être imaginable en terme de déni des données psychologiques des comportements individuels et collectifs. C'est donc de dysfonctionnements du procès qu'il convient de parler.

Au siècle précédent pourtant, la Justice avait bien pris en compte les acquis de cette science de l'humain avec- entre autre - la personnalisation de la peine. Une insuffisance était pourtant repérable, alors que l'on a reconnu l'intérêt de la psychologie pour la compréhension des actes du coupables et du traumatisme de la victime, on a toujours feint d'ignorer que les phénomènes psychologiques d'influence - voire de propagande - avaient un rôle fondamental dans le vote des jurés, renvoyés pourtant en l'absence ou non de preuves, à leur intime conviction.

Et pour orienter l'intime conviction dans la direction voulue, il faut convaincre. C'est le travail normal des avocats, « et tant pis si la fin justifie les moyens » entend-ton parfois pour se tirer d'un mauvais pas.... C'est là qu'interviennent les pièges à convictions qui relèvent du domaine de la psychologie. Il ne s'agit pas d'évoquer les stratégies classiques d'instillation du doute, lorsque l'accusé clame son innocence - ou ne reconnait pas les faits - car elles s'adressent à la « raison » des jurés. Il s'agit de décrypter tous les processus qui eux s'adressent aux sphères affectives les plus profondes ou inconscientes et en tout cas qui échappent au rationnel.

Les commentateurs ont souvent loué le talent des défenseurs sans jamais analyser l'impact - il ne s'agit pas de morale - des stratégies psychologiques qui utilisent une certaine forme de manipulation mentale à coup de pression, d'intimidation, de harcèlement psychique.... qui sont habituelles aux assises sous couvert d'une sacro-sainte liberté de la plaidoirie dont la critique est tabou.

Tout ce qui est en principe répréhensible dans la société : contre-vérités, atteintes à l'honneur et à la probité, maltraitance psychologique ou de l'équivalent d'abus de faiblesse pour les enfants ne l'est plus à la barre des assises, surtout si les avocats annoncent la couleur en ajoutant la méthode dite de rupture aux jeux de manche classiques.

Notons que le positionnement qui met les victimes, les témoins et les experts à la barre leur facilite la tâche... ils sont sur la sellette et non pas en situation de communicants à part entière de face, près du Juge qui préside l'audience, comme c'est d'usage dans les pays anglo-saxons. Cela faisait partie de mes préconisations.

Cette liberté dite démocratique de la plaidoirie de la défense laisse donc le champ libre à toutes les manœuvres d'influence voire d'emprise hypnotique si l'on se situe en tant qu'observateur des phénomènes psychologiques. On constate également qu'en jouant sur toutes les cordes sensibles de l'émotionnel et de l'identification empathique avec les accusés on emmène la conviction là où l'on veut. On arrive aux extrémités de l'éventail d'une rhétorique guerrière lorsque les tentatives de déstabilisation utilisent la confusion des repères par le renversement pervers (du latin pervetere =inverser) des culpabilités .

Et lorsque la culpabilisation de la victime, du témoin, de l'expert... s'accompagne d'une violence indignée d'une voix de stentor qui provoque un stress émotionnel majeur, l'agression physique étant instinctivement attendue on peut évoquer comme l'a écrit une chroniqueuse à propos du champion de France des acquittements, un grand moment de « terrorisme judiciaire » 1 sans que soit remis en cause un acquittement obtenu de la sorte (Tabou des Tabous !)

La loi du plus fort semble bien avoir envahi les prétoires quand il s'agit de procédures pour agressions sexuelles contaminées par des enjeux de dominance et de dépendance des protagonistes.

A Outreau la culpabilisation des victimes et des professionnels - non décryptée comme une ligne de défense - battait son plein, facilitée par une configuration inhabituelle par économie de moyens.

En effet faute de place, les enfants, présumés victimes étaient enfermés dans le box des accusés avec leurs deux avocats et les accusés, spectateurs de leur procès, dans la salle d'audience avec leurs 19 avocats et les journalistes avec qui ils semblaient former un travail d'équipe, comme l'a souligné le Procureur Maurel2. Les proximités qui crée le lien entre les accusés et les journalistes n'ont pas été les mêmes avec les enfants « protégés » de tout contact avec la presse. Ainsi la culpabilisation des enfants était déjà inscrite dans la configuration de la salle au procès de Saint-Omer, et que l'on peut qualifier de blasphématoire dans la liturgie symbolique des repères de base de l'accusé et de la victime sensées stabiliser l'esprit pour mieux rendre la Justice.

Et, comble d'archaïsme, la Justice, ses représentants, les médias qui la relaient... ne l'ont pas pris en compte et n'ont donc pas pu la neutraliser comme une variable parasite. Elle a été de surcroît largement amplifiée par la chambre d'écho assurée par les caméra-trottoir d'un procès télé-réalité. Les spécialistes de la communication n'ont pas analysé le forçage des images et l'explosion des frontières de l'institution judiciaire par l'intrusion d'abord des jurés médiatique au premier procès puis du politique au procès en appel avec l'intervention de Yves Bot procureur de paris, cenu présenter ses excuses aux accusés avant le délibéré des jurés.

Les procès d'Outreau, étaient médiatiquement inéquitables, seuls les arguments traumatiques des larmes des accusés, associés à une injonction d'identification «  ça peut vous arriver à tous », chaque couche sociale était représentée àOutreau.3  Qui s'en est plaint ? S'en est- on seulement aperçu ?

Dans notre société de l'image, la souffrance doit être représentable pour exister. Celle des enfants a été passée sous silence. Elle n'a pas été davantage perçue lorsqu'ils ont été diabolisés en dépit du sentiment d'injustice qu'ils continuent de vivre à l'heure actuelle. De ce fait, l'inversion des culpabilités n'a pas été repérée.

On peut se demander si ce n'est pas l'insoutenable culpabilisation et l'infâme traitement sacrificiel de culpabilisation du juge Burgaud qui a jeté dans la rue des milliers de magistrats à la mort de Laetitia, démontrant ainsi à l'instar de Boris Cyrulnik que le bouc émissaire est un thérapeute toxique.

La Justice pourrait-elle reconnaître qu'elle est dévoyée par une force de conviction qui la dépasse lorsque qu'intervient l'emprise des images d'une séquence qui passe en boucle, comme ce fut le cas suite aux rétractations provisoires de Myriam Badaoui au procès de Saint-Omer ? A ce propos il n'ya pas eu de travail non plus d'analyse psychologique traditionnelle. On n'a pas cherché les motivations psychologiques de ces rétractations pas plus que celles de 3 autres adultes qui dénonçaient les autres accusés, ni des 3 enfants sur 15 qui révélaient les mêmes faits de viols en réunion sans avoir eu aucun contact. La ligne explicative univoque dictée par la défense était rétractation = mensonge. On a oublié la notion de ligne de défense et de stratégie de discrédit de l'instruction et des experts.

Les journaliste et nos députés et donc toute la société ont oublié tous les acquis en terme de psychologie et de victimologie infantiles puisque dans le rapport de la commission parlementaire il a été écrit que c'est grâce à l'interrogatoire des enfants 5 ans après les faits que la vérité a été révélée ( 3 sur 15 se sont rétractés) . Soulignons que ces enfants étaient encore traumatisés et terrorisés, et après avoir déjà passé des heures à la barre du procès de Saint-Omer traités de menteurs par des avocats de la défense dont la brutalité a été reconnue. Je rappelle ma comparaison habituelle : en imaginant qu'un enfants se fasse renverser par une voiture et qu'il soit polytraumatisé, à qui demande-ton de faire un diagnostic ? Aux urgentistes où à l'avocat du présumé chauffard ?

Et comme dans les temps révolus, l'on continue de parler du miracle des assises grâce à l'oralité des débats... sans prendre en compte tout ce qui est du ressort de la psychologie de l'influence et de l'emprise des images. Il faudrait parler de mirage des assises. La vérité était ailleurs... la société de l'image n'a pas encore été digérée par cette vielle institution . Et lorsque les images deviennent des pièces à conviction on tombe dans le piège à conviction qui ne permet plus la recherche de la manifestation de la vérité !

Ce cas d'école si riche d'enseignements pour l'avenir d'une Justice moderne, n'est pas on l'a vu classiquement traité comme cela vient d'être fait ici. Aujourd'hui on ne peut plus critiquer Outreau sous peine de subir le bannissement de ceux qui se désolidarisaient d'un drame national fédéré par le storytelling4... une nation fédérée autour d'une régression de civilisation.

L'ennemi ce n'est plus la pédophilie - en tant que contre sens existentiel et générationnel menaçant la phylogenèse par la disparition de l'espèce - qui est devenu un mythe national. Non le danger c'est l'enfant et comme il ne peut parler par excellence et donc se défendre, il porte désormais toutes les tares, bouc émissaire thérapeute toxique comme l'a été un temps le juge d'instruction d'une civilisation en perdition qui ne protège plus ses enfants.

Quand il n'y aura plus de témoins que deviendra « Outreau » ? Quand on réalise que WIKIPEDIA, la référence de tous ceux qui travaillent sur cette affaire présente dès le premier paragraphe des contre vérités factuelles : le procès se serait tenu sous un chapiteau de cirque : Faux... même si c'était le cirque... Elle aurait commencé par une dénonciation d'adultes et de voisins... Faux ce sont les enfants placés qui ont dénoncé...etc...

Par ailleurs le film « Présumé coupable » qui a été présenté comme une fiction lors du tournage neutralisant les possibles supervisions, est devenu la réalité depuis sa diffusion. Peu importe si contrairement à cette réalité les enfants ne sont pas présentés dans le box des accusés, trop choquant et trop questionnant pour le spectateur... alors ce sont les adultes qui y ont été ré-installés … puisque c'est une fiction... et tout est à l'avenant.

Paradoxalement les témoins qui dénoncent les contre-vérités factuelles et qui veulent faire connaître la réalité judiciaire des enfants sont dénommés paradoxalement « révisionnistes » et stratégiquement classés « infréquentables ». Reste à assurer la protection judiciaire aux enfants, à rendre justice aux enfants victimes. Qui y veillera ? Les enfants ont un très lourd handicap : ils ne votent pas...

A Outreau la Justice a été défigurée, on a accusé un juge elle s'est sabordée, elle ne pouvait plus triangulerle coupable et la victime, c'est la Justice qui a été mise en examen.5

La réforme de la justice devrait inclure des spécialistes de la psychologie des comportements et de la communication et mais aussi des sociologues de l'image. Il s'agit de reconstruire cette antique institution au plan de la configuration des prétoires mais aussi de la gestion des réseaux modernes d'influence. La communication avec les médias est désormais assurée depuis Outreau assurée par un magistrat qui veille au contradictoire judiciaire.

Quant au contradictoire médiatique… qui pourra jamais l'assurer ? Les anglais l'ont bien compris et dès qu'une personne est mise en examen toute intervention médiatique est considérée comme OUTRAGE à Magistrat ! Y réfléchir me semble une suggestion capitale.

Zemmour et Naulleau recevaient le 31 mars 2012 sur Paris Première le philosophe Jean Salem pour son ouvrage intitulé« Election piège à cons » il y fait la part belle en effet au spectacle qui se base sur ce qu'il appelle la misère civique.

Si un ouvrage s'intitulait « Justice (spectacle) piège à conviction ! » sur quelle misère démocratique se baserait-il ?

Il reste à espérer que les présidentiables se penchent sur la question !

1Pascale Robert-Diard le MONDE 13 Novembre 2008 ; p 87 « Outreau la vérité abusée »

2Extrait de son entretien à l'Inspection des Services Judiciaires p 61 id

3Au procès d'Angers 45 pédophiles du quart monde ont été condamnés sans faire de vagues, pas d'identification possible exploitable.

4« Les enfants carencés mentent en matière d'agressions sexuelles » 

5« Justice mises en examen » par Frédéric Valandré 2010 ed

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