Prépas et grandes écoles : pourquoi les critères de sélection sont …

A lire également sur ce sujet les deux derniers livres de Pierre-Henri d'Argenson :

 

- Guide pratique et psychologique de la préparation aux concours, (éditions Ellipses, 2013)

- Réformer l’ENA, réformer l’élite, pour une véritable école des meilleurs (L’Harmattan, 2008)

Atlantico : Les résultats du bac 2013 ont été marqués par une explosion des mentions "très bien". Dans ces conditions, la mention est-elle toujours un critère de sélection déterminant pour accéder aux prépas et aux grandes écoles ? En quoi ?

Julien Pompey : L’obtention d’une mention "très bien" au bac n’est pas déterminant pour intégrer une classe prépa ou une grande école, pour la simple raison que les jeux sont très souvent déjà faits avant même la divulgation des résultats. Une telle mention permet néanmoins d’accéder par exemple à l’un des six INSA (Institut National des Sciences Appliquées). Il faut cependant souligner qu’il est très difficile d’intégrer les grandes écoles de commerce les plus cotées, comme HEC, l’ESSEC ou l’ESCP Europe par exemple, sans un bac S et une mention très bien. Et ce, en raison du fait qu’un nombre relativement limité de prépas joue véritablement le jeu de la diversité…

Pierre-Henri d'Argenson : Dans l’immédiat la mention n’a en réalité qu’un rôle honorifique, parce qu’elle ne conditionne pas l’entrée à l’université, et parce que la sélection pour la plupart des prépas se fait sur dossier scolaire, avant même l’obtention du bac. A plus long terme elles peuvent parfois compter, mais l’essentiel est déjà joué. La dévaluation du baccalauréat a depuis longtemps été intégrée par l’ensemble du système éducatif, qui ne fie plus aux mentions, mais bien au niveau réel de l’élève tel qu’il apparaît sur longue période, et au lycée d’origine, qui concentre toute les stratégies éducatives des parents.

Quels sont les autres critères de sélection ? Sont-ils limités à ceux qu’on affiche traditionnellement ?

Julein Pompey : Les critères de sélection pour intégrer une prépa ou une grande école sont relativement nombreux, et parfois différents d’un établissement à l’autre. La plupart du temps, pour réussir un concours ou présenter un dossier, il est nécessaire de présenter ses notes du cycle Terminale et de Première. Celles-ci sont bien souvent pondérées par le rang et le niveau de la classe. A ces critères s’ajoutent aussi les appréciations du proviseur ou des enseignants. Il est également prévu un entretien afin de vérifier non seulement la motivation et le profil de l’élève, mais également de plus en plus sa personnalité.

Pierre-Henri d'Argenson : Je distinguerai pour ma part trois grands critères de sélection dans le système éducatif français : indéniablement, il y a d'abord le niveau de culture. Ce critère a toujours été considéré comme "inégalitaire" et donc injuste, puisqu’il dépend beaucoup de son milieu d’origine. C’est vrai, mais il ne faut pas oublier que le système scolaire français avait été conçu à l’origine pour compenser "par le haut" cette asymétrie de dotation, à travers un parcours très structuré, probablement l’un des plus méritocratiques au monde. Les pédagogistes de 68 ont détruit ce système, et font mine de plaindre aujourd’hui une régression sociale dont ils sont entièrement responsables. Le deuxième critère, c’est le travail. Il n’y a pas de secret : un élève qui travaille finit par obtenir des résultats. Quoiqu’on en dise, notre système permet encore à ceux qui travaillent de gravir les échelons. Mais qui le leur dit ? La culture du déni, de l’excuse et de la discrimination positive ont profondément délégitimé l’effort. Enfin, il y a la psychologie. C’est le critère "invisible" de la réussite, parce qu’on n’en parle jamais, alors qu’il mériterait un enseignement à part entière. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai écrit un ouvrage sur la psychologie de la réussite aux concours. Il y a bien sûr des étudiants mieux dotés que d’autres, mais la psychologie, cela se travaille. Tout s’apprend, il faut en être absolument convaincu. Un système qui ne croit pas à cela ne croit pas non plus dans les jeunes qu’il forme. C’est malheureusement ce qui est en train d’arriver.

Le lycée d’origine de l’élève sélectionné est-il un élément déterminant ? Le bac étant un diplôme de plus en plus dévalorisé, existe-t-il une forme de sélection sociale à l’entrée des prépas et des grandes écoles ?

Julien Pompey : Le lycée d’origine est un élément important mais pas déterminant. En matière de sélection sociale, sans qu’il n’y ait de quotas officiels, les classes préparatoires comptent près d’un tiers de boursiers dans leurs effectifs. Du côté des grandes écoles, elles sont plus que jamais en quête de diversité ces dernières années. Dans cette perspective, les dispositifs se multiplient pour accélérer l’ouverture sociale des établissements. Mais les grandes écoles ne parviennent pas encore à former des jeunes issus de la diversité. A l’image des écoles d’ingénieurs, par exemple, où la parité n’est pas encore d’actualité et est loin d’être une réalité.

Pierre-Henri d'Argenson : On observe depuis longtemps un lien entre l’origine socio-professionnelle et l’intégration dans une prépa ou une grande école : on y trouve plus d’enfants de cadres ou d’enseignants que d’enfants d’ouvriers. Ce n’est pas propre à la France, mais nous devons être l’un des rares pays au monde  à en faire un sujet passionnel, et pas seulement depuis Bourdieu. Je dirais pour ma part la chose suivante : je ne partage pas l’obsession égalitaire d’une certaine gauche, qui est de nature totalitaire. En matière de correction autoritaire des inégalités sociales, Staline nous a donné une leçon magistrale qui anime toujours l’idéologie de certains courants. A force de faire de l’ouverture sociale le seul critère de fonctionnement de notre système éducatif, on a rejeté l’excellence en gardant l’élitisme, et on a ainsi obtenu le résultat inverse ce qu’on souhaitait : on a dévalorisé les filières techniques professionnelles, on a abaissé le niveau général et on a fait de l’école une impitoyable machine à trier. Pour ces idéologues, la seule chose qui compte est qu’il y ait 50% de fils d’ouvriers à l’ENA. En revanche le chômage, les filières universitaires bouchées, la désindustrialisation et la désertification rurale leur sont parfaitement indifférents. Je crois au contraire que l’école doit garder une vocation d’excellence pour tous, dans une approche de valorisation des ambitions de chacun. Nous avons là un immense chantier.

Les systèmes d’admission parallèle, comme à Sciences Po, ont-ils permis une plus grande ouverture des grandes écoles ou ont-ils au contraire creusés les inégalités ?

Julien Pompey : Les admissions parallèles sont un véritable moteur de démocratisation et a permis aux grandes écoles d’intégrer davantage de diversité dans leur recrutement. En donnant notamment la possibilité à des profils universitaires d’intégrer une école de commerce ou d’ingénieurs, l’admission sur titre favorise l’ouverture sociale des grandes écoles.

Pierre-Henri d'Argenson : Je n’ai jamais été favorable à l’ouverture parallèle de Sciences Po, pour une raison, c’est qu’elle a permis, paradoxalement, de masquer et prolonger le vrai scandale de notre pays, à savoir que dans un certain nombre de lieux nous ne sommes plus capables de donner un niveau correct à des cohortes entières d’élèves. Sciences Po peut donc se vanter d’accueillir des étudiants "repêchés" par ses soins, pendant qu’on oublie tous les autres. C’est bien commode, car cela permet d’esquiver les vrais sujets : la destruction de l’école traditionnelle, dont nous payons aujourd’hui le prix ; l’immigration massive, qui interdit toute intégration dès lors que les populations sont ghettoïsées et n’ont plus de contact avec notre culture ; le consumérisme de masse, qui a profondément abîmé les valeurs collectives d’effort, de transmission, de fraternité, d’esthétique, de civisme. Nous vivons une crise de civilisation profonde, et c’est à cela que nous devons réfléchir.


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