Pascal Molinier, psy : "L’après-Charlie a bâti la face d’un ennemi …

Comment avez-vous vécu, à titre personnel, la séquence qui a suivi les attentats ?

Je porte un regard neutre et scientifique sur l'après-Charlie. Cela dit, en tant que citoyen, j'ai été choqué, comme tout le monde.

Comment pourrait-on qualifier ce mouvement de foule ?

Je ne remets pas en cause la sincérité des gens, leur engagement, mais plusieurs facteurs ont favorisé l'ampleur du mouvement et lui ont donné un caractère exceptionnel. Des individus vont aussi s'y engager par le fait de processus pyschosociaux.

Quels processus en particulier ?

Il y a eu un besoin de partage social de l'émotion, une contagion émotionnelle, puis un phénomène d'engagement, qu'on connaît bien en psychologie sociale. Le fait d'avoir commis un acte, vous prépare à en commettre un autre. Le fait d'avoir manifesté prédispose à acheter Charlie, quitte à faire des efforts, à faire la queue dans la rue.

Ces actes peuvent-ils en entraîner d'autres dans l'avenir ?

Il y a la revendication d'une identité républicaine, or cela s'appuie sur la désignation d'une altérité, qui vise, en gros, la population maghrébine, c'est un peu inquiétant.

L'après-Charlie, c'est aussi un débat sous-jacent sur l'identité...

Oui, à mon avis, 80 % de ce qui s'est passé est relié à cette question.

N'a-t-on pas commis des erreurs dans l'analyse un peu hâtive de cette réaction collective ?

Tout à fait. La première erreur a été de penser que les marches du 11 janvier allaient rassembler la France. Les médias ont d'ailleurs porté cette idée que la France était unie.

Alors que l'affaire Charlie a également divisé la France...

Oui, la France n'a pas été unie, mais divisée entre la gauche et la droite et, ceux qui sont, ou pas, Charlie. Il y a eu une interprétation faussée du 11 janvier et un relais médiatique un peu orienté, pas volontairement, mais parce que les journalistes ont été touchés et emportés comme les autres par cette vague d'émotion.

Que vous inspirent les théories conspirationnistes qui ont essaimé sur le web ?

C'est très intéressant, on se rend compte que les personnes qui ont adhéré à ces thèses, ce ne sont pas n'importe qui, ce sont plutôt des jeunes et des gens dans des situations difficiles. La théorie du complot, ce n'est pas seulement le fruit d'un raisonnement biaisé, il y a aussi une démarche identitaire, une dissociation vis-à-vis des médias, de l'establishment et la revendication d'une différence, ça leur permet de se démarquer.

Vous avez trouvé la justice sévère dans la sanction des propos assimilés à de l'apologie du terrorisme...

C'est la théorie du mouton noir, les mécanismes qui se mettent en place sont très connus, autant du côté de la police que de la justice, il y a des contextes qui font qu'à un certain moment, il y a une exacerbation des normes collectives, on va se montrer plus sévère avec les déviants de notre propre collectivité.

De quelle manière Charlie va-t-il continuer à nous accompagner ?

Il y a une évolution latente que je redoute, qui va contribuer à construire la figure d'un ennemi de l'intérieur.

Pascal Moliner est enseignant à Paul- Valéry. “Deux semaines avec Charlie”, est sorti aux Presses universitaires de la Méditerranée” (www.pulm.fr), 100 pages, 9 €.

 

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