Paris illicites dans le handball : Greg Descamps, président de la …

SPORT - Dispositif policier, avocats dépêchés aux micros des stations de radios, conférences de presse, l'affaire des paris illicite dans le handball défraie la chronique. Mais comment expliquer les faits? Comment expliquer qu'un joueur aussi en vue que Nikola Karabatic soit impliqué dans ces paris? Si les faits sont avérés, comment comprendre une telle prise de risque?

Que raconte cette affaire d'un sport, le handball, qui faisait figure de discipline exemplaire? Le HuffPost a posé ces questions à Greg Décamps, psychologue, président de la Société Français de Psychologie du Sport.

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Comment expliquez-vous cette affaire?

Avant tout, il paraît important de souligner que les hypothèses interprétatives que nous autres, psychologues du sport, sommes en mesure de donner ne peuvent pas être spécifiques à cette situation pour laquelle nous manquons d’informations (puisque nous n’avons, comme chacun, que les informations relayées par les médias). Ce qui est sûr, c’est que d’autres affaires de paris ou de matchs truqués ont déjà eu lieu, et continueront d’exister dans le monde sportif étant donné que la recherche de performance sportive est dépendante de nombreux enjeux financiers. Et tout ceci questionne évidemment la place de l’éthique sportive, qui ne se réduit donc pas uniquement à des valeurs telles que le fair-play ou le respect de l’autre.

On a du mal à comprendre comment les frères Karabatic, et notamment Nikola avec le succès qu'on lui connaît, ont pu se retrouver dans cette affaire. Au regard des éléments dont nous disposons, qu'est-ce qui a pu jouer le concernant? 

Dans toutes les situations où un individu, sportif ou non, va se mettre en danger (que ce soit physiquement, psychologiquement ou médiatiquement) il est difficile d’identifier l’ensemble des facteurs ayant précédé la prise de décision: il y a des facteurs personnels (motivations, expériences préalables, personnalité, etc., facteurs qu’il nous est ici impossible de déterminer pour l’instant) mais également des facteurs sociaux et environnementaux. Ici, dans la mesure où les risques pour l’image médiatique du joueur semblent plus grands que le gain que cette prise de risques ne semble susceptible de rapporter (franchement, avait-il besoin d’argent?), on peut faire l’hypothèse de l’importance de facteurs externes au joueur lui-même, comme par exemple des pressions venant de son entourage. Cependant, rien ne nous permet d’exclure que, derrière le sportif Karabatic que nous connaissons via l’image médiatique qu’il laisse apparaître (image qui semble avoir été gérée de la meilleure façon), il puisse exister un autre Karabatic moins exemplaire qui a dans sa vie privée des préoccupations, problèmes ou prises de risques identiques à ceux de n’importe quel individu. On a tous dans notre sphère privée des comportements qu’on n’adopterait pas en contexte public… même si, heureusement, ces comportements ne sont en général pas illégaux!

Peut-on imaginer, par exemple dans le cas de Karabatic, qu'il y ait eu un phénomène de groupe dans lequel il se serait laissé entraîné?

Encore faudrait-il être sûr que ce joueur a subi la pression d’un groupe, or nous ne savons rien de ce qui est à l’origine de cette situation. Il peut y avoir la pression de certains membres du groupe sportif, mais la pression peut aussi venir de l’entourage non sportif. Ce qui est sûr, c’est qu’en contexte sportif, l’influence des normes, habitudes et décisions du groupe auquel on appartient a une influence très grande, beaucoup plus qu’en contexte non sportif. L’impact de ces influences sociales a notamment pu être montré dans de nombreux phénomènes sportifs auquel s’est intéressé ou s’intéresse le Ministère des Sports, comme notamment la survenue de violences sexuelles en milieu sportif, ou la persistance d’attitudes homophobes ou racistes sur les terrains et dans les vestiaires. De façon générale, plus les activités de notre vie quotidienne passent par l’appartenance à un groupe (comme ce peut être le cas pour les sportifs se trouvant en centre de formation), plus les jugements, décisions et comportements que nous pourrons avoir seront influencés par les "prescriptions" de ce groupe qui déterminera ce qui se fait, ne se fait pas, et ce qu’on peut s’autoriser. La pression de groupe peut parfois être si forte qu’on en perd de vue les repères habituels de la société.

Est-ce que cette affaire vous étonne? 

Le fait qu’un match de cette discipline ait été truqué pour une histoire de pari sportif n’est pas plus étonnant que si cela venait d’un match d’une autre discipline, ou d’une performance dans une discipline individuelle. On peut néanmoins être surpris que des joueurs dont l’image médiatique est si positive aient pris ce type de risques, car on sait que, dans de nombreux cas, la notoriété et la popularité sportive amènent le sportif à percevoir un certain nombre de responsabilités associées: devoir d’intégrité, d’exemple à donner, etc. (ce qui n’empêche pas pour autant certains sportifs d’autres disciplines à reléguer ce principe d’exemplarité…). En revanche, plus on est médiatisé, plus on fait l’objet de sollicitations. C’est valable pour les sponsors, mais c’est également valable pour des sollicitations moins légales…

Peut-on réduire cette affaire à une question d'argent?

Derrière toute question d’argent, il y a des motivations, des pressions, des conflits, des chantages, des ambitions…bref, les explications peuvent être nombreuses et il serait hasardeux de tirer à ce stade ce genre de conclusion. D’autant plus que cela ne concerne pas un individu isolé mais, apparemment, tout un groupe qui n’est pas exclusivement composé de sportifs.

Quel est l'impact psychologique pour les joueurs sur qui cette affaire tombe?

D’un point de vue psychologique, on peut considérer ce type de situation comme n’importe quelle autre source de stress (par exemple un dysfonctionnement important de l’équipe sportive) ou n’importe quel autre événement de vie (par exemple un problème familial) survenant dans la vie du sportif: face au stress, le sportif va déployer des stratégies de "faire face" qui auront pour fonction de résoudre le problème. La spécificité de cette affaire, me semble-t-il, est que celle-ci constitue une "menace identitaire" pour les personnes concernées: au-delà du stress, c’est mon image qui est attaquée et menacée. Dans ce type de situation, un sportif va donc soit protéger son image (en cherchant des excuses, en minimisant la situation, etc.) soit la "rehausser" (en s’affirmant dans cette situation, en renforçant la place de certaines valeurs positives dans l’image qu’on peut donner, etc.) Mais pour tout ça, encore faut-il que la situation soit contrôlable. Or, ici, ce qui est incontrôlable, c’est l’impact que cette affaire aura sur la perception que la population générale se fera du ou des joueurs concernés, de l’équipe, voire même du sport en général. Et si une perception négative persiste, ce sera autant de facteurs de stress supplémentaires à gérer sur le long terme. Dans tous les cas, les stratégies de "faire face" du sportif auront à prendre en compte les répercussions qu’une telle situation pourra avoir sur la performance ou sur les capacités à s’entraîner afin de minimiser l’impact de la situation sur la suite de la carrière sportive. Après tout, on a déjà vu des footballeurs ayant eu des comportements peu exemplaires mais qui ont su montrer qu’ils étaient prêts à se réinvestir dans leur équipe…

Peut-on, à ce stade et avec ces éléments, parler d'addiction comme c'est souvent le cas lorsqu'on évoque les sites de pari en ligne?

On parle d’addiction lorsqu’il y a survenue répétée (rien ne nous permet de savoir si ces faits se sont produits régulièrement) d’un comportement délétère (ayant des répercussions négatives de l’individu) et ce malgré les efforts de l’individu pour réfréner ce comportement. L’addiction est donc avant tout un processus individuel qui traduit le rapport spécifique qu’un individu a à son environnement, et il me semble difficile de le transposer au fonctionnement d’un groupe. Les pressions sociales font malgré tout partie des facteurs susceptibles d’inciter un individu à s’adonner à son addiction, comme par exemple les jeunes pour lesquels les contextes festifs vont inciter à la consommation massive d’alcool. Cependant, le profil des joueurs véritablement addicts utilisant les sites de paris en ligne est généralement beaucoup plus solitaire et souvent en proie à des difficultés de régulation des émotions, et ne me paraît pas correspondre à celui que l’on rencontre typiquement dans les affaires telles que celle qui est évoquée ici.

À ce stade, quels sont les enseignements à tirer de cette affaire?

Si cette affaire doit amener à tirer une conclusion, c’est qu’il ne faut en aucun cas pointer le handball comme étant un sport dans lequel ce type de pratique est courant. Tout du moins, pas plus que dans un autre. Plus encore, cela montre qu’aucune discipline sportive ne peut se considérer comme épargnée par le phénomène. Il n’y a d’ailleurs pas besoin d’enjeux financiers pour truquer un match, le sport amateur peut donc, sur ce principe, être tout autant victime de tricheries.

Greg Décamps est président de la Société Française de Psychologie du Sport
Maitre de conférences en psychologie à l'Université Bordeaux Segalen
Auteur de deux ouvrages en psychologie du sport parus aux Editions De Boeck
» Psychologie du sport et de la santé, 2011
» Psychologie du sport et de la performance, 2012

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