Opinions & débats

Avec le rapport du CNDH sur la santé mentale, un dernier épisode a été mis en scène pour l’asphyxie de la profession de psychologue et la limitation pure et simple de ses interventions. Une profession, encore indéfinie et marquée par une fragilité. C’est un épisode, donc, qui paraît comporter le coup de grâce si une réaction ne se fait pas connaître de la part des professionnels de la psychologie (enseignants, chercheurs et praticiens). Déjà dans un rapport sur l’état des lieux de la recherche en sciences humaines et sociales, la psychologie a été écartée délibérément du champ disciplinaire dans lequel elle a élu domicile depuis son avènement dans l’ordre des sciences, en lui méconnaissant les qualités dont elle fait preuve dans la formation et dans la recherche. Voire, comme si le constat qui a été dégagé faisait allusion à une sorte d’inexistence dans les établissements de formation, alors que la présence de la discipline et ses apports, non seulement, occupent une place honorable, mais sont très convoités ici et là.

Quant au présent rapport du CNDH, bien qu’il se soit préoccupé de la situation des établissements hospitaliers accueillant les malades mentaux, les allégations et les propos ont été exprimés avec une approche de choix qui paraît relever d’une époque révolue ou d’une vision réductionniste de l’apport de la psychologie. On voudrait croire, et avec forte conviction, à la probabilité du choix stratégique quant à la représentation et la catégorisation de la psychologie, telle qu’élaborée dans le rapport. Alors que la psychologie qui avait plus de familiarité avec le champ de la santé mentale n’a pas eu le mérite d’être considérée à sa juste valeur et renvoyée aux calendes grecques. Mais, vraiment, cette discipline se retrouve, maintenant, chassée de ce champ tel qu’il a été entretenu et animé à l’université depuis longtemps (au niveau des enseignements et de la recherche). À cet égard, on se demande s’il n’y a pas une complicité objective avec une volonté intentionnelle à «faire la peau» à la psychologie, vu qu’une présence formelle et institutionnalisée lui est confisquée ou tout simplement, parce qu’il n’y a pas de personnes d’une stature proche des pôles de décisions et pouvant défendre la place qui revient de droit à la psychologie dans les secteurs concernés directement ou indirectement par ses services et ses différentes contributions. À regarder de près, pour ce qui est de ce genre d’attitudes manifestes envers la psychologie, il est clair que celle-ci dérange à plus d’un titre, bien qu’elle ne soit pas développée comme on la désigne avec tous des honneurs à l’échelon international. Par ailleurs, nul ne conteste le fait que, dans le contexte marocain, parler de la psychologie comporte quelques difficultés, non pas de conception ou de modélisation, mais bien de perception et de représentation sociale qui restent bien connotées d’équivoques, si ce n’est pas d’ignorance systématique. Certes, la situation de la psychologie dans le contexte marocain présente quelques particularités qui ne manquent pas d’ambiguïté et qui sont repérables soit au niveau de la connaissance telle que travaillée et animée, soit au niveau des perspectives d’applications qui en dépendent ou encore au niveau des représentations sociales. Mais, pas au point de lui ôter toute possibilité de faire preuve d’apports prometteurs au bien-être des gens. Il y a lieu de reconnaître, aussi, que les interventions ici ou là de certains prétentieux participent à nourrir la confusion et à ternir une image objective et conforme de la discipline, déjà en mal de construction identitaire.
Depuis longtemps, on n’a pas cessé d’apporter des mises au point relatives à la situation de la Psychologie au Maroc, soit à l’occasion de rencontres universitaires (colloques, tables rondes), ou à travers des écrits scientifiques (articles et ouvrages), ainsi que dans le cadre d’une participation à l’information et à la vulgarisation scientifique dans les médias, etc.

À tous ceux qui sont animés par le souci de voir la psychologie prendre la place qui lui revient de droit dans la société selon des règles bien définies, depuis la formation jusqu’à l’exercice de la profession de Psychologue, c’est maintenant que des actions dans ce sens doivent se manifester. En outre, il est à rappeler que les métiers qui font honneur à cette discipline dans l’accompagnement de l’être humain (depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse et dans ses différents contextes de vie) sont l’objet, et depuis longtemps, de formations accréditées et reconnues dans les établissements de l’enseignement supérieur, notamment les métiers de psychologue clinicien et psychologue du travail, alors que pour leurs exercices c’est l’absence de reconnaissance officielle, sauf quelques formes de statuts les reléguant à un rang d’aide ou d’assistant (es : le Psychologue clinicien désigné comme assistant du Psychiatre).
Il est temps, et dans une extrême urgence, que le titre de psychologue soit établi. C’est une responsabilité historique qui se pose pour tout un chacun ayant une attache professionnelle avec cette discipline et s’occupant de la promouvoir auprès du public.

Dans cette optique, il n’y a pas à continuer de se détourner de l’objectif qui mobilise les passions. Le titre de psychologue doit acquérir une reconnaissance statutaire et bénéficier d’une protection réglementaire afin de clarifier les droits et les devoirs d’une part, et de mettre un terme à l’état d’anarchie qui traverse le domaine de la discipline.
Dès lors, pour ce faire, une organisation associative s’impose aux professionnels de la psychologie. Tout le monde s’accorde à ce que le fait d’être psychologue (clinicien, social, scolaire, du travail…) n’est pas une mince affaire, compte tenu des conditions non motivantes où la fonction s’exerce et c’est juste l’esprit d’initiatives et d’aventures animant certains qui reste le principal atout, non seulement pour inscrire une identité, mais surtout pour forger une place dans le monde de l’activité professionnelle. Il n’y a pas à se tromper ou rêver, tous les secteurs sociaux (santé, Éducation, Justice, Sport, Travail...) qui sont censés accueillir les interventions de la psychologie, ne le font que par une certaine «courtoisie» à l’adresse des personnes qui en manifestent l’intérêt, mais non par recherche convaincue de professions attestées.
Dans ce cadre, il faut dire que le manque de visibilité qui marque le domaine de la psychologie est une des principales causes qui ne favorisent pas de décollage et qui maintiennent l’ambiguïté au niveau des identités.
Un décalage est bien présent entre l’offre et la demande, entre les besoins ressentis ou repérés dans ces secteurs et les produits des formations engageant les spécialités réputées de la psychologie. Ce décalage est renforcé par une représentation stéréotypée de cette discipline la confondant avec la psychiatrie en tant que discipline médicale, d’autant que cette dernière se forge une notoriété sur cette confusion, ne laissant aucun espace d’action à la psychologie, allant jusqu’à tenter de s’approprier ses biens scientifiques et techniques.
Cette situation n’a que trop duré au Maroc, et les professionnels sont appelés à la changer et sortir la psychologie du cercle faisant état de «talons d’Achille» dans lequel elle s’est retrouvée confinée jusqu’à présent. À cet effet, il n’y a d’autres options qu’une mobilisation à une unité structurée pouvant associer toutes les compétences et volontés présentes pour asseoir une véritable culture professionnelle de la psychologie. «Psychologues unissez-vous». n
Notes
 - «Rapport Santé mentale et droits de l’Homme : l’impérieuse nécessité d’une nouvelle politique». CNDH, 09/2012.
 - «Rapport qui fait suite à l’Enquête nationale du système national de la Recherche dans les sciences humaines et sociales». Projet RD Maroc SHS, 12/12/05. Rabat, 03/2009.
 - «La Psychologie au Maroc entre savoirs et pratiques», Rabat, éditions Bouregreg, 2005.
 - «La Psychologie, l’autre discipline ignorée», «Libération», 1999.
 - «L’état des lieux des sciences humaines et le bannissement de la psychologie», «Le Matin du Sahara».


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