Notre syndrome de Lucifer

En effet, voulant observer le comportement en système carcéral, il sépara ses propres étudiants en deux groupes, leur attribuant, d'une part, le rôle des gardiens et, d'autre part, celui des prisonniers, avec des règles très strictes à respecter comme celui de ne pas abuser des détenus. Les étudiants savaient que ce n'était qu'une expérience; pourtant, celle-ci vira rapidement au cauchemar lorsque les «gardiens» commencèrent à infliger de graves blessures physiques et psychologiques aux «prisonniers» : agressions exagérées, dénigrement, menaces de viol... Devant ces derniers qui supplièrent violemment de sortir de prison, Zimbardo arrêta l'expérience après seulement six jours. Lorsque les «gardiens» se rendirent compte de leurs actes, ils en sortirent traumatisés à vie.

Comment donc ces étudiants si ordinaires, si bons et si brillants ont-ils pu réussir, en peu de temps, à commettre de telles horreurs à leurs compatriotes, tel l'ange Lucifer qui, après s'être rebellé contre Dieu, tomba du ciel? Lorsqu'on suit des valeurs et normes sociales déterminées par une autorité supérieure, il est souvent difficile d'y désobéir et de s'y échapper, surtout si notre propre groupe appuie un acte controversé sans réfléchir aux conséquences que cela peut amener. Pour mener cette expérience, Zimbardo s'était inspiré de deux autres menées dans le passé :

1) celle de son ancien camarade Stanley Milgram de l'Université Yale, en 1963, dans lequel des volontaires, sans le savoir, affligeaient de «faux» chocs électriques à des étudiants lorsque ceux-ci ne donnaient pas la bonne réponse aux questions posées et qui, néanmoins, étaient forcés par le professeur de continuer malgré les «supplications» des élèves;

2) et celle d'un professeur d'histoire de Palo Alto, Ron Jones, en 1967 qui, tentant d'expliquer à ses étudiants le silence des Allemands face aux horreurs des camps de concentration, créa un groupuscule surnommé «La Vague» (du nom de l'insigne qu'ils portaient au bras) et qui déborda rapidement vers la violence et les menaces de mort envers ceux qui contestaient les belles valeurs d'égalité, de liberté et de discipline du groupe.

Je pense que beaucoup, en lisant ces lignes, commencent à se souvenir de ce qui s'est passé depuis les six derniers mois au Québec. La grève étudiante, les carrés rouges, la violence policière, une campagne électorale démagogique, tant excitée par les médias traditionnels que par les réseaux sociaux, qui s'est finalement terminée par une fusillade meurtrière... En ayant écouté cette intense actualité, je n'ai pu m'empêcher de me rappeler de ces expériences mentionnées ci-haut dans mes cours de psychologie au cégep. Je sais qu'on ne peut pas exactement les comparer entre elles, mais je n'ai pu m'empêcher de trouver la ressemblance particulièrement inquiétante.

Notre société québécoise pourtant si pacifique, si pragmatique et si allergique aux chicanes cacherait-elle dans son inconscient une capacité à commettre le mal? On peut se consoler de voir dans notre histoire ces situations être de très courte durée, mais nous tous, francophones ou anglophones, fédéralistes ou souverainistes, de gauche ou de droite, devraient rester vigilant. Notre pire ennemi reste soi-même et pour s'en souvenir, je vous conseille fortement de regarder ces deux excellents films allemands que sont Das Experiment (2001) et Die Wielle (2008).

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