N’ayons plus peur du mot "addiction"

Je lis et j'entends à droite, à gauche que le jeu vidéo ne peut pas être une addiction. On connaît tous pourtant quelqu'un un peu trop près de son Démoniste level 90, un peu à fond dans son Sorcier Hardcore. Je vais essayer d'apporter quelques réponses du haut de mon expérience de joueur mais aussi d'apprenti chercheur en psychologie.

 

Parlons psycho

La France est un pays unique dans le monde, mais pas dans le bon sens quand on parle de psychologie. En effet, en France, le mot "psychologue" est tabou. Un psy sera forcément dans les médias un psychiatre ou un psychanalyste. Un spécialiste de l'ergonomie est en fait un psy, un spécialiste des rythmes biologiques est aussi un psy et il y en a bien d'autres. Suivre une thérapie, c'est soit-disant mal, je pense pourtant que c'est une adaptation normale, c'est un peu comme aller voir un dentiste quand on mal aux dents. Qui plus est, la France baigne dans la psychanalyse depuis maintenant un bon moment. Je n'ai rien contre les théories freudiennes, mais les termes, "complexe d'Oedipe", "régression libidinale", "retour à la mère" sont des mots magiques, foure-tout, avec lesquels on paraît très intelligent. Pourtant, ces affirmations ne reposent sur aucune vérité scientifique depuis près de 100 ans et on nous bassine jusqu'à la fac sans nous laisser trop le choix. Là où je veux en venir, c'est quand ces gens d'obédience psychanalytique viennent empiéter sur un terrain tel que le jeu vidéo.

 

 Il paraît que Freud ressemble à Obi-Wan Kenobi 

 

De l'autre côté de l'Atlantique, loin de toutes ces préoccupations d'un autre siècle, l'addiction au jeu vidéo est étudiée sérieusement. A Québec, des pubs contre la cyberdépendance (un peu glauques) sont sur les écrans. En Asie aussi, on s'intéresse forcément à ce problème. Toutes les heures de jeu sur TERA, un message pop disant que trop jouer comporte des risques de dépendance.

 

Science, b**** !

Parler d'addiction, c'est parler de psychologie, d'autant plus quand ça touche au jeu vidéo. Les études psychologiques sont faites avec les stats. L'étude de Gentile (2009) précise que 8 % de jeunes américains sont touchés par un problème lié au jeu vidéo. Alors vous allez me dire : "Oui mais l'étude ne porte que sur 1200 jeunes, c'est pas tout le monde". C'est là le secret et toute l'ambiguïté des statistiques inférentielles, c'est inférer les résultats d'un échantillon à toute une population, en minimisant le risque d'erreur. Et on les utilise aussi bien dans la publicité que dans les sondages politiques.

 

 Quistis a compris. Et elle est jolie.

 

Maintenant que tout le monde sait compter, on peut relever tout un tas d'études traitant plus ou moins justement du jeu vidéo et de ses effets. Les études du français Laurent Bègue ont fait couler beaucoup d'encre, mais j'avoue ne pas avoir lu ses papiers. Si vous voulez lire des études, je vous conseille le fabuleux site VG Researcher qui compile de nombreuses analyses scientifiques sur le jeu vidéo, pas mal portent sur l'addiction. Une autre étude du hollandais Rooij (2010) réalisée sur deux ans met en avant l'existence de groupes évoluant vers de plus importants problèmes liés au jeu vidéo. Une théorie plus générale comme celle de l'Autodétermination peut être facilement appliquée au contexte des jeux en ligne (voir Przybylski, Deci Ryan, 2010). On est de plus en plus souvent récompensé dans les jeux récents. Le fait d'ouvrir un menu débloque un succès dans Dead or Alive 5, tous ces petits succès nous motivent d'autant plus à jouer et les développeurs l'ont bien compris, ils ont aussi compris la couleur de l'argent à se faire. Ceci prend des proportions un peu plus gênantes quand, en prenant du recul, on s'aperçoit qu'on a raid 3 heures pour gagner deux points de stats à un chapeau. J'ai moi-même été joueur intense de MMO et je sais que la limite entre plaisir et besoin est mince. D'autres études mettent en avant des symptômes de sevrage, ou encore de préférence pour des sons ou images provenant de MMO comparativement à d'autres jeux.

 

La preuve... vous avez envie de jouer à Burning Crusade.

 

D'autres modèles existent comme le fait de se sentir valorisé dans le jeu auquel on joue. Notre avatar est très puissant, paraît intelligent au titre des connaissances acquises sur les mécaniques du jeu, alternative pratique à une insatisfaction dans la vraie vie. C'est un bon point, sauf quand cet univers alternatif prend le dessus. Là est tout le problème de la définition précise de l'addiction au jeu vidéo et des implications comportementales en cas d'abus. J'espère que l'avenir nous permettra de développer des outils fiables pour tester la cyberdépendance et ses déterminants.

 

Pas encore convaincu ?

On sait que l'abus des jeux en ligne peut toucher tout le monde. Chez les plus jeunes, on peut relever une baisse des résultats scolaires. Chez les plus âgés, les conséquences de l'abus du jeu en ligne peuvent être plus importantes avec des effets sur le travail ou la famille. Le DSM-IV (version actuelle de la bible des psychologues) indique que des symptômes tels que le désinvestissement d'une activité autrefois pratiquée, des problèmes socio-professionnels ou le sevrage, définissent l'addiction à une substance. On sait aussi tous que la progression en multi dans un FPS est très longue, que les MMORPG ne finissent jamais, merci les patchs, enfin ça ne m'empêche pas de jouer à Halo 4 et Guild Wars 2 en ce moment. Il serait utile aujourd'hui d'arrêter de se pavaner à la télé en disant que "l'addiciton au jeu vidéo, c'est comme chercher le Loch Ness", mais plutôt qu'on considère certaines études françaises (ou non) afin de proposer des accompagnements efficaces, pour profiter de notre loisir préféré sans abus.

 

 En parlant de Loch Ness, je connais un gros dragon

 

Après, je ne veux pas jouer mon vieux gars, mais je considère que les jeux ne vont pas en s'améliorant. Que les gens deviennent addict, c'est un problème, mais le fait est que les gens soient drogués à des jeux moyens, c'est embêtant pour le jeu vidéo en tant qu'art. Les DLC et les multi à profusion ne desservent malheureusement pas le jeu solo. Et quand on parle de multi local, encore faut-il faire un prêt à la banque pour acheter quatre manettes (Wii U). Allez, on va dire que plus tard je développerai une technique d'exposition aux jeux vidéo en proposant un bon vieux Super Metroïd.

 

World of Warcraft : The Burning Crusade, Super Metroid, Halo 4, Dead or Alive 5, TERA, World of Warcraft : Mists of PandariaWii U

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