N’ayez pas peur des foules: elles sont en général amicales et …

C'est ce que montrent les travaux de psychologie sociale.

«Par le fait seul qu’il fait partie d’une foule organisée, l’homme descend de plusieurs degrés sur l’échelle de la civilisation. Isolé, c’était peut-être un individu cultivé, en foule c’est un barbare.»

C’est ainsi que Gustave Le Bon décrivait au XIXe siècle la folie des foules. Probable héritage de la Révolution française, c’est toujours la vision dominante du comportement des foules à l’heure actuelle. La plupart d’entre nous croyons apparemment que les foules habitent dans un pays des ombres psychologique, dominé par des instincts primitifs et l’absence de retenue, où les individus sont dépouillés de leur identité et conduits inconsidérément à commettre des actes violents ou irrationnels.

Ce genre de notion est dépassé et va à l’encontre de la vision scientifique moderne du comportement des foules.

Les études de psychologie sociale montrent que la dynamique interne d’un grand rassemblement de personnes est très différente de ce dont elle a l’air de l’extérieur. Dans le cadre de multiples analyses de matchs de football, de manifestations, de festivals et d’émeutes au cours des trente dernières années, les chercheurs britanniques Stephen Reicher, Clifford Stott et John Drury ont découvert que les individus qui composent ces foules n’abandonnent pas leur rationalité ni n’abdiquent leur identité au profit d’une mentalité de meute. Ils ne perdent pas la tête. En revanche, ils sont très sensibles à ce que font les individus autour d’eux, et par conséquent deviennent extrêmement coopératifs.

Voilà qui devrait interpeler quiconque a un jour rejoint une manifestation, une flash mob, un festival, un défilé ou un événement du même style.

Contrairement à la croyance populaire, les foules créent un environnement extrêmement favorable, altruiste, amical, et souvent très sympathique. «Ce n’est que dans une foule que l’homme peut se libérer de sa peur d’être touché», notait l’intellectuel bulgare Elias Canetti en 1960, dans une thèse qui annonçait la science moderne de la dynamique des foules.

«Tous sont égaux ici; aucune distinction ne compte, pas même celle du sexe. L’homme pressé contre lui est le même que lui.»

Altruisme et solidarité ne sont pas rares; ils semblent être les comportements par défaut des foules, comme je l’ai découvert en écrivant mon livre The Power of Others: Peer Pressure, Groupthink, and How the People Around Us Shape Everything We Do.

Récemment, Reicher et d’autres ont montré que cette expérience positive pouvait aller jusqu’à améliorer la santé et le sentiment de bien-être. Ces chercheurs étudient depuis huit ans le festival religieux de Magh Mela, dans le nord de l’Inde, qui attire des millions d’hindous en janvier et février chaque année.

Les enquêtes et études comportementales qu’ils ont menées leur ont révélé que les participants font état d'un niveau d'anxiété bien moindre et d'une baisse de leurs maux physiques après l’événement, un effet qui dure plusieurs semaines. Reicher conclut:

«Selon tous les principes de la sagesse populaire, le Mela ne devrait pas fonctionner. Il est surpeuplé, bruyant et insalubre. Et pourtant c’est un événement harmonieux et les gens y sont sereins.»

Il vaut la peine de célébrer les expériences de foule positives car très souvent, lorsque nous nous retrouvons au milieu d’une masse d’inconnus, c’est dans des circonstances moyennement engageantes –dans un train à l’heure de pointe, par exemple, ou dans une file d’attente qui n’avance pas devant un magasin. L’un des objectifs du collectif de plaisantins new-yorkais Improv Everywhere est de rendre divertissantes les expériences collectives, en provoquant «des scènes de chaos et de joie dans des espaces publics».

Depuis août 2001, il a mis en scène plus de 100 spectacles de rue impromptus, notamment un faux concert de U2 sur un toit de New York, une invasion de plage par des centaines d’acteurs en smoking et robes de bal ainsi que le «trajet en métro sans pantalon» qui se tient tous les ans un jour d’hiver dans 60 villes du monde. Les vidéos de ces exploits montrent que la plupart des spectateurs qui y assistent témoignent d’un étonnement teinté de complicité chaleureuse, ce qui est précisément le but recherché par les organisateurs.

Parfois, la solidarité des foules peut changer le cours de l’histoire. La révolution égyptienne de fin janvier-début février 2011 fut un incroyable exemple de pouvoir coopératif (bien que ses réalisations aient été en partie gâchées). En outre, les Egyptiens qui s’étaient réunis place Tahrir pour exiger la chute de Hosni Moubarak ont passé un moment inoubliable. Un homme d’affaires à la retraite venu d’Alexandrie pour rejoindre les manifestants m’a confié:

«J’y ai trouvé quelque chose de charmant. Il y avait toutes sortes de gens. Des étudiants, des lycéens, des collégiens. Des sans-abri. Des gens de toutes religions. Toutes les divisions disparaissaient. Tout le monde n’avait qu’un seul but. J’ai pleuré pour de vrai, car c’était la première fois que je voyais le peuple égyptien n’avoir peur de rien.»

Les foules sont dynamiques. Elles sont adaptables. Mais peut-être leur caractéristique la plus importante et la moins bien appréhendée est qu’elles sont un moyen de mieux comprendre nos personnalités sociales. «Plus vous étudiez les foules, plus vous touchez aux processus de base de la sociabilité humaine», explique Reicher.

«Le collectif joue un rôle très important dans la formation de nos identités quotidiennes, dans la compréhension de qui nous sommes jour après jour, et également dans notre capacité à changer.»

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