Précarité de l’emploi, temps partiels imposés, salaires «
indécents » après cinq ans d’études en moyenne, etc. Pas vraiment rose la toile de fond du métier de psychologue si l’on s’en tient au portrait tracé par les trois syndicats appelant aujourd’hui à une grève nationale. Des professionnels de la région seront de la manif parisienne pour réclamer «
plus de postes de psychologues, des emplois pérennes à temps complet, des salaires décents et un début de carrière pour tous à au moins 2 450 euros brut et le double en fin de carrière » , expose Gladys Mondière, animatrice du collectif régional des psychologues CGT, en insistant sur «
l’absence de revalorisation salariale depuis plus de 20 ans
». Une situation par ailleurs paradoxale dans une société où la psychologie est un peu mise à toutes les sauces et les psychologues sollicités sur tous les fronts.
Ce paradoxe n’échappe pas à Myriam Rouit-Pollet, psychologue au centre hospitalier d’Armentières (CHA) depuis 1999, qui se dit «
solidaire
» de cette grève. «
Pas pour moi car je bénéficie d’excellentes conditions de travail mais pour tous les autres collègues. C’est une question de justice. Dans certains hôpitaux, c’est un peu comme si les pouvoirs publics n’avaient pas encore compris l’intérêt de notre fonction » , précise celle qui s’avoue cependant «
privilégiée » au CHA d’Armentières.
Il y a neuf ans, alors que se créait le service de réanimation, Myriam Rouit-Pollet décide de présenter un projet à la direction du CHA pour se mettre à l’écoute des patients hospitalisés dans ce service, «
mais également des familles et du personnel, qui travaille dans des conditions difficiles
». Projet accepté.
« Démocratiser une fonction »
La psychologue demande tout de suite à ne surtout pas avoir de bureau, histoire de «
démocratiser la fonction qui fait toujours peur. On associe encore toujours, malheureusement, psychologie à folie
», regrette la professionnelle. Elle peut ainsi partir à la rencontre de ceux et celles qu’elle a choisi d’épauler, patients, familles mais aussi, personnel, car «
quand on souffre dans son travail, on peut parfois apporter cette souffrance à la maison, et vice-versa
», insiste Myriam.
En rigolant, elle se dit «
psychologue nomade
», voguant du service de réa à celui des urgences, exposé lui aussi, où elle intervient de la même manière sans local, «
en squattant devant la machine à café, dans la salle d’un médecin : je trouve toujours un endroit pour discuter avec ceux qui en ont besoin. J’ai envie que les barrières sautent, on peut faire de la psychologie partout, il n’y a pas de lieu sacré ». Elle glisse même avoir autorisé le personnel à l’appeler en cas de «
situation extrême, et jamais on ne m’a dérangée pour des bricoles
».
« La souffrance peut toucher tout le monde »
À la suite d’autres événements un peu compliqués à gérer au CHA d’Armentières, Myriam Rouit-Pollet fait une nouvelle proposition à la direction : agir en amont, avant que la situation ne dégénère, en offrant une écoute à tout le personnel du centre hospitalier, «
de la femme de ménage au chirurgien. La souffrance peut toucher tout le monde !
». De nouveau, la direction suit, logique donc que la psychologue évoque, pour elle, des conditions de travail idéales. Et assez rares pour être soulignées dans les établissements médicaux où les psychologues ont commencé à prendre place il y a seulement dix-quinze ans. «
Ici, on a choisi de miser sur la place des psychologues, en les acceptant en réa et aux urgences où ils ne sont pas du tout obligatoires. On m’a même laissée carte blanche !
». Myriam Rouit-Pollet en profite pour continuer son petit bonhomme de chemin, toujours dans «
l’empathie, l’écoute des autres, en proposant parfois des pistes et en accompagnant toujours
». La psychologue se souvient ainsi d’une famille à qui elle a dû annoncer le décès de leur fils âgé de seulement vingt ans. «
Il faut du temps et surtout, il faut le prendre. C’est ce que je dis à un membre du personnel qui craque et ne veut souvent pas prendre d’arrêt de travail, il est parfois plus sain de s’arrêter huit à quinze jours
».
Pour elle, la prévention est essentielle, encore plus dans une société où « l’on ne peut pas faire abstraction du contexte : la crise économique, les divorces, la solitude qui augmente, il y a aujourd’hui plus de souffrances qu’avant. Les gens n’ont plus le temps pour rien et sont sous pression : tout le monde doit être beau, mince, gentil, poli, dans les normes et certains n’y arrivent plus
».
Alors oui, une fois pour toutes, Myriam Rouit-Pollet aimerait bien, comme le réclament aujourd’hui les syndicats, que la fonction des psychologues soit revalorisée. «
Un chirurgien qui opère, ça se voit, il sauve une vie. Nous, on travaille en sous-marin. Les psychologues ne vendent pas des kilos de sucre, ce que l’on apporte est invisible alors que psychologue, c’est un métier plein d’humanité mais à risque et donc, pas payé à sa juste valeur même si moi, je ne me plains pas
», assure celle qui doit «
passer le relais
» en fin d’année. «
Normalement
», sourit-elle en prévoyant de rester «
attachée à l’écoute du personnel, au comité d’éthique et au prélèvement d’organes. Et un peu chez moi
». Psychologue un jour, psychologue toujours.